Chapitre 10 L'interlangue et ses descriptions Ce que l'on a dénommé, ici ou là,
Chapitre 10 L'interlangue et ses descriptions Ce que l'on a dénommé, ici ou là, système approximatif, compé- tence transitoire, dialecte idiosyncrasique, système intermédiaire, interlangue, système approximatif de communication, langue de l'apprenant ou système approché (voir U. Frauenfelder, C. Noyau, C. Perdue, R. Porquier 1980 pp. 43-46) recouvre, malgré certaines dispersions théoriques ou méthodologiques, un même objet: la connaissance et l'utilisation « non-natives» d'une langue quelcon- que par un sujet non-natif et non-équilingue, c'est-à-dire un sys- tème autre que celui de la langue-cible mais qui, à quelque stade d'apprentissage qu'on l'appréhende, en comporte certaines compo- santes. C'est ce que nous avons précédemment appelé grammaire intériorisée par l'apprenant, et que nous appellerons également ici interlangue '. C'est là un objet d'investigation, de description et d'analyse plus riche et plus complexe que celui délimité par l'analyse d'erreurs. Celle-ci opère essentiellement sur des productions, éventuellement sur des erreurs de compréhension. L'étude des interlangues porte non seulement sur des performances mais surtout sur les compé- tences sous-jacentes et sur la façon dont elles sont activées dans les performances. Son principal objectif est en effet de décrire les grammaires intériorisés à travers les activités langagières qui les manifestent, pour en caractériser les spécificités, les propriétés et les modalités de leur développement. 1. Caractères et spécificité des interlangues Une interlangue, considérée à un stade quelconque de son déve- loppement ou à l'état fossilisé, si ce développement est interrompu, répond, sauf dans un état initial où elle constitue un répertoire non-structuré, a l'essentiel des' divers critères servant à caractériser une langue: système symbolique de signes, double articulation, sys- 1. Malgré l'ambiguïté de ce terme (anglais interlanguage, voir L. Selinker, 1972), souvent assimilé à interlingual, ou compris comme désignant un état intermédiaire dans le passage d'une langue « source» à une langue « cible ». Par ailleurs, le terme « interlinguistique» renvoie souvent à la théorie et aux pratiques de la traduction (voir J.R. Ladmiral, 1980). tématicité, variabilité, intelligibilité. Elle paraît cependant com~or ter des traits spécifiques qui la différencieraient des langues dItes naturelles: instabilité, perméabilité, fossilisation, régression, sim- plification, et qui renvoient à son caractère évolutif. Des traits comparables sont pourtant repérables, dans les langues naturelles, soit dans leur évolution diachronique soit, d'un autre point de vue, dans les idiolectes ou sociolectes de locuteurs natifs (voir U. Frauenfelder et al., 1980 et J. Ardittyet C. Perdue, 1979). La double caractérisation de l'interlangue (désormais IL) repose alors d'une part sur ces caractères internes, c'est-à-dire sur la nature et les règles de la grammaire intériorisée, d'autre part sur son carac- tère évolutif. De façon comparable dans le premier cas à la gram- maire intériorisée d'un locuteur natif, dans le second au langage de l'enfant, dont le développement est cependant sujet à des détermi- nations biologiques et cognitives spécifiques. Les caractères internes et le développement de l'IL, à la diffé- rence d'une langue naturelle, ne peuvent être abordés sans la double référence au système de la langue-cible, dont elle tend en principe à se rapprocher et à laquelle elle peut être con;paré~,. ~t au s~~tème intériorisé de la langue maternelle, substrat d acqulSltIOn qUI mter- vient dans le montage d'une interlangue. Ces différentes caractérisations, sur lesquelles nous reviendrons plus loin, conduisent à envisager une IL c<?mme s~tème li~guistique particulier, soit du point de v~e synchrom9u~, SOIt du pomt de vue diachronique, pour en fourmr des deSCrIptIOns transversales ou longitudinales et pour étudier les modalités de son acquisition, de son développement et de son utili~ation. ?n .a donc là af~aire à U? concept théorique et méthodologIque, defImssant un objet prOVI- soire d'investigation. Comme on le verra, les problèmes méthodo- logiques de description ~t d.'analyse inter~oge?t c~rtains présuppo- sés théoriques, non sans mClde!:ce sur les ImphcatI.ons ~t l~s. a~P?rts en didactique des langues de 1 etude des grammalfes mterIOrIsees. Le caractère naturellement empirique de ces recherches, aussi bien dans un cadre naturel que dans un cadre institutionnel, se manifeste dans la diversité, l'hétérogénéité, voire les divergences des nombreux travaux déjà effectués. Ils vont de la description ponc- tuelle d'échantillons d'interlangues individuelles, qui relèvent sou- vent de l'exercice méthodologique, à l'analyse de corpus étendus, de natures diverses destinés à informer, appuyer ou vérifier certaines hypothèses sur l~ nature et l~ d~ve~opp~~ent des. IL. L'appellati?n d'interlangue ou de grammaIre mterIOrIsee renvoIe dans le premIer cas à des systèmes individuels (des interlangues), dans le second à la caractérisation globale d'un objet conceptuel (l'interlangue). N'y aurait-il de grammaires intério~isées qu'individuelles et par- ticulières? Ou bien peut-on au contraIre poser comfBe postulat ou comme hypothèse que ces grammaires intériorisées relèvent de schèmes communs d'organisation et de développement, comme 217 pour une langue «native» et naturelle? Voire communs avec l'en- semble des langues, sous leurs diversités descriptives? Cette der- nière hypothèse, selon laquelle l'interlangue, comme les pidgins, le langage enfantin et les langues naturelles comporterait et manifes- terait les propriétés spécifiques du langage humain, paraît heuristi- quement riche voire féconde, mais encore invérifiable dans l'état actuel des sciences du langage. La précédente, moins ambitieuse, selon laquelle toute interlan- gue serait dotée de schèmes d'organisation et de développement analogues, mais non identiques à ceux d'une langue naturelle « native », suppose qu'elle puisse relever des mêmes modèles de des- cription, sinon des mêmes descriptions. Or, montrer que les inter- langues comporteraient certaines propriétés spécifiques par rapport aux langues naturelles, ce qui est une autre hypothèse, suppose qu'elles soient au moins en principe et en partie appréhendables à l'aide de modèJes de description utilisables pour celles-là, donnant lieu à des descriptions différentes. Si l'on cherchait à montrer, et cette quatrième hypothèse est la plus faible, que les interlangues individuelles, en regard d'une langue-cible donnée et a fortiori d'une langue maternelle donnée, sont trop différenciées pour rele- ver de modèles descriptifs communs, alors ou bien l'adéquation de ces modèles descriptifs serait à mettre en question, selon l'hypo- thèse précédente, ou bien la notion même d'interlangue ne serait d'aucune portée, d'aucun intérêt, voire d'aucune signification. Le concept d'interlangue ne vaut alors que selon l'hypothèse où il s'inscrit. La nôtre, nuancée, et sous-jacente à ce chapitre, est qu'une interlangue comporte au moins des propriétés essentiellement communes avec les langues naturelles quant à leur organisation et leur développement. Ce qui entraîne comme hypothèses méthodo- logiques qu'elles soient, partiellement au moins, justiciables de mêmes modèles de description sans préjuger ici de l'adéquation de tel modèle particulier; que les descriptions de la langue-cible et de la langue de départ fournissent des repères privilégiés et en tous cas indispensables (bien que non forcément suffisants pour décrire des interlangues), tant dans le cas de langues voisines que de langues très différentes (mais sans ignorer que ces deux cas ne relèvent pas exactement de la même problématique); que, sur cette base, des interlangues rapportées à une langue-cible (et, préférentiellement, à une même langue de départ), sont comparables entre elles, soit diachroniquement, soit synchroniquement: diachroniquement si l'on compare les états successifs de l'interlangue chez un même individu ou entre plusieurs individus; synchroniquement, si l'on compare les interlangues respectives de plusieurs individus à un stade identique ou voisin d'acquisition. Comparer l'interlangue d'un (ou de) Chinois apprenant le swahili et celle d'un (ou de) Français apprenant l'anglais, fût-ce à un stade comparable (en terme de temps et de conditions d'apprentissage) n'a de sens qu'en référence à une hypothèse plus générale, entraî- nant d'autres implications méthodologiques. Une telle tentative présumerait que l'on ait déjà vérifié notre hypothèse précédente, ce 218 li qui n'est pas le cas. Cependant, elle suggère l'intérêt, à l'appui de notre hypothèse, de comparaisons « bilatérales» entre interlangues : c'est-à-dire par exemple entre l'interlangue «japonaise» d'un fran- cophone et l'interlangue «française» d'un japonophone, ou entre celle d'un francophone parlant 1'« italien» et celle d'un italophone parlant « français ». Curieusement, alors que l'analyse contrastive envisageait initialement cette réversibilité, des comparaisons bilaté- rales d'interlangues n'ont pas été effectuées, sinon de façon ponc- tuelle et illustrative dans le cadre différent du bilinguisme ou des contacts de langue, sur des cas d'interférences ou d'emprunts. Les descriptions d'interlangues portent le plus souvent sur des cas indi- viduels, isolément ou comparativement, plus rarement sur des groupes. 2. Quelques aspects de l'interlangue On envisagera ici, à l'aide de quelques exemples, les principaux aspects de l'interlangue et les problèmes qu'ils soulèvent quant à l'approche des grammaires intériorisées. L'examen du micro- système des déterminants dans l'interlangue relativement dévelop- pée d'un anglophone en donnera un premier aperçu. Systématicité et variabilité Il s'agit d'une discussion libre en français sur l'énergie nucléaire entre un anglophone spécialiste de ces questions et un francophone. Dans un premier temps, la confrontation de l'interlangue (IL) avec la langue-cible (LC) fournit le tableau suivant: IL LE DU, DE LA, DE L' LES DES ... - DU DE LA DE L' LES DES Les cases de la diagonale descendante (ici en grisé) marquent les concordances entre interlangue (IL) et langue-cible (LC). Les autres, auxquelles se serait limitée une analyse d'erreurs, marquent les écarts entre IL et Le. Chaque croix correspond à une occur- rence. Ainsi, dans «ils ont trouvé l'uranium enrichi» (le = de l') et «ça présente uploads/Marketing/ l-x27-interlangue-et-ses-descriptions.pdf
Documents similaires
-
19
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 04, 2022
- Catégorie Marketing
- Langue French
- Taille du fichier 1.2383MB