Université Jean Moulin Lyon 3 École doctorale : Lettres: systèmes, images, lang

Université Jean Moulin Lyon 3 École doctorale : Lettres: systèmes, images, langages Les filiations de la théosophie de Jacob Böhme dans la pensée philosophique et spirituelle en langue française entre le XVIIIème et le XXème siècle Louis-Claude de Saint-Martin, Nicolas Berdiaev, Henri Bergson Par Patricia LASSERRE Thèse de doctorat en Philosophie - Études des systèmes Sous la direction de Jean-Jacques WUNENBURGER Présentée et soutenue publiquement le 25 juin 2007 Composition du jury : Jean-Louis VIEILLARD-BARON, Université de Poitiers Jean-Marie Le LANNOU, Université de Versailles Bruno PINCHARD, Université Jean moulin Lyon 3 Jean-Jacques WUNENBURGER, Université Jean moulin Lyon 3 REMERCIEMENTS Mes remerciements les plus sincères à Monsieur le Professeur J. J. Wunenburger qui m’a accordé sa confiance et son soutien tout au long de ce travail, tout en me laissant libre de mes choix. J’aimerais aussi exprimer ma gratitude à Mr Clairambaud, pour m’avoir permis d’accéder aux archives de la bibliothèque de l’AMORC. Merci à Mr Gaston Paravy, qui m’a encouragée vivement à poursuivre la voie de la recherche universitaire. Enfin, je veux remercier tout particulièrement les techniciens informatiques, pour leur précieuse aide, Serge Koskas, Thomas Saupique, et Damien Soares. La métaphysique est un vaste océan, où viennent aboutir tous les fleuves.(…) C’est qu’il n’y a pas une science, pas un art, qui n’aboutisse à la métaphysique, soit médiatement, soit immédiatement (…). Louis-Claude de Saint-Martin, Cahier de Métaphysique, 1. 4 INTRODUCTION La philosophie tout en étant une discipline à part entière, a puisé au cours de son histoire à de nombreuses sources : les physiologues de l’antiquité se sont inspirés des éléments de la nature (l’eau, la terre, le feu ou l’air) pour expliquer la réalité ; Pythagore a démontré que la magie des nombres est à la base de tout ce qui existe ; quant à Socrate et Platon ils ont usé des mythes et des allégories dans le but de légitimer et d’éclairer certains points de leur doctrine philosophique. Lorsqu’on étudie la formation de la pensée philosophique et scientifique de la période antique jusqu’au XVIIIe siècle, on constate d’une part l’entrelacement avoué de la philosophie, de la science et de la théosophie, et d’autre part leur enrichissement réciproque. Il est vrai que beaucoup de grands philosophes étaient également scientifiques, mais aussi initiés à des ordres ésotérique tels que l’Ordre des Rose- Croix par exemple1. Cette recherche vise à mettre en évidence les filiations, les influences, les convergences et les résurgences de la pensée philosophique avec la théosophie, et ce, à travers les personnalités significatives que sont Jacob Böhme, Louis-Claude de Saint-Martin, Nicolas Berdiaev et Henri Bergson. Autrement dit, il sera question d’étudier les rapports entre la rationalité philosophique, le spirituel et l’irrationnel. Le propos de cette étude posera donc la question fondamentale de la créativité et de l’inspiration dans le domaine de la pensée philosophique et spirituelle. On oublie souvent, ou bien on ignore les sources qui ont parfois enrichi et dirigé la réflexion de certains philosophes pour deux raisons principales : premièrement les philosophes qui se sont intéressés à l’ésotérisme ou à la théosophie ont fréquemment masqué leur intérêt pour ce versant occulte de la pensée par crainte d’être mal jugé. De plus les critiques sont souvent passés à coté de ce phénomène parce qu’ils ne le connaissaient pas ou ne voulaient pas le reconnaître2. Il faut également savoir qu’à 1Voir par exemple dans la revue Atlantis, l’article « Mystes et mystiques » concernant Archimède, p. 76 ; et toujours dans la même revue, l’article intitulé « Un Rose-Croix : Leibniz », pp. 129-130. 2 Il n’est pas évident de repérer dans les textes mêmes, comme dans ceux de Bergson par exemple, un quelconque apport ou lien avec la théosophie ou l’ésotérisme surtout lorsqu’on n’a aucune connaissance en la matière. 5 partir du XVIIe et du XVIIIe siècle, en France, les faits paranormaux et le mysticisme s’accompagnaient souvent d’une certaine méfiance due à la vague rationaliste du cartésianisme, et aux Lumières. Il existe à ce propos deux cas de figures ; soit le philosophe retrouve chez un auteur une pensée identique ou semblable à la sienne, ce qui le conforte dans son idée, c’est que j’appellerai la concordance, la filiation ou encore les affinités ; soit la lecture d’un texte, d’une doctrine va faire germer en lui une idée nouvelle, c’est l’influence directe. Il sera donc préférable d’utiliser le terme de filiation, de concordance, de similitude ou de parenté, car il est souvent difficile de savoir quel est le degré d’influence véritable d’une idée ou d’une pensée sur une doctrine philosophique, sauf quand l’auteur l’explicite clairement, comme c’est le cas pour Saint-Martin et Berdiaev par rapport à Jacob Böhme. Depuis les travaux d’Ernst Benz en Allemagne et ceux réalisés en France3 il est apparu que l’idéalisme allemand et toutes les philosophies qui se sont déterminées par rapport à ce mouvement intellectuel prennent racine dans la mystique prophétique de Jacob Böhme. Hegel, Schelling, Hölderlin, Novalis, Tieck et Goethe, pour ne citer qu’eux, louaient tous son génie. A cette époque, en Allemagne, la majeure partie des lettrés et des intellectuels lisait Böhme. Il est d’ailleurs tout à fait surprenant que la redécouverte des écrits böhméens en Allemagne au XIX° siècle se soit effectuée par l’entremise du théosophe français, à savoir Louis-Claude de Saint-Martin, son premier traducteur et porte-parole francophone, il a étudié la langue germanique dans le seul but de pénétrer l’œuvre du cordonnier de Görlitz et de pouvoir la traduire. Ce théosophe français a connu un vif succès en Allemagne de son vivant, de part ses ouvrages personnels et ses traductions de Böhme. Quant à la France elle a presque totalement ignoré ses écrits jusqu’à ce jour. I) Jacob Böhme et la mystique allemande Pour quelles raisons étudier les filiations de ce cordonnier théosophe, aujourd’hui et sur la philosophie française en particulier ? Ses écrits sont presque totalement 3 Par E. Boutroux, A. Koyré, A. Viatte, et plus récemment par Jean-Louis Vieillard-Baron, Pierre Deghaye, et Miklos Vetö entre autre. 6 inconnus dans notre pays, ils méritent d’être mis en lumière car ils révèlent une théosophie complètement originale, d’une profondeur extraordinaire. C’est la raison pour laquelle Böhme à produit un impact considérable dans les milieux philosophiques, artistiques et spirituels du monde entier. Il s’agit de pallier cette lacune et de voir en quoi, à travers l’œuvre de Böhme, les révélations des mystiques peuvent rejoindre certaines doctrines philosophiques, voire inspirer leur élaboration. Il faut savoir que Jacob Böhme a inspiré presque tous les grands philosophes de l’idéalisme allemand. L’influence de la mystique baroque a été telle qu’elle a, tout comme la mystique rhénane avant elle, favorisé l’évolution de la langue allemande. Une difficulté surgit à propos de ce cordonnier atypique. En effet, il est difficile de le classer dans une catégorie de penseurs bien définie, car il est tout à la fois : qualifié de véritable théologien mystique, il est considéré par Hegel comme le père de la philosophie allemande, il serait le plus grand gnostique chrétien aux yeux de Berdiaev, ainsi que le plus profond des psychologues selon Feuerbach ; Böhme est également regardé comme le représentant incontesté de la théosophie allemande. Son œuvre a suscité des interprétations extrêmement diverses et contradictoires du fait de l’évolution constante de sa doctrine, de sa richesse, de sa complexité et de son obscurité. 1) Biographie et bibliographie de Jacob Böhme Jacob Böhme est né en 1575 près de Görlitz, à Alt-Seidenberg en Haute Lusace, dans une famille de classe moyenne et de confession protestante, selon le témoignage de son premier biographe Abraham von Franckenberg. Néanmoins, comme le remarque Gerhard Wehr4, des recherches ont montré que ses parents possédaient des biens terriens, environ trente-cinq hectares, ce qui représentait une certaine somme d’argent. Par conséquent, il appartenait à la petite bourgeoisie. Böhme n’est pas un philosophe au sens moderne du terme, il n’est pas diplômé des universités. A l’école il reçut une éducation de base : lecture et écriture ; puis, ses 4 Gerhard Wehr, Jacob Böhme, « La vie de Jacob Böhme », collection Cahiers de l’Hermétisme, Editions Albin Michel, Paris, (1991). 7 parents décidèrent, vue la fragilité de sa santé de lui faire suivre une formation de cordonnier, plutôt que de l’envoyer travailler aux champs. Suite à son apprentissage, il effectua un voyage de compagnonnage dont on ne sait rien, puis il revint à Görlitz en 1594. Le 24 avril 1599 il demanda et obtint le statut de citoyen de Görlitz, puis il s’établit à son compte le même jour. Le 10 mai de cette année il se maria à la fille d’un boucher bourgeois, Katharina Kuntzschmann, ils eurent quatre garçons. La naissance du premier d’entre eux le 29 janvier 1600, coïncide avec la période de sa première vision. Celle-ci fut pour Böhme une véritable révélation, elle donna le coup d’envoi à sa créativité théosophique. En effet, le jeune cordonnier a 25 ans quand il est subitement frappé, et ce pour la première fois, par une révélation surnaturelle et divine. Celle-ci survint à la vue d’un jeu de lumière « jovial » sur uploads/Philosophie/ 2007-out-lasserre-p-pdf.pdf

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