© Lo Sguardo - rivista di filosofia - ISSN: 2036-6558 N. 14, 2014 (I) - Wilhelm

© Lo Sguardo - rivista di filosofia - ISSN: 2036-6558 N. 14, 2014 (I) - Wilhelm Dilthey: Un pensiero della struttura 195 Articoli/11 L’herméneutique, de Dilthey à Heidegger di Guillaume Fagniez Articolo sottoposto a peer review. Ricevuto il 22/07/2013. Accettato il 15/09/2013. Despite the usual genealogies of hermeneutics, Heidegger’s appropriation of Dilthey’s philosophy only deals marginally with hermeneutics. Nevertheless, this paper aims to shed light on elements in favour of an implicit continuity in hermeneutics from Dilthey to Heidegger. Against the general background of the conception of life as self- interpretation, which allows the ontological radicalisation of Dilthey’s hermeneutical concepts, some diltheyan historical and aesthetical paradigms prove to be at work in Heidegger’s first phenomenology of life. “Destruction” itself, the very core of Heidegger’s concept of hermeneutics, can be partially traced back to diltheyan sources. *** Les «généalogies convenues»1 de l’herméneutique retiennent, au tournant des xixe et xxe siècles, une histoire faite de deux «renversements coperniciens»2 successifs: avec Dilthey d’abord une «généralisation» de l’herméneutique qui fait d’elle une discipline «fondamentale»; puis chez Heidegger sa radicalisation «ontologique», qui accomplirait le dépassement décisif d’une entreprise diltheyenne empêtrée dans ses contradictions: critique de la raison historique d’une part, philosophie de la vie historique d’autre part, la pensée de Dilthey, sous l’effet de ce que Gadamer a nommé un «cartésianisme persistant»3, n’aurait pas été en mesure d’aboutir; de sorte qu’il serait revenu à Heidegger de «dégager» l’«intention philosophique»4 de Dilthey en annexant le problème critique à la question de l’être. 1 Cfr. D. Thouard, Dilthey et la naissance de l’herméneutique en 1900, in F. Worms (éd.), Le moment 1900 en philosophie, Paris 2004, p. 176, qui mentionne notamment Ricœur et Vattimo parmi les auteurs de «généalogies convenues allant de la Réforme à Gadamer en passant par les étapes convenues que sont Schleiermacher, Dilthey et Heidegger». 2 P. Ricœur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris 1998, p. 97. 3 H.-G. Gadamer, Wahrheit und Methode. Grundzüge einer philosophischen Hermeneutik, Gesammelte Werke Band 1, Tübingen 1986, p. 241; Vérité et méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, tr. fr. P. Fruchon, J. Grondin, P. Merlio, Paris 1996, p. 257. (Gadamer parle littéralement d’un «cartésianisme non résolu [unaufgelöster Cartesianismus]», «non dissipé».) 4 H.-G. Gadamer, Wahrheit und Methode, GW 1, p. 247; tr. fr. p. 263. Le récit de cette rupture est d’autant plus digne de foi qu’il peut s’autoriser de la parole même de Heidegger: dans un cours de 1923 auquel Gadamer a d’ailleurs assisté5, Heidegger évoque la «limitation funeste» du concept d’herméneutique que Dilthey reprend à Schleiermacher dans l’essai de 1900 sur La naissance de l’herméneutique, où elle est entendue «comme “fixation de règles pour la compréhension” (“art d’interpréter les monuments écrits”)». Certes, Dilthey «lui [=l’herméneutique] a donné un fondement grâce à une analyse de la compréhension comme telle»; mais toute sa perspective reste guidée, selon Heidegger, par une «méthodologie des sciences herméneutiques de l’esprit»6. Ce renvoi de Dilthey à une conception traditionnelle de l’herméneutique – à rapprocher de la récusation globale par Heidegger de la «critique de la raison historique», en tant qu’elle ferait avorter le véritable projet de Dilthey, celui de penser l’historicité – peut expliquer que l’herméneutique joue un rôle si marginal dans la réception explicite par Heidegger de l’œuvre du philosophe berlinois: contrairement à ce qu’une illusion d’optique rétrospective pourrait laisser croire7, aux yeux du jeune Heidegger, Dilthey n’est pas, ou pas d’abord, le représentant d’une philosophie «herméneutique»8. Si donc Heidegger vient se situer dans une histoire de l’herméneutique – par cela même, peut-être, qu’il rompt décisivement avec elle –, force est de constater que les points de contacts explicites avec cette tradition, plus précisément avec l’herméneutique diltheyenne, sont ténus. Le passage de l’herméneutique de Dilthey à Heidegger paraît donc devoir être décrit d’abord comme une situation authentiquement historique, où ce qui est reçu s’intègre chez le successeur avant toute distanciation à l’égard du devancier. Ce sont ces lignes qui marquent une continuité entre les deux auteurs que nous chercherons ici à faire affleurer, lignes qu’il nous faudra donc chercher plutôt dans l’implicite du texte heideggérien, en y relevant les signes d’une action souterraine, pour ainsi dire en sous-main, de l’herméneutique de Dilthey. 5 C’est même le premier cours de Heidegger auquel Gadamer ait assisté (Cfr. J. Grondin, H.-G. Gadamer. Eine Biographie, Tübingen 1999, p. 117 sqq.). 6 M. Heidegger, Ontologie. Hermeneutik der Faktizität, GA 63, hrsg. v. K. Bröcker- Oltmanns, Frankfurt a. M. 1988, p. 14. (Cfr. également GA 63, p. 68.) La définition de l’herméneutique comme «­ Kunstlehre der Auslegung von Schriftdenkmalen» se trouve dans W. Dilthey, Die Entstehung der Hermeneutik, in Die geistige Welt, GS V, hrsg. v. G. Misch, Leipzig & Berlin 1924, p. 320 (Œuvres 7: écrits d’esthétique, tr. fr. D. Cohn et E. Lafon, Paris 1995, p. 294). L’expression «Regelgebung des Verstehens» en revanche ne paraît pas être une citation exacte de Dilthey. 7 Illusion qui tient originellement à la première réception de Dilthey qui, comme Gadamer l’a lui-même remarqué (Cfr. Wahrheit und Methode, GW 1, p. 222-223; tr. fr. p. 238-239), a été perturbée par la force d’attraction subitement exercée par la pensée de Heidegger. La concomitance de la parution des premiers volumes des œuvres de Dilthey (notamment le vol. VII) et de celle de Sein und Zeit n’y est pas pour rien. 8 C’est seulement dans Sein und Zeit, c’est-à-dire dans la dernière phase de la réception de Dilthey par Heidegger que l’herméneutique est explicitement nommée et placée au centre du propos. (Cfr. Sein und Zeit, GA 2, hrsg. v. F.-W. von Herrmann, Frankfurt a. M. 1977, p. 97; Être et Temps, tr. fr. F. Vezin, Paris 1986, p. 463.) © Lo Sguardo - rivista di filosofia - ISSN: 2036-6558 N. 14, 2014 (I) - Wilhelm Dilthey: Un pensiero della struttura 197 La vie comme auto-compréhension Le «premier tournant “herméneutique”»9 de la phénoménologie, chez Heidegger, s’oppose à la philosophie réflexive de Husserl en tirant parti d’éléments qui chez Dilthey lui-même ont permis le passage de la fondation psychologique à la fondation herméneutique des sciences de l’esprit, en prolongeant donc un mouvement interne à la pensée de Dilthey: la notion de structure, dans les sens divers qu’elle revêt chez Dilthey, est le pivot de ce tournant. Ce qui prépare d’abord ce tournant herméneutique, c’est ce qu’on peut appeler schématiquement, avec certains commentateurs, le «pragmatisme» de Dilthey10. Celui-ci commence avec le rejet d’une subjectivité abstraite purement définie par l’activité représentative, au profit d’un «soi concret», englobant «la totalité de notre être qui veut et qui sent en même temps qu’il se représente»11. Ce point de départ est décisif, puisqu’il fait envisager le rapport au monde comme constitutif de l’existence, et cela selon une modalité non-cognitive, non-théorique. La coappartenance originaire du soi et du monde – premier sens de la structure chez Dilthey –, fondée dans l’«expérience vivante de la volonté»12 – et l’«expérience de la résistance» qui lui est corollaire13 –, par opposition à l’intentionnalité husserlienne, a une dimension d’entrée de jeu «pratique». Accès «pratique» au monde qui donne un poids tout particulier à la finalité, qui constitue l’horizon ultime de la vie psychique: l’«ensemble psychique» est toujours caractérisé par Dilthey comme un ensemble téléologique, finalisé14, où s’articulent d’ailleurs la cohérence présente, diachronique, de la psychè – l’intégration des différentes fonctions dans un véritable «ensemble fonctionnel»: tel est le deuxième sens de la structure – et le développement dans le temps qui lui est tout aussi essentiel. Heidegger en viendra comme on le sait, dans la première section d’Être et Temps, à envisager le monde lui-même comme un ensemble finalisé de ce genre, à l’horizon duquel se trouve le «souci» dont dépend toute sa «réalité»15. Mais dès son tout premier cours de Fribourg, 9 Cfr. F. Dastur, Heidegger. La question du Logos, Paris 2007, p. 55. 10 Cfr. p. ex. M. Jung, “Das Leben artikuliert sich”. Diltheys performativer Begriff der Bedeutung: Artikulation als Fokus hermeneutischen Denkens», in «Revue Internationale de Philosophie», n° 226, 4/2003, p. 445 sqq. 11 W. Dilthey, Einleitung in die Geisteswissenschaften, GS I, hrsg. v. B. Groethuysen, p. xix; Introduction aux sciences de l’esprit, in Œuvres 1, tr. fr. S. Mesure, p. 149. Dilthey cite lui-même ce passage de la préface de l’Introduction dans l’essai sur la réalité (Cfr. Beiträge zur Lösung der Frage vom Ursprung unseres Glaubens an die Realität der Außenwelt und seinem Recht, in GS V, p. 97-98; tr. fr. p. 102-103). 12 W. Dilthey, Beiträge zur Lösung der Frage vom Ursprung unseres Glaubens an die Realität der Außenwelt und seinem Recht, in GS V, p. 105; Le monde de l’esprit, tome I, tr. fr. M. Remy, Paris 1947, p. 109-110. 13 Cfr. W. Dilthey, Beiträge zur Lösung der Frage vom Ursprung unseres Glaubens an die Realität der Außenwelt und seinem Recht, in GS V, p. 98 sqq.; Le monde de l’esprit, t. I, p. 103 sqq. 14 Cfr. notamment W. Dilthey, Ideen über eine beschreibende und zergliedernde Psychologie, in GS V, p. 207 sqq.; Le monde de l’esprit, t. I, p. 212 sqq. 15 Cfr. M. Heidegger, Sein uploads/Philosophie/ 2014-14-guillaume-fagniez-hermeneutique-de-dilthey-a-heidegger.pdf

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