Collection PERSPECTIVES ANGLO-SAXONNES dirigée par Alain Morvan FREDERIC REGARD
Collection PERSPECTIVES ANGLO-SAXONNES dirigée par Alain Morvan FREDERIC REGARD L'écriture féminine en Angleterre édition : 2002, novembre © Presses Umversitaires de France, 2002 Introduction Entre la « D. S. » Il n'y a pas d'universalité de la féminité. La féminité est un mythe, tout comme la masculinité, car ces deux modalités de l'être sont le fruit d'un discours, c'est-à-dire d'un jeu de pouvoir qui n'exclut pas même la constitution de la femme en tant qu'objet d'étude du féminisme1. Foucault l'explique clairement : le pouvoir discursif produit» Il produit le réel, c'est-à-dire les objets et les individus, les rapports que ceux- ci entretiennent avec ceux-là, la connaissance, la vérité, le savoir. « Il produit du réel ; il produit des domaines d'objets et des rituels de vérité. L'individu et la connaissance qu'on peut en prendre relèvent de cette production. »2 Pour le critique littéraire, le sexe biologique n'importe à aucun prix ; tout juste pourrait-on avancer que « le sexe » lui aussi est le produit d'un contexte, d'un système de rapports. Il existe donc bien une « sexualité » du texte, mais pas d'origine biologique contrôlée. Le critique doit ainsi s'efforcer de repérer deux mécanismes : 1 / les procédures d'individuation, 2 / les tactiques capables de forcer le point faible de la machine de pouvoir. Une « syntaxe obligée » (Foucault) se dessine, qui doit être décelée avant que de saisir ce qui peut aussi y germer, une autre grammaire du sujet. Autrement dit, le critique doit d'abord comprendre qu'il n'y a pas d'âme féminine, de sensibilité féminine, d'esprit féminin, pas plus qu'il n'y a d'essentialité de la masculinité, de la folie, de la perversité, de la souveraineté. Il faut considérer que le sujet qui 1Voir Judith Butler, Gender Trouble : Feminism and the Subversion of Identity, Londres / New York, Roudedge, 1990, p. 2-3. 2Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard « Tel », 1975, p. 227 Page 8 connaît, que les objets à connaître, que les modalités de la connaissance sont autant d'effets des implications du pouvoir-savoir et de leurs transformations historiques1. Nous verrons ici que c'est cette prise de conscience de la dimension sociale, culturelle, discursive de la féminité qui a donné à la pensée féministe de la deuxième moitié du XXe siècle son outil méthodologique le plus puissant. Si la féminité se définit aujourd'hui comme un mythe, c'est qu'un concept s'est façonné sur ces bases, un concept que les Anglo-Saxons ont su nommer, celui de gender : « Gender îs a primary way of signifying relationships of power. It might be better to say, gender is a primary field within which or by means of which power is articulated. »2 Ce que le français entend maladroitement par « différence sexuelle », terme que nous éviterons, par conséquent, doit nécessairement correspondre à ce qui est en jeu dans la notion de gender. Lyotard l'explique à merveille : ladite « différence des sexes » n'est pas plus exempte d'impérialisme masculin que de son contraire. La thèse de la « différence » dit simplement que les êtres humains peuvent être répartis en deux catégories, selon qu'ils sont nantis d'un pénis ou non, et même le mouvement des femmes peut jouer le jeu du phaliocentrisme en revendiquant ce dont le Corpus socians, c'est-à-dire la communauté d'hommes libres parlant la langue hellène, 1 2Joan W. Scott, « Gender : A Useful Category of Historical Analysis », Feminism and Historv, Oxford / New York, Oxford University Press, 1996, p. 169. l'accable : le sentiment, l'intuition, le pathos, bref, l'irresponsabilité1. Aujourd'hui encore, le terme de gender lui-même sert souvent à cautionner un savoir de la différence sexuelle qui perpétue de fait les mythes de la féminité et de la masculinité. La féminité n'a donc jamais été taboue ; bien au contraire, le pouvoir s'organise toujours autour de cette logique binaire et hiérarchisante de « la différence » : l'Un ne se conçoit pas sans son autre, le Même sans la différence. L'Histoire des hommes, dans leurs luttes, dans leurs rapports de force, s'écrit peut-être dans le jeu du travail, comme le voulait Marx, mais avant le travail s'inscrit le jeu de « la différence sexuelle » qui polarise des termes interdépendants. Ce processus est ce que nommerons « la sexuation », par f, Pans, UGE, « 10/18 », 1977, p. 227 sq. Joan W. Scott, « Gender : A Useful Category of Historical Analysis », Feminism and Historv, Oxford / New York, Oxford University Press, 1996, p. 169. Page 9 quoi nous entendrons le jeu des identifications résultant d'une image induite par les discours dominants2. On a depuis longtemps montré que même sous le règne de Victoria, la sexualité avait, en réalité, été au centre de toutes les préoccupations3. Il faut le 1 2À ce sujet, voir Drucilla Cornell, Ai the Heart o/Freedom : Feminism, Sex and Equality, Princeton, Princeton University Press, 1998, p. 6 sq. Il est à noter que Cornell se défie du terme de gender, qui ne prend pas suffisamment en compte, dit-elle, « the space of interlocution ». 3Voir M. Mason, The Making of Victorian Sexuality, Londres, Macmillan, 1995, et Judith Walkowitz, Prostitution in Victorian Society ; Women, Class and the State, ( Cambridge, Cambridge University Press, répéter : la féminité est une connaissance produite par le pouvoir, c'est-à-dire la culture, les relations sociales, les institutions, les structures familiales, les rituels quotidiens. Chacun des deux éléments ne fait sens que par rapport à l'autre, en regard de l'autre, dans un système tel que l'absence de l'un des éléments menace l'ensemble du système lui-même. Ce dispositif de sexuation est le véritable inconscient de notre Histoire, un inconscient « idéologique » donc, qui repose sur une « méconnaissance imaginaire du moi »1. Qu'est-ce qu'être féministe ? C'est prendre conscience de cette structure imaginaire, qui, selon Althusser, existe non seulement sous forme de concepts et de discours, mais aussi sous forme d'attitudes, de gestes, de conduites, d'intentions, d'aspirations, de refus, de permissions, d'interdits, etc.2. C'est voir que les manifestations sociales ne sont pas celles d'une essence, mais celles d'un système qui fonctionne en produisant des effets, et que le discours de cet inconscient a pour ambition absolue de produire un effet de subjectivité3. Etre féministe, c'est voir que l'idéologie fabrique des sujets et, dirait encore Althusser, les « interpelle » à une fonction définie, où les réponses aux questions sont garanties, où la méconnaissance est confortée ou 1980. 1Louis Althusser, Écrits sur la psychanalyse, Paris, Stock/lMEC, 1993, p. 45 2. 3 renforcée. Etre féministe, c'est voir que la position du sujet varie en fonction du discours, que le rapport du sujet au discours n'est pas le même selon la place que l'on occupe. Etre féministe, c'est se voir sommé (e) de produire une contre-interpellation pragmatique, dont l'effet sera de déplacer la fonction-sujet et cet effet discursif nommé « féminité ». Tout le problème étant de ne pas se laisser happer par le dualisme, afin de ne pas fournir au système les arguments de sa propre perpétuation. connaît, que les objets à connaître, que les modalités de la connaissance sont autant d'effets des implications du pouvoir-savoir et de leurs trans- formations historiques1. Nous verrons ici que c'est cette prise de conscience de la dimension sociale, culturelle, discursive de la féminité quia donné à la pensée féministe 1 Notes À ce sujet, voir Drucilla Cornell, Ai the Heart o/Freedom : Feminism, Sex and Equality, Prin¬ceton, Princeton University Press, 1998, p. 6 sq. Il est à noter que Cornell se défie du terme de gender, qui ne prend pas suffisamment en compte, dit-elle, « the space of interlocution ». Voir M. Mason, The Making of Victorian Sexuality, Londres, Macmillan, 1995, et Judith Walkowitz, Prostitution in Victorian Society ; Women, Class and the State, ( Cambridge, Cambridge University Press, 1980. Louis Althusser, Écrits sur la psychanalyse, Paris, Stock/lMEC, 1993, p. 45 Page 10 C'est précisément ici que se noue l'intngue qui finit par pousser le féminisme vers un « postféminisme ». Judith Butler le dit clairement : dès lors que les catégories oppositionnelles sont pensées comme les productions culturelles d'un savoir-pouvoir, le féminisme n'a pas d'autre choix que de se redéfinir, voire de se remettre en cause 1. Certes, cette évolution au sein du féminisme a pris une kyrielle de directions plus ou moins cohérentes2. Reste ce que l'on pourrait peut-être considérer comme un facteur commun du « postféminisme » : si l'on admet que les événements empiriques, la subjectivité elle-même, n'ont de réalité que dans et par le discours, dont la psychanalyse souligne qu'il peut se doubler du truchement d'un autre langage, ayant ses règles propres, ses symboles et sa syntaxe, il faut également accepter la possibilité, pour le langage, de percevoir deux notions contradictoires tout en se réservant la possibilité d'exprimer ces notions en tant qu'identiques. Cette relation ferait dès lors échec à l'esprit de système : tout y serait soi-même et autre à la fois, le langage offrant la possibilité au sujet interpellé par l'idéologie le moyen de se uploads/Philosophie/ ecriture-feminine-angleterre.pdf
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- Publié le Apv 30, 2022
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