Crise de l’objet/1936 – A Crise do objeto BRETON, André. Le Surrealisme Et La P
Crise de l’objet/1936 – A Crise do objeto BRETON, André. Le Surrealisme Et La Peinture. 2002, Ed. Gallimard. Regrettons de n'avoir pas encore à notre disposition un volume d'histoire comparée qui nous permette de saisir le développement parallèle, au cours de ce dernier siècle, des idées scientifiques, d'une part, poétiques et artistiques, d'autre part. Je prendrai pour repères deux dates, littérairement des plus significatives: 1830, à quoi l'on fixe l' apongée du mouvement romantique, 1870 d'où partent, avec IsidoreDucasse et Arthur Rimbaud, les nouveaux frissons qui vont être ressentis de plus enplus profonfément jusqu'à nous. Il est du plus vif intérêt d'observer que la première de ces dates coïncide avec celle de la découverte de la géométrie non-euclidienne qui ébranle à sa base même l'edifice cartésien-kantien et ouvre, comme on a fort bien dit, le rationalisme. À cette ouverture du rationalisme me paraît correspondre étroitement l'overture du réalism antérieur sous la pression des idées romantiques proprement dites: nécessité de fusion de l'esprit et du monde sensible, appel au merveilleux. De même, on ne pourra manquer d'être frappé par le fait que c'est en 1870 qu'il est donné aux mathématiciens de concevoir une geométrie généralisée qui intégre à un système d'ensemble, au même titre que toute autre, la géométrie euclidienne et fasse justice de sa passagère négation. Il s'agit ici d'une contradiction surmontée du même type que celle que Ducasse et Rimbaud, dans un auntre domaine, prennent alors pour tremplin, dans le dessein de provoquer le bouleversement total de la sensibilité: mise en déroute de toutes les habitudes rationnelles, éclipse du bien et du mal, réserves expresses sur le cogito, découverte du merveilleux quotidien. Le dédoublement de la personnalité géométrique et celui de la personnalité poétique se sont effectués simultanément. Au besoin imperieux de déconcrétiser les diverses geométries pour libérer en tous sens les recherches et permettre la coodination ultérieure des résultats obtenus, se superpose rigoureusement le besoin de rompre en art les barrières qui séparent le déjà vu du visible, le communément éprouvé de l'éprouvable, etc. La pensée scientifique et la pensée artistique modernes présentent bien à cet égard la même structure: le réel, trop longtemps confondu avec le donné, pour l'une comme pour l'autre s'étoile dans toutes les directions du possible et tend à ne faire qu'un avec lui. Par application de l'adage hégelien: <<Tout ce qui est reel est rationnel, et tout ce qui est rationnel est reel>>, on peut s'attendre à ce que le rationnel épouse en tous points la démarche du réel et, effectivement, la raison d'aujourd'hui ne se propose rien tant que l'assimilation continue de de l'irrationnel, assimilation durant laquelle le rationnel est appelé à se réorganiser sans cesse, à la fois pour se raffermir et s'accroître. C'est en ce sens qu'il faut admettre que le surréalisme s'accompagne nécessairement d'un surrationalisme qui le double et le mesure. L'introduction récente, par M.Gaston Bachelard, dans le vocabulaire scientifique du mot surrationalisme qui aspire a rendre compte de toute une methode de pensée, prête un surcroît d'actualité et de vigueur au mot surrealisme, dont l'acception jusqu' ici était restee strictement artistique. Encore une fois l'un des deux termes vérifie l'autre: cette constatation suffit à mettre en evidence l'esprit commun, fondamental, qui anime de nos jours les recherches de l'homme, qu'il s'agisse du poète, du peintre ou du savant. De part et d'autre, c'est la même démarches d'une pensée en rupture avec la pensée millénaire, d'une pensée non plus réductive mais indéfiniment inductive et extensive, dont l'objet, au lieu de se situer une fois pour toutes en deçà d'elle-même, se recrée à perte de vue au delà. Cette pensée ne se découvrirait, en dernière analyse, de plus sûre génératrice que l'anxiété inhérente à un temps oú la fraternité humaine fait de plus en plus défaut, cependant que les systèmes les mieux constitués - y compris les systèmes sociaux - entre les mains de ceux qui s’y tiennent, paraissent frappés de pétrification. Elle est, cette pensée, deliée de tout attachement à tout ce qui a pu être tenu pour définitif avant elle. Éprise de son seul mouvement. Cette pensée se caractérise essentiellement par le fait qu'y préside une volonté d'objectivation sans précédent. Que l'on comprenne bien, en effet, que les objets mathématiques, au memê titre que les objets poétiques, se recommandent de tout autre chose, aux yeux de ceux qui les ont construits, que de leurs qualités plastiques et que si, d'aventure, ils satisfont à certaines exigences esthétiques, ce n'en serait pas moins une erreur que de chercher à les apprécier sous ce rapport. Lorsque , par exemple, en 1924, je proposais la fabrication et la mise en circulation d'objets apparus en rêve, l'accession à existence concrète de ces objets, en dépit de l'aspect insolite qu'ils pouvaient revêtir, était bien plutôt envisagée par moi comme un moyen que comme une fin. Certes j'étais prêt à attendre de la multiplication de tels objets une dépréciation de ceux dont l' utilité convenue (bien que souvent contestable) encobre le monde dit reel; cette dépréciation me semblait très particuliérement de nature à déchaîner les puissances d'invention qui, au terme de tout ce que nous pouvons savoir du rêve, se fussent exaltées au contact des objets d'origine onirique, véritables désirs solidifiés. Mais, par-delà la création de tels objets, la fin que je poursuis n'était rien moins que l'objetivation de l'activité de rêve, son passage dans la réalité. Une volonté d'objectivation analogue touchant cette fois l'activité inconsciente de veille, se fait jour à travers les <<objets à fonctionnement symbolique>> définis en 1931 par SalvadorDali et, d'une manière generale, a travers tous ceux qui relèvent de ces deux catégoires ou de catégories connexes. Tout le pathétique de la vie intellectuelle d' aujourd'hui tient dans cette volonté d'objectivation qui ne peut connaître de trêve et qui renoncerait à elle-même en s'attardant à faire valoir ses conquêtes passées. Il n'est pas de raison qui (p.356) puisse se tenir durablement pour acquise et négliger, de ce fait, la contradiction qui est toujours prête à lui apporter l'expérience. C'est avant tout la poursuite de l'expérience qui importe: la raison suivra toujours, son bandeau phosphorescent sur les yeux. De même que la physique contemporaine tend à se constituir sur des schémes non- euclidiens, la création des <<objets surrealists>> répond à la nécessité de fonder, selon l'expression décisive de PaulEluard, une veritable physique de la poesie. De même que voisinent dès maintenant, sur les tables des instituts mathématiques du monde entier, des objets construits, les uns sur des données euclidiennes, les autres sur des données non-euclidiennes,d'aspect également troublant pour le profane, objets qui n'en entretiennent pas moins dans l'espace tel que nous le concevons generalement les relations les plus passionnantes, les plus equivoques, les objets qui prennent place dans le cadre de l'exposition surrealiste de mai 1936 sont avant tout de nature à lever l'interdit résultant de la répetition accablante de ceux qui tombent journellement sous nos sens et nous engagent à tenir tout ce qui pourrait être en dehors dehors d'eux pour illusoire. Il importe à tout prix de fortifier les moyens de défense qui peuvent être opposés à l'envahissement du monde sensible par les choses dont, plutôt par habitude que par necessité, se servent les hommes. Ici comme ailleurs traquer la bête folle de l'usage. Ces moyens existent: le sens commun ne pourra faire que le monde des objets concrets, sur quoi se donde sa détestable souveraineté , ne soit mal gardé, ne soit miné de toutes parts. Les poètes, les artistes se rencontrent avec les savants au sein de ces <<champs de force>> créés dans l'imagination par le rapprochement de deux images différentes. Cette faculté de rapprochement des deux images leur permet de s'elever audessus de la considération de la vie manifeste de l'objet, qui constitue généralement une borne. Sous leurs yeux, au contraire, cet objet, tout achevé qu'il est, retourne à une suite ininterrompue de latences qui ne lui sont pas particulières et appellent sa transformation. La valeur de convention de cet objet disparaît pour eux derriére sa valeur de représentation,qui les entraîne à mettre l'accent sur son côté pittoresque, sur son pouvoir évocateur. Qu'est-ce, écrit M.Bachelard, que la croyance à la réalité.quelle est la fonction métaphysique primordiale du réel? C'est essentiellement la conviction qu'une entité dépasse son donné immédiat, ou, pour parler plus clairement, c'est la conviction que (c'est moi qui souligne)l'on trouvera plus dans le réel caché que dans le donné immédiat. Une telle affirmation suffit à justifier d'une manière éclatante la démarche surrealiste tendant à provoquer une revolution totale de l'objet: action de le détourner de ses fins en lui accolant un nouveau nom et en le signant, qui entraîne la requalification par le choix (ready made Marcel Duchamp); de le montrer dans l'état où l'ont mis parfois les agents extérieurs, tels les tremblements de terre, le feu et l'eau; de le retenir en raison même du doute qui peut peser sur son affectation antérieure, de l'ambiguité résultant de son conditionnement totalement ou partiellement irrationnel, qui entraîne la dignification par la trouvaille (objeto trouvé) et laisse uploads/Philosophie/ crise-de-l-x27-objet-andre-breton-1936.pdf
Documents similaires










-
35
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 21, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2015MB