© Les Éditions du Volcan, 2 022 ISBN : 979-10-97339-44-9 © Maquette et mise en
© Les Éditions du Volcan, 2 022 ISBN : 979-10-97339-44-9 © Maquette et mise en pages : Les Éditions du Volcan Illustration de la couverture Umberto Boccioni, Dinamismo di un cyclista, 1913. © Gianni Mattioli Collection, on long-term loan to the Peggy Guggenheim Collection. Reproduction, même partielle, interdite. Les Éditions du Volcan SPORT ET MÉRITE HISTOIRE D’UN MYTHE Philosophie politique du corps en démocratie RAPHAËL VERCHÈRE Préface de Philippe LIOTARD 9 TOUT LE MONDE EX AEQUO Préface à Raphaël Verchère « Les Français aiment les débats sur les idées, même si ce sont des débats un peu primaires », disait Jankélévitch en mai 1980 à Radio-Canada. Et qu’y a-t-il de plus primaires que les débats autour du sport, passe-temps futile alimenté d’une passion partisane ? Ils sont primaires, au sens strict, c’est-à-dire qu’ils sont au commen cement de débats plus larges. Par exemple, on discute de ce qui se dit dans une tribune, des insultes qui y fusent, des slogans qui s’y profèrent et on en vient à penser comment se construit l’identité, à se demander ce qu’est la masculinité, ce qu’est l’homosexualité, ce qu’est une femme, ce qu’est la race. On en vient à discuter des valeurs qui guident les comportements, à convoquer des mots comme respect, travail, mérite, fierté, inclusion, le terme d’éthique peut même surgir dans la conver sation. D’autres mots aussi peuvent apparaître plus discrètement comme violence (y compris sexuelle), maltraitance, harcèlement, discriminations, inégalités, vulnérabi lités. On parle d’arbitre assistant vidéo (VAR pour video assistant referee) et on en vient à la condition humaine, à l’erreur, à la surveillance de tous par tous, à la société du contrôle par les machines et les algorithmes. Il est là le caractère primaire du débat sportif. En parlant de sport, en discutant du mérite qui s’y attribue, on parle de bien d’autres choses. Et c’est alors que Raphaël Verchère surgit avec Sport et mérite : histoire d’un mythe. Le sous-titre – Philosophie politique du corps en démocratie – nous plonge dans un débat d’idées et les idées, Raphaël Verchère sait les travailler. Son récit raconte comment se construit un mythe et, le racontant, le détruit. Il ana lyse l’ordre sportif, autant dire l’ordre des choses, l’ordre du monde désormais – qui est aussi l’ordre du discours. Il pose le dispositif sportif comme un formidable outil à produire du désir. En produisant du désir, le sport inculque un ordre et en montrant comment cet ordre se constitue, se perpétue, se rationalise et s’apprend, Raphaël Verchère permet non seulement de comprendre pour comprendre (nous ouvrant à 10 une véritable intelligence des logiques, des mécanismes, des fondements philoso phiques du sport) mais encore fournit-il des outils autorisant à ne pas conserver cet ordre, à ne pas s’y soumettre, pour au contraire en produire un nouveau, plus respec tueux, plus égalitaire, plus juste, plus inclusif. La fine pensée critique qu’il déploie tout au long du livre est en effet tout sauf une soumission à l’ordre établi. Son ouvrage ne sert pas à l’affirmation sportive, ni à l’apologie de l’Olympisme. Dire que ce livre sur le mérite sportif mérite d’être lu n’est pas une facilité de préfacier. Car un livre de philosophie qui s’ouvre par un exergue de Michel Foucault invitant à « critiquer le jeu des institutions apparemment neutres et indépendantes ; de les critiquer et de les attaquer de telle manière que la violence politique qui s’exerçait obscurément en elles soit démasquée et qu’on puisse lutter contre elles » et se concluant par un autre exergue emprunté cette fois-ci à Tocqueville qui affirme que « les hommes ne fonderont jamais une égalité qui leur suffise », un tel livre mérite, assurément d’être lu. A minima, sa lecture justifie l’exigence d’une pensée critique et annonce la désil lusion de l’accès à l’égalité par le sport, pratique dont la structuration institutionnelle se fonde au contraire sur l’exigence d’inégalité. Raphaël Verchère a proprement montré comment fonctionne ce dispositif. Prenant le sport comme objet, il en fait une histoire des idées qui le composent, le définissent et le régulent, idées qui s’immiscent jusque dans les règles et les codes les plus absurdement précis. Il a patiemment opéré la généalogie de ce dispositif qui, aujourd’hui, s’impose comme la seule manière de jouer qui vaille et la seule manière d’accéder au mérite corporel. Sa généalogie du dispositif sportif dévoile celle du mérite. La méritocratie spor tive, en effet, s’est déplacée du « champion aristocrate bien né », qui ne s’entraînait ni ne se spécialisait, toujours libre de s’imposer un effort superflu, au « champion méritant travailleur », qui, au contraire, se soumet aux exigences de comparaison et de classement et devient très jeune un ou une hyper-spécialiste d’une manière de jouer, finalisée par la recherche de dépassement d’autrui et dont la motricité se réduit à une efficacité bio-mécanique qu’il est alors possible de quantifier. En bon archéologue des idées, Raphaël Verchère a creusé la terre sèche et lézardée des idées reçues sur les valeurs du sport, jusqu’à atteindre des fondements idéolo giques, épistémologiques et politiques du sport contemporain. En cela, son propos échappe à la superficialité des philosophes qui, dotés de compétences académiques, se mettent à discourir sur le sport à partir de leur seul engagement émotionnel, de leur seule passion. Cycliste et triathlète, Raphaël Verchère aurait pu faire de même, se laisser aller à l’apologie du sport qu’il connaît depuis sa chair. Mais l’analyse 11 qu’il fait des textes fondateurs de l’idéologie sportive détaille avec lucidité les pistes qui permettent de comprendre comment le sport (au même titre que le scoutisme selon Daniel Denis) constitue une véritable ruse de l’histoire par laquelle des « "jeux d’enfants", volontiers considérés comme anodins si ce n’est même insignifiants1 », ont pu tout à la fois participer à la formation d’une jeunesse acquise tantôt aux nationalismes, tantôt à la lutte contre le colonialisme, tantôt à la soumission aux exigences du capitalisme le plus destructeur. Cette analyse critique des textes fonda teurs résume bien la soumission à un ordre inégalitaire, rendue possible par le désir de jouer : « Plutôt que d’éliminer la cause des frustrations, faire faire plutôt du sport pour que les tensions s’apaisent. » La valeur de Sport et mérite tient dans ce minutieux travail d’analyse critique, dans l’étude subtile et approfondie de la naissance du sport contemporain, naissance qui s’accompagne d’un discours de rationalisation, également décortiqué, concep tualisé, et d’une transformation qui a elle-même collé aux transformations sociales, sinon les a précédées. Sur ce dernier point, toutefois, on ne peut que constater que le mythe égalitaire alimenté par le discours sportif engendre des résistances à certaines transformations, ce qui conduit les institutions sportives à inventer des règlements discriminatoires favorisant l’exclusion de certains (plus précisément de certaines) athlètes de la pratique tout en la justifiant par l’argument d’égalité, au nom du mérite. L’incorporation du discours de légitimation du sport se double en effet d’un aveu glement sur ce qui constitue le mérite. Et l’on revient au débat primaire du sport qui démarre toujours par une discussion sur les mérites respectifs des unes et des autres. Coppi ou Bartali ? Ronaldo ou Messi ? Michael Jordan ou LeBron James ? Serena Williams ou Martina Navratilova ? L’ASSE ou l’OL ? Et l’on constate que la mesure et les statistiques, l’objectivation des résultats et des palmarès ne suffisent pas pour s’accorder sur la ou le meilleur. Ce qui reste, toujours, dans le débat, ce sont les mérites attribués aux unes et aux autres. Et l’attribution du mérite échappe à la mesure pour se nicher du côté des émotions, de la passion, c’est-à-dire du côté des tripes. Le génie du sport est là, dans la manière dont ce dispositif a conduit non seulement à désirer mais aussi à sentir, à éprouver, à juger sur la base de valeurs qui ne se discutent plus mais sont considérées comme acquises, évidentes… Un mot encore, avant de conclure cette préface. Quarante-cinq ans après Jacques Ulmann2, nous tenons là une nouvelle référence qui prend place dans le champ de la philosophie du sport. « Le Verchère » fournira aux préparations aux concours (CAPEPS, agrégation d’EPS, professorat de sport) de quoi nourrir les copies de 1 D. Denis, « 16. Le sport et le scoutisme, ruses de l’Histoire », Nicolas Bancel éd., De l’Indochine à l’Algérie. La jeunesse en mouvements des deux côtés du miroir colonial, 1940-1962, La Découverte, 2003, p. 195. 2 J. Ulmann, De la gymnastique aux sports modernes, PUF, 1965. 12 citations bien senties. Seulement, aucune ne pourra être utilisée dans le but de justi fier la soumission au dispositif sportif, au risque de révéler l’incompréhension de la candidate ou du candidat, les renvoyant ainsi à l’impouvoir de leur propre discours de révérence. Au contraire, si on l’a bien compris, arrivé à la fin de la lecture, on ne peut que conclure que tout le monde mérite de jouer. Et rappeler, avec Jack Black, que per sonne ne gagne1. Philippe Liotard, juin 2022 1 J. Black, Personne ne gagne, Cenon, Monsieur Toussaint Louverture, 2017 uploads/Philosophie/ edvolcan-sport-et-merite-histoire-d-x27-un-mythe-incipit-table-v2.pdf
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- Publié le Jul 13, 2022
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