(Fiche faite par Ugo Rollin, pour la question d’agrégation « expliquer/comprend

(Fiche faite par Ugo Rollin, pour la question d’agrégation « expliquer/comprendre », Préparation ENS Ulm, année 2002-2003) CE QUE (NE) FONT (PAS) LES SOCIOLOGUES Petit essai d’épistémologie critique Charles-Henry CUIN, Librairie DR0Z, Genève, 2000. INTRODUCTION La sociologie contribue à donner du sens à ce que nous vivons, pensons et faisons. Pourtant son utilité est mal reconnue (prestige médiocre, faible intérêt du public, piètre diffusion des connaissances, salaires des chercheurs peu élevés, etc.). L’activité des sociologues a le plus grand mal à passer pour une science 1, car elle ne vérifie pas les caractéristiques des sciences de la Nature : incertitude sur les théories et méthodes scientifique2 (absence d’un paradigme indiscuté ou dominant), incertitude sur le savoir théorique cumulatif (impression de stagnation ou de régression du savoir théorique général), incertitude sur l’efficacité des capacité explicatives (applications pratiques peu commodes et peu efficaces). Le camp des positivistes durs dénie à la sociologie la capacité d’être et de devenir une vraie science aux larges capacités déductives (Cuin : « jeter l’enfant avec l’eau parfois peu engageante de son bain »). Les héritiers du dualisme diltheyen3 tentent de définir un domaine qui serait l’apanage exclusif de la sociologie (chercher « des vertus lustrales à l’eau du bain »). Les défenseurs d’un positivisme tempéré empruntent une voie médiane et affirment la vocation et la capacité de la sociologie à délivrer un savoir conforme aux critères généraux de la scientificité. Cet ouvrage se propose d’effectuer l’analyse épistémologique de la production de connaissances et de savoirs sociologiques, avec pour ambition d’éclairer les conditions de la promotion de la sociologie au statut d’une science comme les autres. Le propos n’est ni de trancher sur la valeur sociale, esthétique, éthique, pratique, etc., de la sociologie, ni d’examiner ce qui rend une activité ou un produit sociologiques séduisants ou efficaces. Il s’agit d’examiner ce qui fait considérer un résultat sociologique comme probant. La rationalité n’est pas un critère plus légitime qu’un autre, mais c’est le critère choisi dans cette étude, afin d’examiner comment la sociologie peut accéder au statut des science. Cuin entend donc analyser les fondements scientifiques d’un certain nombre de pratiques sociologiques et se livre à leur évaluation sévère, au regard d’une conception exigeante de la scientificité (cohérence interne et adéquation empirique). D’emblée, précisons que la neutralité axiologique de l’auteur cède devant « un engagement axiologique irrépressible et massif » en faveur d’une approche explicative fondée sur l’activité nomothétique. PREMIERE PARTIE : Les sociologues et la sociologie ou ce que font les sociologues L’objectif de toute activité scientifique est, au-delà de connaître (les faits, la réalité), de savoir, c’est-à- dire expliquer la réalité et ses phénomènes par la connaissance des causes, voire des lois, qui s’y rattachent. L’activité scientifique opère par un double mouvement dialectique d’observation/description (la recherche des faits - pôle empirique) et d’interprétation/explication (la recherche du sens à donner aux faits - pôle théorique ou formel). L’activité théorique ne concerne pas seulement la construction des théories, mais intervient à tous les niveaux de l’activité scientifique, depuis la définition des problèmes jusqu’à leur solution. Les hypothèses ne naissent pas principalement par induction, mais résultent d’une interprétation. Plutôt qu’une dichotomie entre empirisme militant et pure abstraction conceptuelle, il existe plutôt un continuum entre empirie et théorie : « Pas de faits sans théorie, pas de théorie sans faits »4 Chapitre I - L’activité empirique : connaître pour agir, réfuter et savoir Contrairement aux sciences de la nature (qui aboutissent à des découvertes absolues sur des objets dont personne ne savait rien jusqu’alors), la sociologie procure à certains des informations que d’autres possèdent 1 J-C PASSERON, Le raisonnement sociologique. L’espace non poppérien du raisonnement naturel [1991] « La sociologie est une science comme les autres, qui a seulement plus de difficultés que les autres à être une science comme les autres ». 2 J-M BERTHELOT, Les Vertus de l’incertitude. Le travail de l’analyse dans les sciences sociales. 3 Methodenstreit - Wilhelm DILTHEY, Introduction aux sciences de l’esprit [1883]. cf. infra 4 François SIMIAND, « Méthode historique et science sociales » in Annales ESC [1903]. éventuellement déjà, mais qu’eux-mêmes ne possèdent pas : la consommation dans la classe ouvrière, les rites de passages chez les Arapesh, la corrélation vote/sexe à un scrutin donné, etc. La sociologie a donc une vocation empirique, qui consiste à rationaliser la collecte d’information et à systématiser son exploitation cognitive selon une méthode scientifique. Observer, Décrire et Mesurer sont indispensables à la théorisation. L’activité empirique suscite les questions qui engendrent la connaissance : toute problématique naît de l’incohérence entre ce que la réalité donne à voir et ce que nous savons ou croyons savoir d’elle ; c’est de l’efficacité de l’activité empirique que dépend l’efficacité de l’explication ; la fécondité de l’induction repose sur la richesse et la précision des données factuelles. La description des faits sociaux bruts permet d’agir (expertise du chercheur pour les décideurs, prise en compte des résultats de la recherche par les acteurs dans la détermination de leurs stratégies). L’activité empirique est également une réfutation de l’erreur, au sens de falsification popperienne de savoirs (pratiques comme conceptuels, puisque empirie et théorie sont liés dans la science). Les objets sociologiques sont hyper-historiques, c’est-à-dire très instables et volatiles, car fortement situés dans un lieu et une histoire. La réfutation effective constitue ainsi un quasi-savoir, un savoir de la fausseté, dont la valeur cognitive est supérieure à celle de la connaissance factuelle qui détruit seulement l’ignorance. De plus, la destruction de l’erreur possède des potentialités libératrices et émancipatrices1. La rationalisation scientifique des savoirs communs n’a rien à voir avec de simples informations factuelles. Elle s’appuie sur des démarches instrumentées et codifiées, qui la distinguent de la connaissance ordinaire2 des acteurs. Surtout, elle ne devient science sociale qu’à la condition que le sociologue s’en serve pour élaborer des lois (expliquer des traits de la réalité) ou des régularités (déduire des traits théoriques de la réalité). La sociologie n’est pas une sociographie ; connaître n’est pas savoir. Chapitre II - L’activité interprétative : comprendre Sans interprétation, le monde est dénué de sens. L’interprétation est la démarche intellectuelle qui consiste à donner de l’intelligibilité à la réalité sociale. Comprendre un phénomène, c’est (se) le représenter sur le mode de l’évidence3. La démarche compréhensive ne se cantonne donc pas à la seule interprétation d’un phénomène par la subjectivité des acteurs, mais s’étend à toute activité cognitive. L’interprétation poursuit un objectif d’efficacité pratique. Elle apporte une satisfaction subjective, qui peut être de nature très diverse (rationnelle, certes, mais aussi esthétique, affective, morale, etc.). La connaissance produite par l’interprétation peut donc être fructueuse, mais pas nécessairement valide. Le but n’est pas la recherche de lois naturelles, mais la production d’une structure douée de sens, qui permette d’inscrire le réel dans un savoir. Comprendre la réalité sociale, mais pas l’expliquer. Interpréter, c’est donc d’abord inventer des explications satisfaisantes. L’interprétation en sociologie atteint son plus haut niveau d’efficacité lorsqu’un fait empirique ne trouve aucune explication dans les lois déjà établies par l’activité scientifique. L’interprétation consiste à formuler des hypothèses et à les tester après en avoir déduit des implications vérifiables (Hempel) ou des falsificateurs virtuels (Popper). L’interprétation explicative recherche les « raisons des effets » (Pascal), c’est-à-dire répondre aux questions « Pourquoi ? » et « Comment ? ». Elle vise à démontrer la nécessité d’un phénomène et à conférer de l’intelligibilité à cet enchaînement causal, sans pour autant que la causalité découverte soit validée scientifiquement. Le cadre du raisonnement est celui de la rationalité, mais le savoir produit ne vient pas de déductions formelles. L’interprétation est invention d’hypothèses explicatives qui permettent de comprendre comment tel effet a été produit par telle cause. L’interprétation significative confère du sens, de l’intelligibilité à son objet, mais elle ne confère pas de validité à ce sens. Elle n’est qu’une hypothèse permettant d’organiser les connaissances de manière satisfaisante pour l’esprit. La compréhension d’un fait peut s’imposer par l’évidence du système d’interprétation utilisé et la cohérence du discours interprétatif, mais l’explication de ce fait doit être soumise à une forme de validation pour être reconnue scientifique. Lorsqu’un phénomène empirique vérifie une loi générale, l’interprétation consiste, premièrement à concevoir ce phénomène comme l’expression d’une loi, puis à identifier cette loi parmi celles déjà connues. L’interprétation significative (ou sémiologique) est chevillée à une explication nomologique. La signification n’est pas inventée, mais découverte. Tel le médecin qui recherche les symptômes (signes) d’une maladie, le sociologue qui se livre à ce type d’interprétation ne vise pas à construire un savoir, mais à 1 P.BOURDIEU, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action [1994] : « [L’analyse sociologique] offre quelques uns des moyens les plus efficaces d’accéder à la liberté que la connaissance des déterminismes sociaux permet de conquérir contre les déterminismes ». 2 A.GIDDENS : « Dans un très grand nombre de cas, les ‘trouvailles’ des sociologues ne sont telles que pour ceux et celles qui ne se trouvent pas dans les contextes d’activité des acteurs étudiés », observation qui n’est pas fausse, mais qui le conduit presque à déduire, à tort selon uploads/Philosophie/ expcomp-fiche-cuin.pdf

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