ÉTHIQUE ET POLITIQUE CHEZ HANS JONAS ET HANNAH ARENDT Éric Pommier Presses Univ
ÉTHIQUE ET POLITIQUE CHEZ HANS JONAS ET HANNAH ARENDT Éric Pommier Presses Universitaires de France | « Revue de métaphysique et de morale » 2013/2 N° 78 | pages 271 à 286 ISSN 0035-1571 ISBN 9782130618331 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2013-2-page-271.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Le premier nous invite à suivre une éthique de responsabilité pour la vie tandis que la seconde dessine une politique de l'action humaine échappant au cycle vital. Le constat de cette divergence est cependant prétexte à penser une complémentarité, la natalité arendtienne pouvant recevoir une justification bio-ontologique et l'éthique jonassienne pouvant trouver un mode d'incarnation politique dans la philosophie de Hannah Arendt. ABSTRACT. – Beyond the legitimate suspicion against the recent developments of modern techniques and the risks that consequently threaten the human world, Hans Jonas and Hannah Arendt differ about the way to preserve such a world. The first one invites us to an ethics of responsibility for life whereas the other one draws the outlines of a politics made of human actions breaking with the vital cycle. The acknowledgement of this discre- pancy gives us nevertheless the opportunity to think a complementarity between them. As the Arendtian natality can be justified from a bio-ontological point of view, Hannah Arendt's philosophy is able to provide the Jonassian ethics with a political incarnation embodiment. Alors que, du point de vue de la vie vécue, on pourrait trouver bien des raisons de rapprocher l'un et l'autre penseur1, il semble que, pour ce qui touche à leur engagement philosophique respectif, chacun peut être opposé à l'autre. Alors en effet que Hans Jonas met l'accent sur une éthique de la préservation de la vie qui trouve son fondement dans une ontologie qui réinscrit l'homme dans la nature, Hannah Arendt, quant à elle, met en œuvre une philosophie plus politique que morale, et insiste sur une certaine rupture entre l'existence humaine et l'activité biologique du vivant. Dans un cas donc, il semble que l'homme n'ait d'obliga- tions morales envers l'humanité et la vie que parce qu'il est lui-même vivant, 1. Nous pensons ici aussi bien à leur proximité avec Heidegger, à leur relation avec le judaïsme, qu'à la nécessité de s'exiler d'une Allemagne devenue hitlérienne. Leur amitié, interrompue un temps par la publication de Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, durera toute leur vie. Revue de Métaphysique et de Morale, No 2/2013 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 76.71.10.14 - 13/02/2020 22:45 - © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 76.71.10.14 - 13/02/2020 22:45 - © Presses Universitaires de France tandis que dans l'autre c'est précisément parce qu'il est capable de s'arracher au cycle aliénant de la vie qu'il s'ouvre à une existence humaine qui lui impose un certain nombre de tâches propres, de nature politique, en vue de la préservation d'un monde commun. Pourtant, Hannah Arendt et Hans Jonas partagent une même inquiétude concernant le risque de déshumanisation, inhérente au déploie- ment d'une approche technique de l'existence. Tous deux en appellent alors à une prise de responsabilité qui s'adresse non pas tant à l'individu qu'à la collec- tivité, voire à la puissance publique. Celle-ci est requise à cause d'une certaine vulnérabilité de l'humanité, dont « la venue au monde », requiert de prendre des précautions de type politique ou éthique. C'est bien dans l'horizon d'une menace qui pèse sur le monde qu'il faut comprendre la convergence de vues que nous souhaitons mettre au jour entre les deux penseurs. Mais c'est aussi en mettant en exergue les raisons fondamentales qui conduisent l'un et l'autre philosophe à proposer des remèdes différents que nous serons en mesure d'indiquer les limites de chacune de ces solutions et sans doute aussi l'occasion de leur dépassement réciproque. * C'est par la prise en considération des périls qui menacent l'existence de l'homme moderne que Arendt tout comme Jonas sont amenés à préconiser des remèdes adaptés à la préservation d'un espace de vie, dans lequel l'homme puisse continuer de réaliser son existence, dans ce qu'elle a de plus authentique, c'est‑à- dire de plus humain. Or tous deux manifestent une véritable inquiétude à l'égard de l'influence grandissante que la technique exerce sur nos modes de vie. L'ana- lyse de la technique est au cœur de la philosophie pratique de Jonas. L'usage moderne de la technique se caractérise par sa globalité et sa dynamique. Alors que l'usage ancien se voulait limité dans l'espace aussi bien que dans le temps, puisque ses effets n'affectaient au pire que l'environnement proche et que le but d'une existence pouvait être l'acquisition d'un savoir-faire, relativement stable, voici à présent que les dommages de la technique peuvent engager l'ensemble de la planète et que sa dynamique consiste en un dépassement permanent. Le pro- grès se veut bon en tant que progrès et non pas parce qu'il sert une juste cause. L'amélioration technique n'est plus un point d'arrivée, ce n'est qu'une occasion de relancer un nouveau développement. La technique échappe donc, jusqu'à un certain point, à notre volonté, puisque nous sommes de moins en moins libres d'en user à notre guise. Au contraire, elle se présente comme un destin dont nous sommes les jouets. On pourra s'étonner de ce constat pessimiste, dans la mesure où l'homme reste malgré tout le sujet qui est libre d'user ou non d'un savoir- faire. La difficulté est cependant la suivante et provient d'un mal d'un genre 272 Éric Pommier Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 76.71.10.14 - 13/02/2020 22:45 - © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 76.71.10.14 - 13/02/2020 22:45 - © Presses Universitaires de France relativement nouveau. Si une action peut être au plan intentionnel individuelle- ment bonne, elle peut en revanche s'avérer au plan collectif et dans ses effets désastreuse. Personne n'est alors responsable à titre personnel d'une catastrophe qui a pourtant été rendue possible par l'accumulation des actions de chacun. Telle peut être le cas de la pollution consécutive à l'usage de sa voiture qui entraîne au plan global le réchauffement de la planète ou des trous dans la couche d'ozone. La gravité de la menace tient à la difficulté de l'endiguer, dès lors que la catastrophe résulte, d'une part, d'actions qui sont louables au plan individuel et qu'elles n'ont donc rien de condamnable et, d'autre part, d'actions qui ne sont nuisibles que sur le long terme. La catastrophe est rampante et non brutale. Il est donc plus difficile d'engendrer une crainte salutaire, car ici ce n'est pas sur un sursaut salvateur qu'il faut compter mais sur une discipline soutenue dans la durée. Le danger de la technique n'est pas limité à l'environnement de l'homme. Il porte aussi directe- ment sur sa vie. Jonas a ici en vue les biotechnologies, qui en intervenant sur le patrimoine génétique de l'homme, pourront le réifier, le transformer en chose manipulable à souhait, au lieu de préserver l'indétermination dont il est lieu et qui définit son être. Plus généralement, de telles menaces objectives proviennent d'une certaine manière de se représenter l'existence, comme cela sur quoi on peut agir en vue d'obtenir un certain résultat, conformément à des exigences de rende- ment, de rentabilité et d'efficacité. Qu'il s'agisse de l'homme ou des êtres vivants, ceux-ci sont conçus comme des moyens au service de fins arbitraires, qui dépendent du désir individuel, des normes sociales du moment, ou du souci d'enrichissement personnel. On le voit, la technique est d'abord un mode d'être, une manière de se rapporter à l'existence, et c'est en vertu de sa dimension ontologique qu'elle peut avoir des effets très concrets au plan ontique. Or Arendt rejoint jusqu'à un certain point cette analyse proposée par Jonas. On sait en effet comment dans Condition de l'homme moderne, celle-ci présente les conditions anthropologiques sous lesquelles l'homme peut mener à bien une existence proprement humaine. Laissant temporairement de côté la vita uploads/Philosophie/ rmm-132-0271.pdf
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- Publié le Jul 10, 2021
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