Hannah Arendt, La Condition de l'homme moderne, 1961 Introduction Hannah Arendt
Hannah Arendt, La Condition de l'homme moderne, 1961 Introduction Hannah Arendt a écrit la Condition de l'Homme moderne après ses travaux sur les origines du totalitarisme pour redonner un recul philosophique à sa recherche. Elle utilise l'expérience acquise pour construire ce que P. Ricoeur appelle un ouvrage de résistance et de reconstruction. Parce qu'il est un des derniers ouvrages de philosophie pure du XXème siècle, La Condition de l'homme moderne est d'une écriture complexe, riche en référence antique et en termes grecs. Ceux ci ne sont toutefois pas dénués d'utilité. L'Antiquité est pour H. Arendt plus qu'une référence. Elle est un référentiel. Arendt l'utilise ici pour ce qu'elle est : un point de départ. Elle est donc un point de passage obligé dans un effort de quête de sens sur nos sociétés modernes, cette même quête qui derrière le cadre de pensée dressé sous-tend son œuvre. En ce sens, H. Arendt réussit elle-même ce tour de force nécessaire qu'elle propose aux sociétés modernes : prolonger la vie active à partir de ses racines historiques sans négliger le recul philosophique toujours plus négligé et ainsi toujours plus nécessaire. I) L'ouvrage d'H. Arendt est avant tout un effort pour dégager un cadre utile de pensée et d'action sur la condition humaine. A. La vita activa et les trois dimensions de l'homme 1) L'ouvrage de H. Arendt distingue d'emblée trois activités de l'être humain : le travail (labor), l'oeuvre (work) et l'action. Le travail est l'activité qui correspond à l'entretien du processus biologique du corps humain. Il constitue l'éternel recommencement de production et de consommation des productions élémentaires nécessaires à l'homme. Le travail a été promu du dernier rang de l'activité humaine à la mieux considérée de ses activités. Pour les anciens, le travail est le propre de l'esclave, tandis que l'action, la vie politique, est le propre de l'homme libre. Comme l'explique H. Arendt, l'objet de l'esclavage a été de soustraire les hommes libres aux nécessités de la vie. Avec Marx, cette situation s'inverse. Avec Marx définit l'homme comme homo laborans avant même de le définir comme être social. Le travail, d'activité privée voire honteuse, vient alors occuper le devant de la scène publique. L'oeuvre, au contraire, fournit un monde artificiel d'objets, nettement différent de tout milieu naturel. L'homo faber se distingue de l'homo laborans en ce que celui ci se borne à peiner et à consommer, tandis que celui-la accède, à travers les objets qu'il façonne, à une certaine durabilité. Cependant la durabilité de l'artifice humain n'est pas absolue : l'usage use les objets, bien que nous ne les consommions pas. Le monde des objets possède une durabilité, une stabilité qui lui est propre : il nous résiste parce qu'il est extérieur à nous et procède de la rareté, violence initiale faite à la nature. L'"artisan" qui maîtrise de bout en bout la réalisation des objets, est l'exemple type de cette activité (mais l'ingénieur, l'inventeur etc font "œuvre"). L'action correspond ˆ la dimension sociale et politique de l'être humain. Ainsi les romains peuple éminemment politique, employaient comme synonymes les expressions "vivre" (vivere) et "être parmi les hommes (inter homines esse) ainsi que "mourir" et cesser d'être parmi les hommes" (inter homines desinere). La philosophie depuis Platon a distingué l'"agir" (verbe intransitif) du "faire (transitif). Elle a également substitué le "faire à l'"agir" dans le domaine politique. Ainsi la politique est-elle devenue non plus le domaine de l'action mais un simple moyen en vue d'une fin supposée plus haute. Dans l'Antiquité, la protection des bons contre les mauvais, au Moyen Age le salut des âmes, à l'époque moderne la productivité et le progrès social ont constitué les avatars d'une substitution aussi ancienne que la tradition philosophique. 2) Les fondements de cette distinction sont à chercher dans la démarche adoptée par l'auteur qui mêle histoire et philosophie. Dans le prologue l'auteur explicite cette démarche : "Je m'en tiens d'une part à l'analyse des facultés humaines générales qui naissent de la condition humaine et qui sont permanentes, c'est ˆ dire qui ne peuvent se perdre sans retour tant que la condition humaine ne change pas. L'analyse historique d'autre part a pour but de rechercher les origines de l'aliénation du monde moderne". Pour Ricoeur, la distinction d'H Arendt est fondée sur une démarche d'"anthropologie philosophique. Les références multiples de l'ouvrage à la philosophie grecque ou latine latin ne sont pas une forme d'érudition. H Arendt confronte notre société avec la société antique et cherche à tirer les ficelles de son évolution. Les trois dimensions de la vita activa naissent alors non pas comme des impératifs philosophiques mais comme les concepts les plus pertinents pour l'analyse de la rupture existentielle de l'époque moderne. Le problème majeur de cette méthode est qu'elle conduit à poser cette rupture comme une évidence a priori. H. Arendt veut "rechercher les origines de l'aliénation du monde moderne" car précisément elle présuppose cette aliénation. La valeur de la distinction des trois dimensions de l'homme s'en trouve relativisée. Elle a une valeur essentiellement méthodologique. Dans la condition de l'homme moderne, on retrouve très nettement la démarche qui fût celle de B. Constant en 1819 dans son discours à l'Athénée dans lequel il distingue la liberté des Anciens et des Modernes. En 1819, les différences sociales étaient pour B. Constant si manifestes par rapport à l'époque Antique qu'elles pouvaient être utilisées pour une comparaison frontale et permettre une interrogation sur les permanences de l'homme. Le parallèle avec ce texte est frappant dans le vocabulaire utilisé par H. Arendt, qui fait sienne la distinction de Constant entre liberté des anciens et liberté des modernes. H. Arendt reprend également à l'arrière plan le principe de distinction de l'espace public et de l'espace privé comme cadre explicatif majeur de la rupture moderne. La définition qu'Hannah Arendt donne de l'espace privé rappelle la phrase de Constant, plus complexe qu'il n'y paraît : "il y a une partie de l'existence humaine qui, de nécessité reste individuelle et indépendante de toute compétence sociale." Enfin l'auteur fait même explicitement référence à Constant au début du chapitre II. Doit-on conclure de ce parallèle frappant avec le texte de Constant que la condition de l'homme moderne n'est pas un texte innovant du point de vue philosophique, qu'H.Arendt se contente d'affiner et de réactualiser une approche traditionnelle de la philosophie politique ? Non, H. Arendt apporte assurément un élément nouveau de vérité à ce type d'approche. Contrairement à celui de Constant son texte n'est pas individualiste par opposition aux théories "holistes" du monde. Il ne réduit pas à cette distinction de courant, la dépasse. De fait, la nouveauté d'H. Arendt réside dans le fait qu'elle réussit à rendre l'unité fondamentale de ce qui fait l'homme. Unité philosophique puisque contrairement aux thèses individualistes elle ne nie pas la dimension de l'action politique et va au-delà de Constant en intégrant cette dimension dans son système. Unité historique : alors que Constant donne l'image d'un renversement complet du monde, H. Arendt dégage l'image d'une progression complexe de l'homme faîte de d'alternance de destructions et de regénèrences, par progrès mais aussi par dérive. B. Le retour à l'unité de l'homme dans un espace dual. 1) Les trois dimensions dégagées par H. Arendt sont intimement liées. Elles se rattachent toutes à la condition plus générale de l'existence humaine dans la brutalité de la vie : la vie et la mort, la natalité et la mortalité en sont les points d'unification. Le travail n'assure pas seulement la survie de l'individu, mais également celle de l'espèce. L'oeuvre et ses produits conservent une certaine permanence. L'action, dans la mesure où elle se consacre à fonder et maintenir des organismes politiques, crée la condition du souvenir c'est à dire l'histoire. Elle est création ou pour reprendre l'expression d'H. Arendt "elle a partie liée à la "natalité". L'ouvrage d'H. Arendt insiste donc sur la dimension temporelle de la condition humaine car c'est elle qui lui ramène à l'unité. C'est en cela que "la condition humaine ne s'identifie pas à la nature humaine". L'unité fondamentale de l'Homme se trouve dans ce mouvement de destruction de "seconde naissance" de l'humanité que forme l'histoire. Selon l'auteur, la temporalité conduit ainsi à une hiérarchie nécessaire de long terme entre les trois dimensions de la vita activa, un équilibre pérenne. La constitution de cette hiérarchie est principalement fonction du mode de séparation entre domaine privé et domaine public à travers les âges. Toutes les activités humaines sont conditionnées par le fait que les hommes vivent en société mais seule l'action est inconcevable en dehors de la société des hommes. De ce fait, plus que le travail et même l'oeuvre, l'action caractéristique de l'être humain. C'est elle qui est conduite à primer dans une société où prime le domaine public. 2)Pour H Arendt le privé et le public correspondent aux domaines familial et politique, entités distinctes, séparées au moins depuis l'avènement de la Cité antique. Le domaine familial correspond ˆ la "nécessité" : les hommes se groupent en famille pour des raisons biologiques, la naissance, l'entretien des enfants, la satisfaction uploads/Philosophie/ la-condition-de-l-x27-homme-moderne-par-h-arendt.pdf
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- Publié le Jui 20, 2022
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