Hervé Chappe VERITE SCIENTIFIQUE, VERITE RELIGIEUSE Cette note a pour objet de
Hervé Chappe VERITE SCIENTIFIQUE, VERITE RELIGIEUSE Cette note a pour objet de présenter les concepts de vérité scientifique et de vérité religieuse. La vérité scientifique est ici étudiée sous l’angle des mathématiques, des sciences dites « exactes », et des sciences humaines et sociales. La vérité religieuse est étudiée selon la nature de la révélation à leur fondement, transcendante ou immanent. Une dernière partie questionne les passerelles entre les deux voies d’accès à la vérité. 1 - LA VERITE SCIENTIFIQUE 1,1 – Historique La question de la vérité scientifique est débattue depuis l’antiquité. Pour n’en citer que trois étapes majeures : Aristote (-384 ; -322) Dans sa Métaphysique il formalise la notion de logique et introduit trois principes : - Le principe de non-contradiction : Une proposition ne peut être à la fois vraie et fausse. - Le principe du tiers exclu : Une proposition A est forcément vraie ou fausse. - Le principe d'identité : Une proposition vraie est vraie (immuabilité du vrai). Il définit alors la science comme la connaissance certaine par les causes, et la distingue de l’opinion qui se base sur des propositions probables mais discutables. René Descartes (1596 ; 1650) Dans son Discours de la méthode, il propose une méthode en quatre points pour sous-tendre toute démarche scientifique : - Ne recevoir aucune chose pour vraie tant que son esprit ne l'aura clairement et distinctement assimilée préalablement. - Diviser chacune des difficultés afin de mieux les examiner et les résoudre. - Établir un ordre de pensées, en commençant par les objets les plus simples jusqu'aux plus complexes et divers, et ainsi de les retenir toutes et en ordre. - Passer toutes les choses en revue afin de ne rien omettre. Karl Popper (1902 ; 1994) Dans sa Logique de la vérité scientifique, il met l’accent sur l'idée de réfutabilité par l'expérimentation ou l'échange critique comme critère de démarcation entre science et pseudo- science. La réfutabilité est souvent appelée « falsifiabilité » : un énoncé est falsifiable « si la logique autorise l’existence d’un énoncé ou d’une série d’énoncés d’observation qui lui sont contradictoires, c’est-à-dire, qui la falsifieraient s’ils se révélaient vrais ». Il définit les théories métaphysiques comme des systèmes irréfutables par l'expérimentation. Ainsi, les énoncés « Dieu existe » et « Dieu n’existe pas » ne sont pas falsifiables, car ils ne peuvent être soumis à l’expérimentation ; ce ne sont donc pas des énoncés scientifiques, mais des énoncés métaphysiques. Une étude approfondie du sujet invoquerait bien d’autres noms : Platon, Thomas d’Aquin, Leibniz, Kant, Hegel, le Cercle de Vienne… Nous ferons la distinction entre les sciences dites « exactes », ou parfois de façon ironique « dures », et les sciences humaines et sociales. L'expression « sciences exactes » regroupe dans un même ensemble les sciences dites « formelles » (mathématiques, informatique théorique, physique théorique...) et les sciences dites « de la nature » (physique chimie, sciences de la vie...). On verra dans la section suivante que le concept de vérité dans ces sciences « exactes » repose sur la représentation par un modèle mathématique. Il apparait alors naturel de questionner en premier la notion de vérité dans les mathématiques. 1,2 – la vérité dans les mathématiques « Wir müssen wissen, wir werden wissen » (Nous devons savoir, nous saurons) David Hilbert Commençons par une définition : Une théorie mathématique est un ensemble d’affirmations. Les affirmations premières sont appelées « axiomes » et les autres « théorèmes ». Les théorèmes sont démontrés à partir des axiomes au moyen de règles de la logique, telles que formalisées au XIXème siècle. La seule exigence sur le système d’axiomes est qu’il soit « cohérent », ou « consistant », ou encore « non-contradictoire », c’est-à-dire qu’un axiome ne puisse être remis en cause à partir des autres à l’intérieur de la théorie. Les axiomes sont considérés comme « vrais » par nature, les théorèmes sont affirmés « vrais » lorsqu’ils ont été « démontrés », c’est-à-dire déduits logiquement à partir des axiomes ou de théorèmes précédemment démontrés. Ce mécanisme s’appelle « démonstration » ou encore « preuve ». Ainsi, du point de vue de la vérité, une théorie mathématique est-elle auto-suffisante : la vérité se propage, de preuve en preuve, à partir du système d’axiomes. Il reste à se poser les questions de la production des théorèmes et l’exactitude de la preuve. Jusqu’au XXème siècle, l’une comme l’autre reposaient sur l’humain, plus précisément sur la communauté des mathématiciens. Un chercheur en mathématiques propose un théorème, c’est-à-dire une affirmation et la preuve de cette affirmation. La communauté des mathématiciens examine l’une et l’autre. Lorsque suffisamment de voix autorisées se sont élevées pour valider la proposition, le théorème est reconnu comme « vrai ». Les expressions « suffisamment » et « autorisées » sont évidemment questionnables, et posent les limites de l’auto-suffisance des mathématiques. Depuis le début du XXIème siècle, un nouvel acteur est entré en jeu : l’ordinateur. La génération automatique de théorèmes et l’utilisation de l’ordinateur dans la preuve mathématiques sont de nouveaux outils, mais posent également de nouvelles questions, comme la validation des programmes mathématiques exécutés par l’ordinateur. La question de la vérité en mathématique est venue buter sur un mur au XXème siècle de par les travaux du mathématicien Kurt Gödel (1906 ; 1978). Ce dernier énonça en 1931 ses deux maintenant célèbres théorèmes dits « théorème d’incomplétude », dont une forme simplifiée est : Dans n'importe quelle théorie cohérente et capable de « formaliser l'arithmétique », on peut construire un énoncé arithmétique qui ne peut être ni démontré ni réfuté dans cette théorie. De tels énoncés sont dits indécidables dans cette théorie. On dit également indépendants de la théorie. Gödel en déduit le second théorème d'incomplétude : Si T est une théorie cohérente qui satisfait des hypothèses analogues, la cohérence de T, qui peut s'exprimer dans la théorie T, n'est pas démontrable dans T. Les mathématiques, qui se posent en vérité absolue, car indépendantes du monde extérieur, sont ainsi incapables de toujours prouver leur propre vérité ! Et cette situation a encore été aggravée par des travaux récents en théorie de la complexité (Grégory Chaïtin, 1947…), qui ont montré que, dans l’ensemble des propositions logiques, les propositions démontrables ne constituaient pas la règle, comme on l’a longtemps espéré après Gödel, mais bien l’exception. Une exception qui ne pose heureusement pas problème à l’utilisateur de mathématiques « usuelles », mais qui est une épée de Damoclès permanente au-dessus de la tête du chercheur en mathématiques théoriques… 1,3 – La vérité dans les sciences « exactes » Les sciences exactes ont longtemps eu la prétention de faire une description « absolue » de la réalité. Elles ont aujourd’hui perdu cette prétention, et l’ont remplacée par la proposition de modèles mathématiques. La recherche en sciences exactes repose ainsi sur une « valse à trois temps » : - Premier temps, définition de l’objet et acquisition de données : Quel objet veut-on étudier ? Quelles sont ses caractéristiques physiques (description qualitative) ? Que mesurer (description quantitative) ? Comment mesurer (outillage) ? Mesurer (expérimentation). - Deuxième temps, modélisation : Hypothèses sur la nature sur l’objet ? sur les actions en présence ? Proposition d’un modèle mathématique composé de variables représentant l’objet, et d’équations représentant son évolution sous l’effet des actions. - Troisième temps, tests et prédictions : Dans ce troisième temps, le modèle mathématique est d’abord testé sur les données expérimentales du premier temps. Si ces données sont incompatibles avec le modèle, ce dernier est rejeté. Si ces données sont compatibles, alors le modèle est utilisé pour faire des prédictions qui sont soumises à l’expérimentation, et on revient au premier temps. La démarche du physicien, ou du géologue, ou du biologiste, pourrait se résumer en une phrase : « tout de passe comme si… » suivie d’un modèle mathématique en adéquation avec les mesures existantes, et dont on peut déduire des prédictions soumissibles au verdict de l’expérience. Un exemple en astronomie : le modèle des épicycles de Ptolémée – des cercles roulant sur des cercles sur la sphère céleste – a tenu du IIIème siècle avant notre ère jusqu’au XVIème siècle. Il ne résista pas à l’invention de la lunette astronomique. Se fondant sur les travaux de Galilée, Copernic et Kepler, Newton le remplaça au XVIIIème siècle par sa loi d’attraction universelle, pour laquelle il créa de toutes pièces un pan entier des mathématiques, le calcul différentiel. Des mesures de plus en plus précises au XIXème siècle vinrent finalement infirmer cette théorie avec un phénomène astronomique inexpliqué – l’avance du périhélie de Mercure. En 1905 puis en 1915, Einstein proposa une nouvelle théorie : la Relativité, fondée sur les influences réciproques de la matière et de l’espace. A ce jour, tous les phénomènes astronomiques connus sont compatibles avec cette théorie, et ses prédictions ont été validées avec une extrême précision. Mais les physiciens savent déjà que la Relativité n’est pas la théorie « ultime », car elle ne fonctionne pas dans le domaine du très petit, chasse gardée uploads/Philosophie/ verite-scientifique-vs-verite-religieuse.pdf
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- Publié le Oct 04, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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