Xavier DARCOS – Académie des sciences morales et politiques 1 Académie des scie

Xavier DARCOS – Académie des sciences morales et politiques 1 Académie des sciences morales et politiques Centenaire officiel de la loi de 1905 Colloque IV : La laïcité, valeur commune de la République ? Mercredi 30 novembre 2005 – Séance du matin Xavier DARCOS L’héritage laïque de Jules Ferry 1. Formation et convictions de Jules Ferry Jules Ferry est sans doute aujourd’hui le plus connu de tous les pères fondateurs, car il a laissé son nom aux lois qui ont institué une école primaire gratuite, obligatoire et laïque. Autant dire d’emblée que sa conception de la laïcité est indissociable de son action politique, même si, en héritier d’Edgar Quinet, fils d’Auguste Comte, admirateur de Condorcet et des Lumières, il a puisé à ces multiples sources sa doctrine. Ferry naît à Saint-Dié, le 6 avril 1832, dans une famille dont la florissante entreprise de tuilerie assure l’aisance. Son père est en outre un avocat en vue du barreau local. Républicain et franc-maçon, mais aussi adversaire du désordre. Il influence profondément les opinions de son fils : il lui fait pavoiser la maison en tricolore lors de la chute de la monarchie de Juillet. Ferry saura aussi se montrer fidèle à sa mère, fille d’un juge de Vouziers, catholique et très pieuse, ainsi qu’à sa sœur qui hésite un temps à entrer dans les ordres : la modération dont il fera preuve à l’égard de la religion, qu’il prend soin de distinguer du cléricalisme, a été souvent interprétée comme un hommage implicite rendu à la vie discrète et dévouée de ces deux femmes. De brillantes études le conduisent du collège de Saint-Dié au collège royal de Strasbourg, où il décroche le baccalauréat à l’âge de 16 ans. Il se destine au droit qu’il étudie à Paris, avant de s’y inscrire au barreau en 1851. N’étant pas dans la nécessité d’exercer sa nouvelle profession, car sa famille subvient à ses besoins, il voyage, fréquente les salons, entretient quelques liaisons amoureuses et finit par se lancer dans le journalisme politique au début des années 1860. La verve qu’il déploie dans ses critiques du Second Empire lui assure une notoriété rapide, qui le conduit vers de hautes fonctions : membre du gouvernement de la Défense nationale formé en septembre 1870, il est élu député des Vosges dans la foulée et combat l’Ordre moral après un cours interlude passé à Athènes, en 1872-1873, en qualité de ministre plénipotentiaire. Cette ascension exemplaire et réussie lui permet enfin de contracter un riche mariage : il épouse en 1875 Eugénie Risler, qui lui apporte 500 000 francs de dot et lui ouvre les portes de la haute bourgeoisie protestante républicaine. Il y trouve de solides appuis pour la carrière ministérielle qu’il entame en 1879 avec le portefeuille de l’Instruction publique. Ses origines familiales et ses années de formation éclairent la pensée laïque de Jules Ferry. Il aborde le problème en républicain et en juriste et ne sort jamais de ce cadre. Son action n’est pas tournée contre la religion et il se garde bien de poser la question de sa légitimité, même si lui- même n’est pas croyant. Xavier DARCOS – Académie des sciences morales et politiques 2 L’une de ses premières interventions publiques sur ce thème remonte à 1855. Il n’a que vingt-trois ans et prononce le discours de rentrée de la Conférence des avocats. Alors qu’il a choisi de traiter “ de l’influence des idées philosophiques sur le barreau au XVIIIe siècle ”, il analyse longuement “ la consultation sur les mariages protestants ” rédigée par Portalis en 1770. Il conclut à la validité des unions contractées secrètement par les huguenots du Désert sans la médiation de l’Église catholique, pourtant seule habilitée à procéder en ce domaine depuis la Révocation de l’Édit de Nantes. Ferry s’exalte : “ Tout est en germe dans ces puissantes formules : l’affranchissement de la société laïque, le Code civil, l’âge moderne tout entier ”. Si la laïcité passe ainsi à ses yeux par une libération de la tutelle de l’Église, c’est d’abord parce que son emprise est un frein à la reconnaissance de l’universalité des droits et de l’égalité des individus devant la loi. Le Code civil, véritable pilier de la société sécularisée, instaure des normes valables pour tous, indépendamment de l’appartenance confessionnelle de chacun. En entrant dans l’action politique, Ferry a progressivement étendu à l’État cette réflexion sur la société, plaidant pour un État “ laïque dans son essence, laïque dans tous ses organes ”. Deux principes s’opposent ici à la pénétration de l’Église dans la sphère publique : - l’exigence d’une neutralité de l’État moderne, issue de la Révolution française, qui lui impose un comportement rigoureusement identique envers tous les citoyens ; - la règle d’indépendance de l’État, qui doit le conduire à assumer seul et à l’abri de toute influence l’ensemble des fonctions qui lui sont assignées. Ces deux impératifs s’appliquent naturellement à l’école. Dans ce domaine, en effet, il s’agit non seulement de faire valoir “ les droits de l’État enseignant ”, en donnant à l’Instruction publique son sens plein et entier, par une reconquête du terrain abandonné aux congrégations religieuses, mais il convient encore d’instituer une école “ ouverte à tous, accessible à tous et respectueuse de tous ”. Cette profonde et minutieuse attention accordée à l’articulation entre la laïcité et l’égalité, à la nécessaire sécularisation de la société et de l’État comme préalable à l’établissement d’une pleine et entière égalité des droits entre les individus, a sans doute contribué à favoriser l’entrée tardive de Jules Ferry dans la franc-maçonnerie. Alors que son père et son oncle étaient pourtant inscrits au temple de Saint-Dié, Ferry n’est initié qu’en 1875, au sein de la loge parisienne “ Clémente-Amitié ”. Un an plus tard, il expose clairement ce qui l’attire dans cette doctrine, lors d’un banquet donné par les frères en son honneur. Il se félicite ainsi d’y avoir trouvé, comme en écho à ses préoccupations de toujours, un modèle de société laïque. “ Cela veut dire, ajoute-t-il, que la sociabilité [...] peut vivre seule, qu’elle peut enfin jeter ses béquilles théologiques et marcher librement à la conquête du monde [...] ; de même que ce philosophe qui démontrait le mouvement en se mettant à marcher, vous existez comme association, et il se trouve que vous êtes un des plus précieux instruments pour cette culture du sentiment social, pour ce développement de la morale sociale et laïque ”. L’autre élément crucial qui retient son attention n’est autre que la culture égalitaire des francs- maçons. “ Comment la maçonnerie est-elle ce précieux instrument de culture morale ? ”, interroge-t-il. “ Par l’esprit d’égalité [...]. Oui, son plus grand caractère, sa portée sociale est dans ce fait que vous voyez réunis dans le même temple le riche et le pauvre, le savant et l’ignorant. [...] Mes frères, vous êtes les adversaires traditionnels de ce sentiment aristocratique, qui joue dans l’organisation sociale le même rôle rétrograde et funeste que l’égoïsme dans la morale privée [...]. Eh bien, ce sentiment-là, la maçonnerie tend à le faire disparaître car ce qu’on fait ici, c’est de la démocratie pratique, affectueuse et non dédaigneuse ”. Laïcité - égalité : ce diptyque, dont les éléments s’agencent dans une subtile dialectique, imprègne si fortement la réflexion de Ferry qu’il le retrouve de lui-même au cœur de son engagement franc-maçon. Xavier DARCOS – Académie des sciences morales et politiques 3 Au demeurant, Jules Ferry fut un produit de son temps. Le militantisme laïc des « républicains opportunistes » s’inscrivait dans le sillage du positivisme d’Auguste Comte. Il fut aussi lié au protestantisme libéral dont se réclamaient bien des acteurs majeurs de l’École républicaine. Jules Ferry, comme président du Conseil (septembre 1880 à novembre 1881 et février 1883 à mars 1885), favorisa l’émergence de droits nouveaux : libertés de réunion (loi du 30 juin 1881) ; de la presse (loi du 19 juillet 1881) ; syndicale (loi du 21 mars 1884) ; municipale (loi du 5 avril 1884) ; du divorce (loi du 27 juillet 1884). La laïcisation s’appuya sur les grandes commémorations républicaines, véritables « messes laïques », comme le centenaire de la mort de Voltaire et de Rousseau (1878) ; la première célébration du 14 juillet 1789 (1880) ; les funérailles nationales de Victor Hugo et son entrée au Panthéon (1885) ; enfin le centenaire de la Révolution française (1889). Voilà aussi pourquoi, bien avant la loi de séparation, les dispositions législatives avaient déjà sécularisé l’École, clé de toute réforme durable, même si la laïcisation toucha aussi l’armée, réputée majoritairement cléricale depuis les déchirements de l’affaire Dreyfus. Toutes ces mesures préparaient les lois d’Émile Combes, président du Conseil de juin 1902 à janvier 1905. Il décida l’expulsion des congrégations religieuses, interdites d’enseignement dès juillet 1904. Enfin, il put susciter la loi du 9 décembre 1905. 2. L’action pédagogique de Jules Ferry Cet aspect mériterait de longs développements1. Je propose ici de simplement résumer les principales constantes. La préoccupation première était de former les enseignants sur un seul uploads/Politique/ darcos-julesferry-asmp-2005.pdf

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