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https://www.contretemps.eu Le néolibéralisme et son monde. Remarques sur quelques analyses récentes redaction Les questions politiques revêtent des formes culturelles et comme telles deviennent insolubles (Antonio Gramsci, Cahiers de Prison, XXX, 13). Les Nuits debout s’étaient donné une belle et ambitieuse bannière, « contre la loi travail et son monde ». Car c’est bien un monde, à la fois social, politique, culturel, environnemental, et donc humain, que semblent dessiner les choix politiques actuels. Il est devenu habituel, à gauche, de désigner ce monde comme étant celui du néolibéralisme triomphant, le terme désignant non seulement la dernière version en date du capitalisme mais surtout un projet global par-delà ses dimensions strictement économiques. Le terme de « néolibéralisme » en est ainsi venu à désigner à la fois une étape du capitalisme et le discours qui l’accompagne, sans qu’on sache s’ils coïncident, s’articulent, se juxtaposent ou s’opposent. Cette ambiguïté pose un problème de fond : car si tout projet hégémonique vise bien à combiner une domination réelle et sa légitimation idéologique, aucun n’y parvient jamais tout à fait. Tout rapport de force social reste confronté aux contradictions dont il résulte, et les idées qui l’accompagnent s’affrontent continûment à leur contestation. Si le néolibéralisme n’échappe pas à la règle, il faut commencer par avouer que le mot n’aide pas à faire la part des choses. Afin d’organiser la riposte sur le terrain des idées comme sur celui de la réalité sociale, il importe de revenir sur la question même de sa définition, en commençant par discuter certaines critiques contemporaines du néolibéralisme, un peu trop promptes à décréter son triomphe et trop enclines à accepter de déplacer les questions politiques sur le terrain de la culture et des mœurs. Qu’est-ce que le néolibéralisme ? Selon David Harvey : « le néolibéralisme est d’abord une théorie des pratiques économiques »[1]. Ce discours théorique vise à légitimer les politiques de dérégulation, de privatisation et de retrait de l’Etat social, qui se sont imposées à partir des années 1970, afin de répondre « à la double crise de l’accumulation du capital et du pouvoir de classe »[2]. Les idées néolibérales ne se veulent pas une représentation exacte du monde économique et social, elles ont vocation à déguiser en souci du bien commun ce qui est une violente revanche de classe. Soumises à l’exigence de s’ajuster à des circonstances sociales changeantes, elles se sont modifiées considérablement au cours d’une séquence qui a commencé par la promotion de principes généraux, s’est poursuivie par la mise en œuvre planétaire de politiques économiques et se prolonge aujourd’hui par la justification de leurs effets à tous égards désastreux. Désormais plus porteur de menaces que de promesses, dans le contexte d’un capitalisme en crise profonde et généralisée dont l’hégémonie se fragilise, le discours néolibéral vise, entre autres missions, à accompagner une visée de formatage des individualités et de remodelage de la force de travail en marchandise vivante, en marchandise automate. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres : si la tendance existe bien à sa marchandisation la plus complète, la force de travail humaine ne saurait s’y plier, d’une part parce qu’elle n’est pas produite comme marchandise mais formée comme capacité humaine, vivante et complexe, d’autre par parce que les salariés ne sont pas de simples rouages de la machine productive mais des individus concrets, qui persistent à résister au projet dément de leur annexion capitaliste totale. En ce sens, l’idéologie néolibérale contemporaine n’est pas à prendre au pied de la lettre. Elle se consacre surtout à secréter l’enrobage discursif de cet effort d’annexion capitaliste sans fin, rhabillant en projet d’accomplissement individuel les vieilles théories de la guerre de tous contre tous et de l’individualisme propriétaire. Mais il faut aussitôt ajouter que la misère conceptuelle de l’idéologie dominante n’est pas le défaut dans la cuirasse du néolibéralisme, qu’il faudrait viser pour espérer l’abattre. Car son anthropologie de carton-pâte, sa liberté en trompe-l’oeil et son dogme de la rationalité des marchés offrent en réalité un cadre doctrinal adéquatement souple, ajustable aux choix politiques et aux circonstances de l’heure, désarmant toute objection qui tenterait de le réfuter avec des armes académiques. Sur ce https://www.contretemps.eu Le néolibéralisme et son monde. Remarques sur quelques analyses récentes redaction plan, la première tâche critique n’est pas de discuter une théorie en bonne et due forme, c’est de rendre compte de sa fonction et du paradoxe qui la caractérise. Car l’idéologie contemporaine s’inscrit entre deux pôles contraires, elle mêle apologie de l’entreprise et dénonciation du consumérisme, défense de la liberté individuelle et imprécations autoritaires, tolérance sociétale et fantasmes identitaires. Qu’une l’idéologie dominante se diversifie pour se renforcer n’est pas neuf. Ce qui l’est davantage est qu’elle sache sécréter sa propre critique et s’y recombiner, pour feindre à nouveau de s’y affronter. Face au ballet étourdissant du néolibéralisme et du néoconservatisme qui singe le débat d’idées, la pensée critique peine à échapper à l’étau de sa polarité mortifère. Dans une telle situation, les adversaires du capitalisme auraient tout intérêt à considérer le niveau propre de l’idéologie, en tant qu’elle est non un ensemble d’idées définies, mais une fonction sociale et politique, distincte du reste de la réalité économique et sociale et articulée à elle. Cette analyse, empruntant au marxisme une notion élaborée d’idéologie, semble être la condition d’une contre- offensive sur le terrain social et politique comme sur celui des idées. Car, pour n’être pas dupe de la force prétendument intrinsèque du dogme néolibéral, il faut ajouter à l’analyse du consentement l’étude des formes contemporaines de la coercition (pour reprendre les termes de Gramsci) à un moment où s’accélère le virage autoritaire et anti-démocratique du capitalisme contemporain. Si les idées dominantes se fondent en un même brouet médiatique qui s’épice pour tous les goûts, leur puissance paradoxale se trouve ailleurs que dans leur contenu propre et leur cohérence d’ensemble. Elle tient, d’une part et avant tout, à un rapport de force politique et social et, d’autre part, à l’élaboration d’une propagande omniprésente, ciblant les individus selon leur position sociale et en vue de travestir une guerre de classe, conçue et menée comme telle par les classes dominantes. Pourtant, et pour des raisons qui tiennent à la faiblesse historique du mouvement ouvrier et à sa difficulté à faire valoir une alternative globale et crédible, c’est plutôt une autre critique du néolibéralisme qui l’emporte. Dédaignant l’analyse de la réception des idées dominantes selon les groupes et les classes en relation avec les pratiques néolibérales réelles, elle prend pour point de départ l’affirmation de leur victoire sans partage tant sur le terrain économique et social que sur celui de la culture et de l’individualité. Dépeint comme agent consentant du néolibéralisme, formaté dans son tréfonds, l’individu ordinaire serait devenu un consommateur avide, un spectateur passif et un individualiste forcené plutôt qu’un salarié exploité, un individu racisé ou genré, un jeune précarisé. A ces embarras de la critique, s’ajoute le constat d’une mutation déjà ancienne de la vie culturelle, particulièrement spectaculaire dans un pays comme la France, jadis réputé pour sa vie intellectuelle mais aussi volontiers porté à en surestimer l’importance : la consécration médiatique de pamphlétaires toujours plus réactionnaires, dont les écrits racistes et sexistes se vendent par bennes entières, a parachevé l’effondrement de ce paysage ancien. Les « intellectuels » médiatiques occupent désormais sur la droite et l’extrême droite du spectre idéologique, la place que quarante ans plus tôt des chercheurs originaux et inventifs occupaient sur sa gauche, même si la tendance présente est d’en surestimer nostalgiquement le rôle. Il est logique que, dans ces conditions de défaite politique, de remodelage social et d’encerclement idéologique, les intellectuels qui persévèrent dans la pensée critique soient spontanément portés à ressentir comme débâcle ultime une situation qu’ils n’abordent que sous l’angle des idées, partageant avec leurs adversaires la conviction que le rôle de ces mêmes idées est déterminant. La cause semble alors entendue : comment riposter à des représentations devenues des puissances matérielles, qui ajoutent à leur statut d’idées dominantes celui d’injonctions efficaces ? Paradoxalement, la critique contemporaine du néolibéralisme semble avoir faite sienne la thèse néolibérale qu’il n’existe pas d’alternative. C’est précisément cette approche qu’il importe de discuter. Le néolibéralisme est-il une « cage https://www.contretemps.eu Le néolibéralisme et son monde. Remarques sur quelques analyses récentes redaction d’acier » définitivement close, pour reprendre les termes de Max Weber (qui les appliquait pour sa part au capitalisme en général) ? Est-il vraiment parvenu à instituer cette concordance sans faille entre son fonctionnement réel et les idées dominantes, au point d’avoir enrégimenté l’écrasante majorité des individus, indépendamment des distinctions de classe ? En ce cas, comment a-t-il réussi à contraindre les esprits et les corps à se soumettre à sa logique ? Et comment certains intellectuels critiques parviennent-ils encore à y échapper, même si ce n’est que pour témoigner amèrement de l’ampleur de sa victoire ? Deux réponses sont possibles. Ou bien le néolibéralisme est parvenu à réaliser le rêve du capitalisme des origines, à l’heure même de sa crise généralisée : surmonter toute contradiction et annihiler uploads/Politique/ isabelle-garo-le-neoliberalisme-et-son-monde-remarques-sur-quelques-analyses-recentes.pdf
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- Publié le Dec 01, 2021
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