Presses Universitaires de Bordeaux L’ennui | Gérard Peylet De l’ennui (taedium

Presses Universitaires de Bordeaux L’ennui | Gérard Peylet De l’ennui (taedium uitae) au dégoût de soi (fastidium sui) SEARCH Tout OpenEdition Ce site utilise des cookies et collecte des informations personnelles vous concernant. Pour plus de précisions, nous vous invitons à consulter notre politique de confidentialité (mise à jour le 25 juin 2018). En poursuivant votre navigation, vous acceptez l'utilisation des cookies. Fermer L’ennui - De l’ennui (taedium uitae) au dégoût de soi (fastidium sui) dans... https://books-openedition-org.gorgone.univ-toulouse.fr/pub/22468 1 sur 15 14/09/2021, 21:04 1 2 dans le De tranquillitate animi de Sénèque Géraldine Puccini p. 23-30 Texte intégral Une grave crise politique et morale secoue Rome au premier siècle de notre ère, entraînant une évolution profonde de la mentalité romaine. J.-N. Robert la situe à l’époque de Martial et de Juvénal1, mais elle se manifeste déjà à l’époque de Sénèque dont le traité sur La tranquillité de l’âme permet de montrer les effets de ce malaise sur Sérénus et la réponse du philosophe pour le conjurer. Le système de valeurs fort et cohérent qui permettait de construire l’identité de l’homme social, politique et civique, c’est-à-dire du citoyen, au cœur de la vie de Rome, s’effondre avec l’instauration du principat. La crise politique se double d’une crise morale : « Les effets sont divers, mais se réduisent tous à ce sentiment étrange de dégoût de la vie, ce taedium uitae, cet incommensurable ennui qui ronge l’âme romaine aux deux premiers siècles de notre ère, et à son antidote, la recherche frénétique du plaisir qui étourdit et procure l’oubli. »2 Le développement de l’individualisme, que Plaute déjà condamnait pour la société romaine, le sibi uiuere, « a privé le citoyen du soutien que procure le sentiment d’être une part active d’un tout » : « en s’isolant, et en se réfugiant dans un plaisir illusoire, l’homme romain s’est condamné à l’incapacité de trouver son bonheur »3. La vie romaine est structurée par un axe fondamental, Ce site utilise des cookies et collecte des informations personnelles vous concernant. Pour plus de précisions, nous vous invitons à consulter notre politique de confidentialité (mise à jour le 25 juin 2018). En poursuivant votre navigation, vous acceptez l'utilisation des cookies. Fermer L’ennui - De l’ennui (taedium uitae) au dégoût de soi (fastidium sui) dans... https://books-openedition-org.gorgone.univ-toulouse.fr/pub/22468 2 sur 15 14/09/2021, 21:04 3 4 1. Définition d’un état pathologique l’alternance du negotium et de l’otium : mais quand le negotium laisse une place de plus en plus grande à l’otium4 le vide, la vacance apparaissent et laissent à l’ennui la possibilité de s’insinuer. En Grèce, la notion d’ennui n’existe pas ; c’est celle de « mélancolie » qui sert à désigner des affections diverses ; Hippocrate estime que « quand la crainte et la tristesse persistent longtemps, c’est un état mélancolique »5, maladie résultant d’un excès ou d’une altération de la bile noire. À Rome, la première véritable analyse d’un mal être apparenté à l’ennui se trouve chez Lucrèce qui s’adresse dans la dernière partie du chant III de son De natura rerum à tous ceux qui mènent une « vie morte », ensevelis dans le sommeil sans jamais trouver la source de leurs maux : un « lourd fardeau de misère pèse sur leur esprit » et « accable leur cœur »6. Lucrèce exprime ici le dégoût d’une vie pesante, l’angoisse qui en résulte, la tentative vaine d’y échapper dans un mouvement de fuite : « Voilà comme chacun cherche à se fuir, mais, on le sait, l’homme est à soi-même un compagnon inséparable et auquel il reste attaché tout en le détestant »7. C’est la condition humaine tout entière qui, vouée à l’ignorance, est condamnée à cet état misérable. Mais c’est avec Sénèque que le concept de taedium prend véritablement une ampleur philosophique. La description que Sérénus donne du mal être qui le ronge au début du De tranquillitate animi semble être la première expression dans la littérature latine d’une souffrance existentielle qui mène à l’ennui et au dégoût de soi. Nous verrons quel diagnostic pose Sénèque et quelle thérapie il propose à cet état considéré comme une véritable pathologie. Cette thérapie met en jeu le problème philosophique essentiel du choix du genre de vie et celui de l’engagement civique du philosophe dans sa cité. Ce site utilise des cookies et collecte des informations personnelles vous concernant. Pour plus de précisions, nous vous invitons à consulter notre politique de confidentialité (mise à jour le 25 juin 2018). En poursuivant votre navigation, vous acceptez l'utilisation des cookies. Fermer L’ennui - De l’ennui (taedium uitae) au dégoût de soi (fastidium sui) dans... https://books-openedition-org.gorgone.univ-toulouse.fr/pub/22468 3 sur 15 14/09/2021, 21:04 5 6 7 La métaphore médicale structure le discours de Sérénus à Sénèque qui ouvre le traité. Sérénus, ancien épicurien et néophyte stoïcien, s’ouvre à Sénèque d’un mal dont il souffre comme à un médecin8 afin qu’il trouve « le nom de la maladie »9. Il analyse lucidement une sorte de malaise existentiel où il dénonce les faiblesses de son âme, hésitante, incapable de se déterminer clairement pour tel ou tel choix de vie. Il hésite en particulier entre l’élan et le repli, l’intérieur et l’extérieur, l’action dans la vie collective et le retrait dans une vie à l’écart de la Cité, entre pauvreté et luxe, entre travail et divertissement : il oscille en permanence dans un mouvement pendulaire entre otium et negotium. Sérénus exprime la conscience instable et malheureuse qui ne sait pas trouver la juste mesure. Il pose ainsi différentes questions : la question du rapport aux objets et à la vie matérielle ; la question de la place du sage dans la cité. Sénèque répond à son ami en lui proposant une analyse de type médical de ce mal qui empêche l’âme d’atteindre le bonheur suprême. Cette médecine de l’âme commence par diagnostiquer les symptômes pour proposer ensuite une thérapie. Sénèque, dans une remarquable analyse psychologique fouillée, explore les zones troubles de l’âme et, dans sa quête de diagnostic, enrichit considérablement le vocabulaire psychologique en recourant à de nombreux termes suggestifs pour dépeindre le marasme dépressif. Il commence par définir ce mal par trois substantifs : leuitate (...) ac taedio assiduaque mutatione, « la mobilité d’humeur, le dégoût, la perpétuelle versatilité »10. Ce mal revêt d’innombrables formes – le regret des choses laissées, un état languissant où l’on ne fait que bâiller, une perpétuelle agitation qui interdit le repos ou au contraire une attitude rigide qui refuse tout changement –, mais aboutit toujours au même résultat : sibi displicere, « le mécontentement de soi »11. L’instabilité et la frustration engendrent inéluctablement le dégoût de soi. Ce site utilise des cookies et collecte des informations personnelles vous concernant. Pour plus de précisions, nous vous invitons à consulter notre politique de confidentialité (mise à jour le 25 juin 2018). En poursuivant votre navigation, vous acceptez l'utilisation des cookies. Fermer L’ennui - De l’ennui (taedium uitae) au dégoût de soi (fastidium sui) dans... https://books-openedition-org.gorgone.univ-toulouse.fr/pub/22468 4 sur 15 14/09/2021, 21:04 8 9 10 11 Semper instabiles mobilesque sunt, quod necesse est accidere pendentibus. « Ce sont toujours des âmes instables, changeantes, cela arrive inévitablement à des caractères irrésolus. » Cet état morbide est le propre des âmes timides, craintives et irrésolues : Le résultat de cet état d’incertitude est « une agitation de l’âme » (animi iactatio), « un ralentissement de la vie » (cunctatio uitae), « un état de torpeur » (torpentis animi situs)12. L’individu ne parvient pas à développer ses aspirations, souffre d’être ballotté de-ci de-là parmi des espoirs systématiquement ruinés. L’âme irrésolue se trouve dans l’incapacité de prendre parti dans une situation donnée et se plonge dans une situation psychologiquement si inconfortable qu’il en naît une sorte de lassitude. La crainte d’un futur toujours incertain hypothèque le présent et lui interdit de trouver le bonheur. La vie perd toute consistance et ne parvient pas à se développer. Réfléchir sur l’ennui, c’est donc méditer sur le temps : à toujours penser au futur et à craindre de rater ses projets, on manque le présent. L’ennui est donc le propre d’une âme aliénée par ses craintes qui ruine toute possibilité de bonheur dans l’instant présent. Devant cette impossibilité de vivre pleinement sa vie, la tentation est forte de se réfugier « vers l’oisiveté et des études solitaires ». Mais attention, la valorisation de l’otium ne doit pas nous faire tomber dans le piège de l’étude stérile : la frustration entraîne le repli sur soi, funeste au bon équilibre de l’âme. Ce retrait est en effet non seulement contraire aux exigences de la vie publique, faite d’activité et de mouvement, mais aussi et surtout contraire à l’essence même de l’âme que Sénèque définit comme étant naturellement « active et encline au mouvement »13. Ce retrait est ainsi défini en creux comme une absence de mouvement, une inaction proche de l’état de mort. On se Ce site utilise des cookies et collecte des informations personnelles vous concernant. Pour plus de précisions, nous vous invitons à consulter notre politique de confidentialité (mise à jour uploads/Politique/ de-l-x27-ennui-taedium-uitae-au-degout-de-soi-fastidium-sui-dans-le-de-tranquillitate-animi-de-seneque-geraldine-puccini.pdf

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