Religion, politique et radicalisation Loïc Le Pape Université Paris1-Sorbonne A
Religion, politique et radicalisation Loïc Le Pape Université Paris1-Sorbonne Année 2019-2020 L3 - (2e semestre) Séance 1 : violence politique et radicalisation Les études sur la violence politique sont une thématique centrale de la sociologie politique, mais elle sont éparpillées entre plusieurs champs : la sociologie des mobilisations, la psychologie sociale (comment des individus en viennent-ils à commettre des faits de violence ?), la sociologie des mobilisations (la violence comme ressource, les déterminants contextuels de la violence politique), les études sur le terrorisme (terrorism studies – marginales en France) etc. Un bon résumé de la situation chez X. Crettiez. L’un des évènements qui va modifier la compréhension de la violence politique et de la notion de radicalisation c’est le 11/09. A partir de cette date les Etats-Unis vont investir dans la recherche, finançant des programmes de recherche universitaires et des fondations privées qui vont progressivement élaborer une vision – un modèle – de la radicalisation. C’est à partir de 2001 que le terme radicalisation prend une surface médiatique et théorique importante. Dit autrement la radicalisation est ancrée dans un rapport avec le politique (la réalité politique des actes terroristes) mais également entretien un lien fondamental avec le religieux (en l’occurrence l’islam, au nom de la religion revendiquée par ceux qui commettent des attentats). La radicalisation, c’est aujourd’hui, pour le grand public, la radicalisation islamiste (au mieux), la radicalisation islamique au pire. On retrouve cette idée chez Bruce Hoffman (le pape des terrorism-studies), qui distingue un ancien terrorisme à base politique (qu’elle soit nationaliste, communiste ou fasciste) et un nouveau terrorisme qui serait « rooted » ancré dans le fanatisme. Dans un premier point on va détailler la naissance du concept de radicalisation, à partir des travaux d’Isabelle Sommier, de Arun Kundnani et de Farhad Khosrokhavar. Dans un second temps, toujours avec I. Sommier, F. Khosrokhavar et d’autres, nous verrons ce que c’est qu’être radicalisé. Dit autrement, ce sera l’examen des variables lourdes de l’engagement radical. 1. Les risques scientifiques de l'engagement radical Pendant longtemps, la majorité des études sur le terrorisme et la violence politique ne se sont pas tellement servies du concept. Les études s’intéressaient nettement plus aux causes du terrorisme et de l’action violente, à ses différentes manifestations, aux soutiens enregistrés ou aux effets en termes politiques et/ou diplomatiques de la violence politique. « La question du passage à l’acte et des itinéraires singuliers qui mènent à un «homme ordinaire» à user de la violence radicale ne s’est guère posée autrement que dans les études sociologiques sur les violences extrêmes ». 1 Dans son plus petit dénominateur commun, la radicalisation indique une transformation d’une action ou d’un groupe dans le sens d’un durcissement, d’un surcroît d’intransigeance en matière politique, sociale, culturelle... Il y a donc d’emblée dans la notion deux choses : - l’idée d’un mouvement d’une part, et - qui pointe vers un « extrême » d’autre part. On peut commencer par définir la radicalisation à partir d’une articulation entre une pensée (ou une idéologie) extrémiste et une action violente plus ou moins organisée. Cependant, l’idée d’une articulation n’est pas assez pertinente, elle ne fait que juxtaposer deux propositions. Il nous faut concevoir la radicalisation non comme un simple rapport entre idéologie et violence, mais comme un processus qui lie les deux : « processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel ». (Borum R., 2011, «Radicalization into Violent Extremism II : A Review of Conceptual Models and Empirical Research». Journal of Strategic Security 4 ; 2003) En relation avec le processus, la radicalisation se voit également définie dans ses modalités et les transformations qu’elle opère, ce qu’elle fait aux individus : « changement des croyances, des sentiments et des comportements dans des directions qui justifient de façon croissante la violence entre les groupes et exigent le sacrifice pour la défense de l’in-group». McCauley C. et Moskalendo S., 2008, « Mechanisms of Political Radicalisation : Pathways toward Terrorism », Terrorism and Polical Violence, 20, 3, 416. Bref, après ces définitions, quelle que soit la définition choisie, celle-ci se fonde sur l’idée d’un passage ou d’un recours à la violence en lien avec une vision idéologique radicale. Point essentiel : il faut s’assurer d’une nécessaire coprésence de ces deux dimensions, qui l’une séparément de l’autre ne permettrait en aucun cas de participer d’une radicalisation. Validité scientifique de la radicalisation ? Certains auteurs réfutent à la radicalisation un statut de concept, et la considèrent comme un « terme politique plus que scientifique servant avant tout à désigner la violence politique considérée comme illégitime » Ragazzi F., 2014, « Vers un multiculturalisme policier ? La lutte contre la radicalisation en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni » Les études du Ceri,Sciences Po, CERI CNRS, p.7 Et quand la radicalisation accède au rang de concept, celui-ci est souvent mal défini, complexe et controversé. D’autres auteurs s’embêtent moins et disqualifient d’emblée le processus : « Qu’il y ait sérieusement un processus appelé « radicalisation » ou endoctrinement est vraiment une erreur. Ce qu’il se passe, ce sont de jeunes gens qui acquièrent des idées extrêmes – mais c’est un processus similaire à l’acquisition de n’importe quel type d’idées. Cela commence en général par une discussion avec un ami » (Marc Sageman, Understanding terror networks, Philadelphia, University of Pensilvania Press). Même idée chez J.P. Filliu après les attentats de Nice, et le suspect (Mohamed Lahouaiej Bouhlel) qui s’était radicalisé très rapidement : « Une « radicalisation très rapide », cela s’appelle une conversion » https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2016/07/17/une-radicalisation-tres-rapide-cela-sappelle- 2 une-conversion/ À la recherche des causes de la radicalisation À partir de Guillaume Brie et Cécile Rambourg, « Radicalisation Analyses scientifiques versus Usage politique. Synthèse analytique », dossiers thématiques du CIRAP, 2015. En ligne : https://www.enap.justice.fr/sites/default/files/edito/pdf/dossier_thematique_radicalisations_se pt2015.pdf « L’engagement radical s’analyse dès les années 60s très majoritairement, voire exclusivement, sous le prisme du terrorisme avec schématiquement trois catégories » : 1. une perspective psychologique, voire psychiatrique. « L’engagement radical est anormal dans le double sens de spécifique et pathologique. Le comportement terroriste est une psychopathologie individuelle. Il y a des travaux qui expliquent le terrorisme par des troubles de l’identité, qui serait agressive et négative. D’autres, qui mettent l’accent sur les troubles narcissiques de la personnalité et la probabilité d’être violent. D’autres encore par des tensions psychologiques qui trouvent leur origine dans la petite enfance. Globalement ces études postulent un déterminisme des mécanismes psychologiques. L’approche psychopathologique a été critiquée (et quasi jetée à la poubelle) pour son effet de disqualification des individus terroristes et par sa tendance à nier la composante politique du phénomène de la violence extrémiste. Mais elle a surtout été critiquée méthodologiquement par l’absence de groupe contrôle et par des résultats contradictoires entre eux et contredits par d’autres travaux qui mettent en avant l’absence d’anormalité ou de prédispositions psychologiques chez les individus concernés ». 2. Une autre catégorie de recherche s’appuie sur les théories du choix rationnel et de l’action collective. « Héritage de la sociologie naissante des mouvements sociaux. Le terrorisme y est analysé par une approche le plus souvent stratégique qui consiste à penser l’engagement comme le résultat d’un comportement instrumental de groupes qui cherchent à réaliser, selon une rationalité collective, leurs objectifs à court ou long terme. Dans ce cadre, l’action est fondée sur un calcul en termes de coût et de bénéfice portant sur les chances de réussite des opérations, les risques encourus et les conséquences de l’inaction (Obershall). Cette approche peut s’articuler au modèle organisationnel portant sur la compréhension des contraintes qui pèsent sur l’organisation clandestine et qui influent sur ses orientations permettant de traiter le problème de la détermination des choix qui sont effectués par les acteurs en fonction des contraintes auxquelles ils sont soumis (Donatella Della Porta) ». L’approche stratégique est critiquée du fait de l’imprécision conceptuelle du modèle qu’elle propose (le choix rationnel). Egalement, la dimension micro-sociologique y est négligée. 3. Une troisième approche en termes de frustration/agression Cette approche tente de mêler le macro au microsociologique en rattachant à l’expérience individuelle des formes de violences collectives (Ted Gurr). Why men rebel ? est un ouvrage de Ted Gurr (publié en 1970), fruit d’une commande de Jonhson pour expliquer, et comprendre, les causes de la violence et les moyens d’y remédier. Il y a dans le livre une contribution de Charles Tilly qui considère la violence comme « sous produit de l’action collective » qui ouvre en fait « l’hypothèse continuiste de l’analyse de la 3 violence dans un continuum avec les autres formes d’engagement » (Merci Isabelle Sommier !) « Ainsi, le recours à la violence politique est expliqué par l’écart entre la société majoritaire et les couches défavorisées et victimes du sous-emploi de certaines catégories sociales. Le statut socio-économique défavorable est constitué en facteur conduisant à la violence ». La thèse de la frustration socio-économique est mise à mal par un schéma théorique trop rigide (les uploads/Politique/ se-ance-1-violence-politique.pdf
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- Publié le Jui 29, 2022
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