Le Christianisme dévoilé Paul-Henri Thiry, baron d’Holbach Publication: 1761 So

Le Christianisme dévoilé Paul-Henri Thiry, baron d’Holbach Publication: 1761 Source : Livres & Ebooks Chapitre 1 Lettre de l’auteur à Monsieur. Je reçois, monsieur, avec reconnoissance les observations que vous m’envoyez sur mon ouvrage. Si je suis sensible aux éloges que vous daignez en faire, j’aime trop la vérité, pour me choquer de la franchise avec laquelle vous me proposez vos objections ; je les trouve assez graves, pour mériter toute mon attention. Ce seroit être bien peu phi- losophe, que de n’avoir point le courage d’entendre contredire ses opinions. Nous ne sommes point des théologiens ; nos démêlés sont de nature à se terminer à l’amiable ; ils ne doivent ressembler en rien à ceux des apôtres de la superstition, qui ne cherchent qu’à se surprendre mutuellement par des argumens captieux, et qui, aux dépens de la bonne foi, ne combattent jamais que pour défendre la cause de leur vanité et de leur propre entêtement. Nous desirons tous deux le bien du genre humain ; nous cherchons la vérité ; nous ne pouvons, cela posé, manquer d’être d’accord. Vous commencez par admettre la nécessité d’examiner la religion et de sou- mettre ses opinions au tribunal de la raison ; vous convenez que le christianisme ne peut soutenir cet examen, et qu’aux yeux du bon sens il ne paroîtra jamais qu’un tissu d’absurdités, de fables décousues, de dogmes insensés, de cérémo- nies puériles, de notions empruntées des chaldéens, des égyptiens, des phéni- ciens, des grecs et des romains. En un mot, vous avouez que ce système religieux n’est que le produit informe de presque toutes les anciennes superstitions, en- fantées par le fanatisme oriental, et diversement modifiées par les circonstances, les tems, les intérêts, les caprices, les préjugés de ceux qui se sont depuis donnés 1 pour des inspirés, pour des envoyés de Dieu, pour des interprêtes de ses volontés nouvelles. Vous frémissez des horreurs que l’esprit intolérant des chrétiens leur a fait com- mettre, toutes les fois qu’ils en ont eu le pouvoir ; vous sentez qu’une religion, fondée sur un dieu sanguinaire, ne peut être qu’une religion de sang ; vous gé- missez de cette phrénésie, qui s’empare dès l’enfance de l’esprit des princes et des peuples, et les rend également esclaves de la superstition et de ses prêtres, les empêche de connoître leurs véritables intérêts, les rend sourds à la raison, les détourne des grands objets qui devroient les occuper. Vous reconnoissez qu’une religion, fondée sur l’enthousiasme, ou sur l’imposture, ne peut avoir de prin- cipes assurés, doit être une source éternelle de disputes, doit toujours finir par causer des troubles, des persécutions et des ravages, sur-tout lorsque la puissance politique se croira indispensablement obligée d’entrer dans ses querelles. Enfin, vous allez jusqu’à convenir qu’un bon chrétien, qui suit littéralement la conduite que l’évangile lui prescrit, comme la plus parfaite, ne connoît en ce monde au- cun des rapports sur lesquels la vraie morale est fondée, et ne peut être qu’un misanthrope inutile, s’il manque d’énergie, et n’est qu’un fanatique turbulent, s’il a l’ame échauffée. Après ces aveux, comment peut-il se faire que vous jugiez que mon ouvrage est dangereux ? Vous me dites que le sage doit penser pour lui seul ; qu’il faut une religion, bonne, ou mauvaise, au peuple ; qu’elle est un frein nécessaire aux es- prits simples et grossiers, qui sans elle n’auroient plus de motifs pour s’abstenir du crime et du vice. Vous regardez la réforme des préjugés religieux comme impos- sible ; vous jugez que les princes, qui peuvent seuls l’opérer, sont trop intéressés à maintenir leurs sujets dans un aveuglement dont ils profitent. Voilà, si je ne me trompe, les objections les plus fortes que vous m’ayez faites, je vais tâcher de les lever. D’abord je ne crois pas qu’un livre puisse être dangereux pour le peuple. Le peuple ne lit pas plus qu’il ne raisonne ; il n’en n’a, ni le loisir, ni la capacité : d’un autre côté, ce n’est pas la religion, c’est la loi qui contient les gens du peuple, et quand un insensé leur diroit de voler ou d’assassiner, le gibet les avertiroit de n’en rien faire. Au surplus, si par hazard il se trouvoit parmi le peuple un homme en état de lire un ouvrage philosophique, il est certain que cet homme ne seroit pas communément un scélérat à craindre. 2 Les livres ne sont faits que pour la partie d’une nation, que ses circonstances, son éducation, ses sentimens, mettent au-dessus du crime. Cette portion éclairée de la société, qui gouverne l’autre, lit et juge les ouvrages ; s’ils contiennent des maximes fausses, ou nuisibles, ils sont bientôt, ou condamnés à l’oubli, ou dé- voués à l’exécration publique : s’ils contiennent des vérités, ils n’ont aucun danger à courir. Ce sont des fanatiques, des prêtres et des ignorans, qui font les revolu- tions ; les personnes éclairées, désintéressées et sensées, sont toujours amies du repos. Vous n’êtes point, monsieur, du nombre de ces penseurs pusillanimes, qui croyent que la vérité soit capable de nuire : elle ne nuit qu’à ceux qui trompent les hommes, et elle sera toujours utile au reste du genre humain. Tout a dû vous convaincre depuis long-tems, que tous les maux, dont notre es- péce est affligée, ne viennent que de nos erreurs, de nos intérêts mal entendus, de nos préjugés, des idées fausses que nous attachons aux objets. En effet, pour peu que l’on ait de suite dans l’esprit, il est aisé de voir que ce sont en particulier les préjugés religieux qui ont corrompu la politique et la morale. Ne sont-ce pas des idées religieuses et surnaturelles qui firent regarder les souverains comme des dieux ? C’est donc la religion qui fit éclore les despotes et les tyrans ; ceux-ci firent de mauvaises loix ; leur exemple corrompit les grands ; les grands corrompirent les peuples ; les peuples viciés devinrent des esclaves malheureux, occupés à se nuire, pour plaire à la grandeur, et pour se tirer de la misere. Les rois furent appellés les images de Dieu ; ils furent absolus comme lui ; ils créerent le juste et l’injuste ; leurs volontés sanctifierent souvent l’oppression, la violence, la rapine ; et ce fut par la bassesse, par le vice et le crime, que l’on obtint la faveur. C’est ainsi que les nations se sont remplies de citoyens pervers, qui, sous des chefs corrompus par des notions religieuses, se firent continuellement une guerre ou- verte, ou clandestine, et n’eurent aucuns motifs pour pratiquer la vertu. Dans des sociétés ainsi constituées, que peut faire la religion ? Ses terreurs éloi- gnées, ou ses promesses ineffables, ont-elles jamais empêché les hommes de se livrer à leurs passions, ou de chercher leur bonheur par les voies les plus faciles ? Cette religion a-t-elle influé sur les mœurs des souverains, qui lui doivent leur pouvoir divin ? Ne voyons-nous pas des princes, remplis de foi, entreprendre à chaque instant les guerres les plus injustes ; prodiguer inutilement le sang et les biens de leurs sujets ; arracher le pain des mains du pauvre, pour augmenter les trésors du riche insatiable ; permettre et même ordonner le vol, les concussions, 3 les injustices ? Cette religion, que tant de souverains regardent comme l’appui de leur trône, les rend-elle donc plus humains, plus réglés, plus tempérans, plus chastes, plus fidéles à leurs sermens ? Hélas ! Pour peu que nous consultions, l’his- toire, nous y verrons des souverains orthodoxes, zélés et religieux jusqu’au scru- pule, être en même tems des parjures, des usurpateurs, des adulteres, des voleurs, des assassins, des hommes enfin qui agissent comme s’ils ne craignoient point ce dieu qu’ils honorent de bouche. Parmi ces courtisans qui les entourent, nous verrons un alliage continuel de christianisme et de crime, de dévotion et d’ini- quité, de foi et de vexations, de religion et de trahisons. Parmi ces prêtres d’un dieu pauvre et crucifié, qui fondent leur existence sur sa religion, qui prétendent que sans elle il ne peut y avoir de morale, ne voyons-nous pas régner l’orgueil, l’avarice, la lubricité, l’esprit de domination et de vengeance ? Leurs prédications continuelles, et réitérées depuis tant de siécles, ont-elles véritablement influé sur les mœurs des nations ? Les conversions, que leurs discours opérent, sont-elles vraiment utiles ? Changent-elles les cœurs des peuples qui les écoutent ? De l’aveu même de ces docteurs, ces conversions sont très-rares, ils vivent toujours dans la lie des siécles ; la perversité humaine augmente chaque jour, et chaque jour ils déclament contre des vices et des crimes, que la coutume autorise, que le gou- vernement encourage, que l’opinion favorise, que le pouvoir récompense, et que chacun se trouve intéressé à commettre, sous peine d’être malheureux. Ainsi, de l’aveu même de ses ministres, la religion, dont les préceptes ont été inculqués dès l’enfance et se répétent sans relâche, ne peut rien contre la dépra- vation des mœurs. Les hommes mettent toujours la religion de côté, dès qu’elle s’oppose à uploads/Religion/ holbach-le-christianisme-devoile.pdf

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  • Publié le Jul 10, 2021
  • Catégorie Religion
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