L’Actualité Poitou-Charentes – N° 51 30 Premier pas tiers, où la majorité des p
L’Actualité Poitou-Charentes – N° 51 30 Premier pas tiers, où la majorité des professeurs et toute l’ad- ministration appartenaient au clergé du diocèse. En 1943, après avoir obtenu son baccalauréat, il réintégra le lycée Henri IV pour entrer en hypokhâgne puis en khâgne. Il fut recalé une pre- mière fois au concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. Après cet échec, il entra en khâgne au lycée Henri IV , à Paris, et réus- sit son entrée à Normale Sup en 1946. C’est en 1942 qu’il rencontra Louis Girard, le jeune étu- diant qui venait lui donner des cours de philo le jeudi. Ce rendez-vous cessa en août 1943 lors- que Louis Girard fut envoyé au STO (Service du travail obligatoire), à Nuremberg. Il fut arrêté en avril 1944 parce qu’il était «mauvais travailleur, anti-SS, un peu propagandiste» et sans doute aussi pour «intimider» les autres, puis libéré en avril 1945. Reçu à l’agrégation de philo plus tard que son ancien élève – avec lequel il garda des liens – Louis Girard enseigna en terminale à Châtelle- rault et à Poitiers, puis en khâgne au lycée Ca- mille Guérin, à Poitiers, de 1970 à 1982. Jusqu’en 1970, il s’était engagé à fond dans le syndica- lisme CFTC, puis CFDT. La retraite venue, il en- treprit une thèse de philosophie sous la direction d’un ancien camarade de fac, Jacques D’Hondt, sur le thème «L ’argument ontologique chez saint Anselme et chez Hegel», travail de recherche mené pendant dix ans. L ’Actualité. – Dans quelles circonstances avez- vous été amené à donner des leçons de philo à Michel Foucault␣? Louis Girard. – J’ai connu Michel Foucault de façon accidentelle. Mme Foucault avait placé son fils au collège Saint-Stanislas en 1940 parce que des profs d’Henri IV voulaient lui faire redou- bler sa classe de troisième. En 1942, le chanoine Duret, professeur de philo de Saint-Stan, a été arrêté par la Gestapo et déporté. Le père Bardinette, prof de lettres de la classe de première, l’a remplacé quelques mois. En cours, il lisait le Desgranges, manuel de littérature, et se conten- taient de corriger les fautes d’orthographe dans les dissertations. J’ai subi quelque temps en pre- mière, les lectures endormantes du très honora- ble et d’ailleurs extrêmement gentil Bardinette. Puis est venu Dom Pierrot, bénédictin de Ligugé, érudit mais thomiste dogmatique, hostile à tout En 1942 à Poitiers, le jeune Michel Foucault prenait des cours de philo auprès d’un étudiant poitevin, Louis Girard, un futur prof de khâgne Entretien Jean-Luc Terradillos Photo Franck Gérard en philo A partir de septembre 1940, Michel Fou- cault effectua son cycle d’études secon- daires au collège Saint-Stanislas, à Poi- rencontres L’Actualité Poitou-Charentes – N° 51 31 ce qui, depuis Descartes y compris, se voulait philosophie. Avant son arrivée, Mme Foucault avait demandé au doyen Carré, de la faculté de lettres de l’Université de Poitiers, de lui recom- mander quelqu’un capable de donner des leçons particulières de philosophie à son fils. C’est ainsi que je me suis retrouvé tous les jeudis chez Michel Foucault, rue Arthur-Ranc, en 1942 et 1943. J’avais 22 ans… donc à peine plus âgé que lui. Etudiant en licence de philo, je ne peux pas dire que mon enseignement était bien origi- nal. Mais il y avait l’enthousiasme. Je lui ressor- tais ce que nous enseignait le doyen Carré, c’est- à-dire un kantisme à la sauce française, laïcisé. Des générations d’instituteurs, les «hussards de la République», ont été formés à ce kantisme-là. Michel Foucault essayait de comprendre. C’était déjà un travailleur acharné. Nous parlions peu en dehors des cours. Après la Libération, il a repris contact avec moi. Il faisait du vélo et quand il séjournait à Vendeuvre, il venait me voir à Mirebeau. Après mon mariage, nous avons été invités, ma femme et moi, dans la belle maison de Vendeuvre. Je me souviens bien de la grand-mère avec son ruban autour du cou et sa sonnette. J’étais très impres- sionné par cette famille bourgeoise, moi, fils de petit menuisier mirebalais, né dans un taudis. Avez-vous connu le chanoine Duret␣? Après avoir démissionné de l’Ecole normale parce que le métier d’instituteur me faisait peur, je suis entré comme pion à Saint-Stan, grâce à mon on- cle curé. Et j’ai fait de la philo avec le chanoine Duret. Cet homme remarquable était un anti- pétainiste viscéral, patriote et anti-défaitiste. Par exemple, il a voulu faire enlever la photo de Pé- tain dans sa classe et, devant le refus de la direc- tion, il l’a placée sous le crucifix et non au-des- sus. Engagé très tôt dans la Résistance, il appar- tenait au réseau Renard. S’il n’était pas mort en camp de concentration, il aurait certainement été guillotiné, comme le père Lambert de Ligugé. En cette période très noire, j’ai constaté qu’on pouvait être profondément anticlérical et sympa- thiser avec des prêtres ou des séminaristes résis- tants car on se retrouvait dans l’unité essentielle cultivée par la République␣: la défense de la pa- trie et des valeurs humaines contre la barbarie. Comment avez-vous perçu le bref engagement de Michel Foucault au PC␣? Après la Libération, les esprits étaient désarçon- nés par la barbarie qui venait de s’abattre sur l’Eu- rope, et le Parti communiste jouissait d’une in- fluence extraordinaire sur les intellectuels. Mi- chel Foucault a été lecteur en Suède et en Polo- gne (il expliquait Tête d’Or de Claudel). Je lui demai avec précaution ce qu’il pensait du régime polonais. «Je fais ce que je peux, dit-il. Mais il y a quelque chose d’embêtant.» «Quoi donc␣?», de- mandai-je. «Le socialisme», répondit-il. C’est vous dire s’il prenait ses distances. Quels traits de caractères vous ont le plus frappé chez lui␣? Michel Foucault était un homme curieux et dé- sespéré. Pour lui, l’anormal n’existait plus. C’était une décision prise par la société. Je crois qu’il ressentait au plus profond de lui-même les con- traintes des normes bourgeoises qui l’avaient corseté et qu’il ne pouvait les rejeter qu’en fai- sant table rase. Peut-être a-t-il aussi souffert de son homosexualité. Mais il ne m’en a jamais parlé. Quand je me suis marié, en 1947, je lui ai dit␣: «A ton tour maintenant␣!» Il est devenu tout rouge. C’est alors que j’ai compris. J’insisterai sur la gentillesse et la simplicité que j’ai, pour ma part, toujours rencontrées chez Mi- chel Foucault. Parliez-vous de Michel Foucault à vos élèves de khâgne␣? Je me gardais bien de leur enseigner Foucault. C’eut été le meilleur moyen de les faire coller. Mais un jour que j’accompagnais une de mes élèves admissible à l’Ecole normale supérieure de Sèvres, nous avons rencontré Michel et échangé quelques mots. La jeune fille écarquillait les yeux␣: «C’est Michel Foucault␣!» Cela a contribué à renforcer mon prestige auprès des khâgneux de Poitiers. I La place d’Armes vue de la mairie de Poitiers, carte postale envoyée en 1942. Coll. Pierre Juchault. NOMMER En 1996, la ville de Chauvigny a donné le nom de Michel Foucault au Centre d’animation populaire. «Cela s’imposait, affirme Alain Fouché, le maire, étant donné que nous avons la chance, dans le département de la Vienne, d’avoir vu naître un des plus grands penseurs de ce siècle. En outre, je connais bien la famille. Le père de Michel Foucault eut mon père comme étudiant et j’étais son filleul.» Il existe une rue Michel-Foucault à Vendeuvre-du- Poitou, où il repose. «A Poitiers, note Daniel Lhomond, adjoint au maire, plusieurs propositions n’ont jamais été concrétisées. Personne n’a osé. A mon initiative, la cité internationale du Crous, qui accueillera étudiants et chercheurs étrangers dans une partie réhabilitée de l’hôpital Pasteur, près du Pont-Neuf, s’appellera Michel- Foucault.» Ce projet, inscrit au contrat de plan Etat-Région 2000-2006, devrait voir le jour dans un ou deux ans. Les livres de Michel Foucault sont largement diffusés et d’innombrables sites Internet lui sont consacrés dans le monde entier. La biographie de Didier Eribon, intitulée Michel Foucault, rééditée en poche par Champs/Flammarion en 1991, constitue une bonne introduction à l’itinéraire du philosophe. uploads/Religion/ louis-girard-premier-pas-en-philo.pdf
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Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 21, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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