1 Radicalité des sciences sociales africanistes et réinvention du futur de l’Af
1 Radicalité des sciences sociales africanistes et réinvention du futur de l’Afrique face aux défis du XXIe siècle : les enjeux d’un débat Amadou Sarr Diop Introduction Les productions intellectuelles relevant du domaine des sciences sociales ne sont pas neutres vis-à-vis des transformations profondes qui travaillent les sociétés vivantes et des projets qui mobilisent les acteurs collectifs et individuels. Transposé dans le contexte de l’africanisme, ce postulat épistémologique renseigne sur l’ampleur des responsabilités qui incombent aux chercheurs africains dans leur effort pour se doter des instruments d’analyse adéquats susceptibles de rendre compte des recompositions qui se sont opérées dans nos sociétés post-coloniales et de baliser les chemins de la re-génération pour le continent africain dans un contexte de dévoilement historique et de ruptures profondes auxquelles sont confrontées, du fait des crises systémiques et des changements rapides de la mondialisation, les sociétés humaines. L’objet de notre propos s’inscrit dans cette perspective de redimensionnement des sciences sociales africaines pour leur faire assumer leur partition dans l’analyse des mutations dans lesquelles nos sociétés sont engagées et, surtout, d’exiger d’elles des recherches destinées à mettre en œuvre des stratégies de rupture pour engager le continent noir dans la voie du progrès et de l’affirmation de soi. La démarche que nous adoptons se fonde sur le postulat que les sciences sociales africaines ne doivent pas s’enfermer dans une neutralité figée, dans un théoricisme n’ayant aucun éclairage sur la praxis. Dans la perspective de libérer la créativité scientifique à laquelle s’inscrit cette nouvelle radicalité suggérée 1 - Amadou Sarr Diop - Radicalité des sciences sociales africanistes.indd 5 02/05/2015 00:30:56 Les perspectives de l’Afrique au XXIe siècle 6 par le sociologue Jean Marc Ela (1998), les recherches africanistes ne peuvent aucunement se limiter à la seule restitution du sens des crises et des conflits en Afrique. Elles devraient également éclairer sur les scénarios susceptibles de sortir l’Afrique du sous-développement, d’édifier sur un leadership africain pour faire de notre continent un sujet de l’histoire, un acteur majeur qui participe et impulse sa vision sur la marche du monde. Dans une mondialisation qui s’organise en pans géopolitiques, en blocs identifiés par leurs espaces naturels, le continent africain doit trouver ses repères dont les sciences sociales ont l’obligation de déterminer les contours. Cette rupture de paradigme suppose une refondation de l’ordre épistémologique positiviste occidentaliste pour asseoir un espace épistémique africaniste investissant théoriquement la question de l’avenir de notre continent, de son développement économique et social et, surtout, de ses rapports avec le reste du monde marqués par une articulation du local et du global dominé par les règles du profit. Sous ce rapport, les sciences sociales africanistes ne doivent pas se placer en dehors du combat politique et économique que mènent les populations d’Afrique. Elles ont plus que jamais, dans le contexte de la globalisation, un rôle d’alerte et de suggestion pour éclairer les stratégies des acteurs africains, dans une mondialisation où les réseaux transnationaux se sont emparés des pouvoirs économiques. Face au délitement du système interétatique, face à une globalisation, synonyme de radicalisation aiguë du projet de sujétion de l’humanité entière à la raison calculatrice qui « se présente sous les dehors de l’inévitabilité » (Bourdieu 1998:35), l’heure n’est il pas, comme le suggère Jean- Marc Ela (1998), à la réhabilitation de la pluralité des formes de sociabilité, en vue de légitimer la recherche en sciences sociales ? Si l’échec des expériences du socialisme marxiste-léniniste a emporté le vaste projet utopique d’une humanité réconciliée avec elle, en dépit des diversités énormes, la fin de ce rêve, qui aura dominé le XXe siècle, ne signifie pas pour les chercheurs africains la renonciation au rôle assigné à « l’intellectuel organique » : celui d’un penseur investi de l’intelligence de la praxis, le refus d’une acception du monde. Dans un contexte géostratégique complexe, l’expertise des sciences sociales s’avère donc nécessaire pour redonner espoir en Afrique, en renouant avec la tradition critique faite de radicalité. Telle est la mission qui présume le renouveau des sciences africaines à fournir une intelligence qui conjugue l’impératif d’une compréhension critique, de la situation de l’Afrique dans le monde et celui de la praxis par le balisage des voies et moyens pour la réinvention du futur de l’Afrique, face aux défis du XXIe siècle. Les lignes de ce texte s’inscrivent dans une matrice analytique qui conjugue ces deux impératifs : il se situe dans une exigence épistémologique praxique à laquelle devraient s’inscrire les projets de recherches des sciences sociales africanistes pour asseoir les stratégies efficientes devant les enjeux toniques de la globalisation. 1 - Amadou Sarr Diop - Radicalité des sciences sociales africanistes.indd 6 02/05/2015 00:30:56 Diop : Radicalité des sciences sociales africanistes 7 Eléments d’une problématique De l’ethnologie coloniale aux ruptures épistémologiques successives, le champ de l’africanisme a été le théâtre d’un vaste mouvement de théorisations aux postures hybrides. Mais, au-delà de la diversité des perspectives théoriques, la plupart des grilles d’approche sur l’Afrique et les Africains ont porté sur des logiques de réhabilitation et de revalorisation du monde noir longtemps considéré comme un espace a-historique. Historiquement, les sensibilités dominantes de la créativité intellectuelle ont été marquées par les débats sur l’identité de l’homme noir, sur l’autodétermination et la valorisation des humanités africaines. L’essentiel du corpus analytique, qui a structuré le champ de la pensée africaniste dans le domaine des sciences sociales, tire sa consistance du paradigme de la contestation et de l’affirmation de soi du fait que le discours de la dénonciation des formes de domination du continent africain continue de faire partie d’une rhétorique renouvelée et d’une thématique régulièrement revisitée par les intellectuels africains. Même si les contacts de l’Afrique avec les civilisations conquérantes ont plus que jamais contribué au sous-développement et à la destruction des fondements sociologiques du continent noir, il est aujourd’hui urgent, pour les chercheurs africains, de revisiter, dans une optique critique et rupturaliste, les catégories traditionnelles pour décrypter, préparer et traduire les mutations en cours, en s’attaquant aux défis et enjeux auxquels le continent est confronté. Il est du ressort de ces chercheurs de redimensionner le discours africaniste, de suggérer un déplacement des problématiques, de manière à orienter le discours sur l’Afrique vers une mise en intelligibilité des mutations en cours dans le continent africain. A ce titre, il s’impose aux sciences sociales d’être au service du continent africain en participant à une mise en intelligibilité des situations, des crises et à contribuer à l’émergence de solutions alternatives face aux apories du développement qui se complexifient, de plus en plus, pour les sociétés africaines, par le fait de la globalisation. En portant en profondeur le débat sur le futur des sciences sociales et des humanités, il nous incombe, à nous, chercheurs africains, le devoir de ré-évaluer, de ré-interroger et de ré-analyser les travaux produits sur l’Afrique, aussi bien ceux de l’africanisme négro-africain que ceux de l’africanisme occidental, pour allier, dans l’énonciation du discours sur l’Afrique, les impératifs de connaissance et ceux de la praxis. Il s’agit de veiller à l’exigence du lien entre la mise en intelligibilité des mutations actuelles et les besoins de transformations positives des sociétés africains. Ce changement de posture constitue, à l’heure actuelle, une des exigences majeures pour fonder le discours positif des sciences sociales sur l’Afrique. Le cadre dans lequel se situe notre propos s’inscrit dans une perspective déconstructiviste, porteuse d’actions critiques. Comme le résume Paolo Freire, 1 - Amadou Sarr Diop - Radicalité des sciences sociales africanistes.indd 7 02/05/2015 00:30:56 Les perspectives de l’Afrique au XXIe siècle 8 A chaque intellection correspond, tôt ou tard, une action. Une fois le défi per çu et compris par l’homme, celui-ci identifie les réponses possibles et agit. La nature de l’action correspond à celle de son analyse. La pensée critique induit une action critique ; la pensée magique une réponse magique (1982:28). La thèse qui sous-tend notre réflexion se fonde sur l’exigence de radicalité dans les sciences sociales africanistes pour qu’elles contribuent, à leur manière, à la réinvention de l’avenir de l’Afrique, au regard des défis du siècle de la mondialisation. Face à la grille des urgences et des priorités du continent, et au regard des exigences d’une globalisation qui semble reléguer l’Afrique subsaharienne de sa dialectique en cours, il n’y a que l’impérativité des ruptures radicales qui s’impose aux sciences sociales. Il leur faut réorienter le discours sur l’Afrique, proposer des logiques alternatives en phase avec la nouvelle dialectique de la globalisation à laquelle l’Afrique est confrontée. Ce changement de perspective constitue, aujourd’hui, une des exigences majeures pour fonder un rapport positif entre le développement et l’Afrique. Il est question d’une « nouvelle radicalité » à laquelle devraient tendre les sciences sociales africanistes. Celle-ci se décline en termes d’engagement dans la pratique des sciences sociales africanistes, eu égard aux multiples et complexes batailles que l’Afrique mène dans une globalisation qui lui est, pour le moment, défavorable. La situation chaotique de l’Afrique subsaharienne nous contraint à une réflexion intelligente, lucide et perspicace, si nous voulons apporter des réponses justes aux interrogations angoissantes que les Africains se posent aujourd’hui uploads/Science et Technologie/ 1-diop-les-perspectives-de-l-afrique.pdf
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- Publié le Aoû 10, 2022
- Catégorie Science & technolo...
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