Les Documents de Travail de l’IREDU Working Papers Institut de Recherche sur l’

Les Documents de Travail de l’IREDU Working Papers Institut de Recherche sur l’Education Sociologie et Economie de l’Education Institute for Research in the Sociology and Economics of Education La loterie des notes au bac Un réexamen de l’arbitraire de la notation des élèves Bruno Suchaut Mars 2008 DT 2008/3 Pôle AAFE – Esplanade Erasme – B.P. 26513 - F 21065 Dijon Cedex Tél.+33 (0)3 80 39 54 50 - Fax +33 (0)3 80 39 54 79 iredu@u-bourgogne.fr- http://www.u-bourgogne.fr/iredu La loterie des notes au bac Un réexamen de l’arbitraire de la notation des élèves Bruno Suchaut Irédu-CNRS et Université de Bourgogne Mars 2008 La question de la notation à l’école n’est pas récente, les nombreuses études réalisées sur ce thème mettent toutes en évidence l’incertitude de la mesure des performances scolaires des élèves par les notes et les divers biais associés à cette pratique évaluative (Merle, 1996, 1998, 2007). Ce sont les psychologues qui ont le plus contribué à l’étude de la notation dans une perspective docimologique (Noizet, 1961 ; Pierron, 1963 ; Noizet, Caverni, 1985). Pour la majorité d’entre eux, ces travaux ont consisté à montrer de façon expérimentale le manque de validité et de fidélité des épreuves d’examen. Ce constat est à présent bien établi et ce texte n’a pas l’ambition d’exposer des analyses novatrices en ce domaine, il s’agit simplement de témoigner à nouveau du caractère aléatoire de la notation sur la base d’une expérimentation mobilisant des données récentes. A l’heure où l’on s’interroge en France sur les procédures d’évaluation et de certification des élèves, notamment au niveau du baccalauréat, une analyse réalisée sur des données actuelles ne peut qu’alimenter la réflexion sur la pertinence des évaluations certificatives et plus spécifiquement des examens qui balisent la scolarité des élèves. L’objet d’étude n’est pas nouveau dans la mesure où, dès les années 1930, la notation des épreuves du baccalauréat a fait l’objet d’une célèbre recherche (Laugier, Weinberg, 1936). A cette époque, la commission française pour l’enquête Carnégie a réalisé des analyses statistiques sur les notes en soumettant à 5 correcteurs, 100 copies dans 6 disciplines. Les résultats bien connus de cette recherche ont mis en évidence de forts écarts de notation entre les différents correcteurs dans les disciplines littéraires, mais aussi, de façon moins marquée, dans les disciplines scientifiques. Cette recherche a également permis de souligner l’incertitude du jugement professoral qui pèse sur les résultats à l’examen du baccalauréat car environ 30% des candidats peuvent être admis ou ajournés selon la composition du jury. Il a fallu attendre les années 1990 pour que le baccalauréat fasse l’objet de nouvelles études, confirmant les tendances passées en matière d’écarts de notation entre correcteurs (Merle, 1996). Notre démarche est limitée puisqu’elle se centre essentiellement sur l’examen et l’analyse de la variété de la notation à des copies du baccalauréat. L’objectif est de confirmer, sur la base de données actuelles, l’incertitude de la notation à l’examen. Après un bref rappel des conclusions des travaux sur la notation des élèves, ce texte rendra compte d’une 1 expérimentation menée dans 2 académies sur des copies de baccalauréat en sciences économiques et sociales (S.E.S.) soumises à la correction d’un large échantillon de professeurs. I Ce que l’on sait sur la notation des élèves La notation est une pratique persistante et généralisée dans le système éducatif français. Depuis le début de l’école élémentaire jusqu’au terme des études supérieures, les productions des élèves sont fréquemment et régulièrement notées. Il existe bien sûr des situations où des enseignants et des établissements se basent sur d’autres outils pour évaluer les résultats des élèves, mais ces usages ne sont pas majoritaires. La simplicité de la notation en fait en partie son succès, le chiffrage des performances des élèves est en effet lisible aisément par tous les acteurs : les enseignants, les élèves et leurs parents. Pour l’enseignant, la notation peut également être utilisée plus ou moins indirectement comme un instrument de pouvoir sur les élèves traduisant une gratification ou une sanction. La persistance de cette pratique peut aussi se lire comme un frein à un changement plus global des pratiques pédagogiques. L’abandon des classements et des notes conduirait ainsi à une autre conception de l’évaluation et peut- être même à une autre école (Perrenoud, 1991). Les nombreuses critiques associées à la notation concernent plusieurs dimensions. Une première a trait à la qualité de la mesure des connaissances et des compétences des élèves, la note ne rendant compte qu’imparfaitement des performances. Ainsi, les corrélations relevées entre les scores obtenus à des tests de compétences scolaires et des notes d’épreuves du bac sont faibles (Jouvanceau, 1989). Par ailleurs, la relation entre les notes obtenues en cours d’année et les notes au bac n’est pas non plus parfaite (Chatel, 1994). C’est aussi le cas au niveau du collège où l’examen des corrélations entre notes au brevet, contrôle continu et épreuve commune amènent à s’interroger sur la validité des différentes mesures (Murat, 1998). Ces relations imparfaites tiennent au fait que la notation est toujours contextualisée : elle est attribuée par un enseignant, dans une classe, dans un établissement et à un élève particulier. Les caractéristiques individuelles de l’élève et celles de son environnement scolaire vont donc engendrer des biais récurrents tout au long de la carrière scolaire des élèves (Duru-Bellat, Mingat 1993). Ces biais ont été étudiés dans de nombreuses recherches et concernent les caractéristiques personnelles des individus : attributs physiques (Nilson, Nias, 1977), sociaux (Weiss, 1969 ; Pourtois, 1978) et sexués (Spear, 1989). Le niveau (Caverni, Fabre, Noizet , 1975) et le statut scolaire (Bonniol, Caverni, Noizet , 1972) de l’élève conditionnent également le jugement de l’enseignement et se traduisent aussi par des biais de notation. L’objet n’est pas ici de recenser les résultats de ces travaux, on mentionnera simplement qu’à niveau de compétences identique, les élèves vont être évalués différemment par leurs 2 enseignants : les élèves de milieux sociaux défavorisés, les élèves au passé scolaire difficile et en retard scolaire sont ceux qui sont les plus pénalisés. Le contexte de scolarisation n’est pas non plus indépendant des pratiques en matière de notation. Selon l’établissement fréquenté, les performances des élèves sont évaluées différemment. Les collèges, recevant un public d’origine populaire et de faible niveau scolaire, ayant tendance à être plus indulgents, alors que ceux scolarisant un public plus favorisé et de niveau scolaire élevé font preuve de plus de sévérité (Duru-Bellat, Mingat, 1993). Les pratiques de notation reflètent alors un aspect de politiques d’établissement différenciées qui doivent être lues en complémentarité d’autres mécanismes comme l’orientation et la sélection des élèves. Les conséquences des aléas et des biais de la notation sur les élèves ne sont pas négligeables. Tout d’abord au niveau psychologique, la réussite scolaire conditionnant encore plus qu’auparavant la vie professionnelle et sociale, la validation des acquis prend une importance toute particulière dans la vie de l'élève ou de l'étudiant. Les examens sont donc source d’angoisse et de stress non négligeables. En outre, tout au long du cursus scolaire, la notation va témoigner de la réussite ou de l’échec de l’élève. Or, on connaît les conséquences de l'échec sur les comportements des élèves : la réussite a tendance à engendrer la réussite et l'échec à engendrer l'échec. Ce phénomène, qui s'exprime comme une prophétie qui se réalise d'elle-même (Self-Prophecy), a été étudié dans les célèbres travaux de Rosenthal et Jacobson (1968). Ces conséquences sont d’autant plus regrettables qu’elles découlent d’une mesure chiffrée imprécise de la performance scolaire. L’influence de la notation concerne aussi les parcours des élèves. De nombreux travaux, réalisés dans des contextes scolaires très variés, ont bien mis en évidence les inégalités produites par la notation dans les décisions de redoublement et d’orientation, la notation étant très marquée par le contexte de la classe ou de l’établissement (Duru-Bellat, Mingat, 1993 ; Jarousse, Leroy-Audouin, 1997 ; Jarousse, Suchaut, 2002 ; Mingat, Rakotomalala, Suchaut, 1999). II L’expérimentation sur les copies du bac L’expérimentation a été réalisée dans 2 académies au cours de 2 années scolaires consécutives (2006 et 2007). Dans chacune des académies, 3 copies d’élèves ayant passé le bac (en juin 2006 et en juin 2007) ont été soumises à la correction d’une trentaine de professeurs de sciences économiques et sociales1. Les enseignants devaient attribuer une note à chacune des 3 copies et formuler des commentaires écrits justifiant la note. Dans chaque académie, les copies ont été choisies de sorte à avoir une production d’un « bon » niveau (note obtenue au bac : 15) et deux copies jugées moyennes (une copie ayant obtenu 9 et une copie ayant obtenu 1 Cette expérimentation a été réalisée dans les académies de Dijon et de Besançon et a servi de support à une formation à l’évaluation à destination des professeurs de sciences économiques et sociales. Les enseignants n’ont pas eu connaissance des notes effectivement obtenues par les auteurs des copies au baccalauréat. 3 11 au bac). L’échantillon total rassemble 98 notes (3 notes pour chacun des 34 correcteurs de l’académie 1 et 3 notes pour chacun 32 correcteurs de l’académie 2). Des notes uploads/Science et Technologie/ la-loterie-des-notes-au-bac.pdf

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