La sophrologie : un ésotérisme masqué Zététique J’ai été invité à apporter un p
La sophrologie : un ésotérisme masqué Zététique J’ai été invité à apporter un point de vue sceptique dans l’émission Grand Bien Vous Fasse sur France Inter le lundi 18 février, dédiée à la sophrologie. Je ne connais pas à fond l’histoire de cette discipline, ses très nombreux courants, ses prétentions, ses têtes de file, le poids économique de la littérature ou des formations qui y ont attrait. Je ne connais pas bien l’état actuel de cette pratique et de ses promoteurs dans les dispositifs de veille de la Miviludes et des autres instances qui luttent contre les dérives sectaires. Il serait souhaitable qu’un·e expert·e disposant de toutes ces connaissances puisse être systématiquement présent·e quand le sujet d’une pratique de soin non conventionnelle est abordé dans les grands médias. En l’absence de tel·les expert·e·s, je pense qu’il faut résister à la tentation de la chaise vide comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire. Quand je me présente dans le studio 521 de la Maison de la Radio, ce n’est pas en emportant avec moi tout le poids des connaissances médicales du monde, mais avec une méthode, un questionnement et le désir d’encourager la prudence épistémique de tout un chacun. Cette émission a parfois laissé sans contradiction des discours pseudo-scientifiques, j’ai eu l’occasion d’en faire la critique à travers la publication de l’ASTEC sur le problème des pseudo-sciences sur l’audiovisuel public. Mais elle reste très sérieuse dans l’ensemble, a tendance à progresser, et on peut juger très bon signe qu’une place soit offerte à une contradiction sceptique sur un tel sujet. Je choisis de ne pas me cantonner au rôle de celui qui dénonce les mauvaises pratiques chez les autres, conspue les médias, mais refuse de se compromettre quand la parole lui est donnée. À tort ou à raison, je préfère être présent dans les médias qui m’invitent pour tenter de rendre plus visibles, plus familiers, plus sympathiques les idées et concepts de la pensée critique, de la zététique, du rationalisme, du scepticisme scientifique. Mais venons-en au cœur du sujet. 1 La sophrologie, c’est quoi ? Alfonso Caycedo, l’inventeur de la sophrologie la décrit comme une approche scientifique. C’est donc sur le terrain du questionnement scientifique qu’elle doit être évaluée. Ceux qui veulent défendre la sophrologie sur un terrain étranger à la science trahissent la démarche initiale que Caycedo a mise en avant dans ses écrits. Cette prétention de scientificité est toujours tenue par l’Académie Internationale de Sophrologie, l’Académie de Sophrologie de Paris ou les livres de Patrick-André Chéné. Elle est également défendue par les sophrologues présents avec moi sur le plateau de France Inter. Premier étonnement : la sophrologie caycédienne est une marque déposée, par Caycedo, en 1992. Il a voulu protéger sa discipline contre des récupérations et des évolutions qu’il jugeait indésirables. On n’imagine pas que la transfusion sanguine ou la kinésithérapie soient des marques déposées pour une excellente raison : une science ou une pratique de soin ne peuvent pas appartenir à leur auteur, elles doivent se mettre à jour, évoluer, se soumettre à l’examen strict de leurs prétentions et, en cas de réfutation, disparaître. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure avec la sophrologie. Et depuis longtemps. La sophrologie est en fait héritière de l’hypnose ericksonienne que Caycedo a étudiée mais qui était entourée de connotations ésotériques dont il a voulu se débarrasser en donnant à sa pratique un nom scientifique[1]. La sophrologie est définie (étymologiquement) comme la « science de la conscience en harmonie », ce qui est flou. Nous avons tous une vague conception de ce que veut dire « conscience » et « harmonie », mais existe-t-il une définition claire, précise de ce que cela recouvre ? Sans une telle définition, on ne peut pas savoir de quoi l’on parle, et dès lors on quitte le terrain de la science. On trouve la sophrologie dans le coaching, dans la formation professionnelle, dans les écoles… Sur la base de quelle démonstration d’efficacité, de quelles preuves expérimentales ? Ces questions sont cruciales, car si on ne les pose pas, pourquoi ne pas faire de l’énergiologie à l’hôpital, apprendre aux gens à ouvrir leurs chakras, à se soigner avec des cristaux, et pourquoi ne pas apprendre la sorcellerie à l’école ? La sophrologie existe maintenant sous diverses formes (on compte plus de 130 écoles différentes), un peu comme la psychanalyse, mais elle repose sur quelques principes de base, et notamment la « phénoménologie existentielle ». Qu’est-ce donc ? Une « technique de recherche de la conscience » ou encore une « technique qui permet de cultiver l’émergence des expériences de contact ». En 2010 Caycedo invente la « Cyber-Conscience Phronique », il décède en 2017, ce sera donc la version finale de son œuvre. Tous ces concepts n’ont pas franchi le crible de l’examen critique, et je ne suis pas certain du sens qu’il faut leur donner, ni même de l’existence d’un sens qui fasse consensus parmi ceux qui la pratiquent. La pratique de la sophrologie passe par des « relaxations dynamiques » (empruntées aux techniques yogi et zen, et baptisées en des termes plus compatibles avec la science). Il existe plusieurs degrés de relaxation. D’abord on prend conscience (via une « découverte vivantielle ») de son corps, puis de son esprit, puis de leur relation, puis du reste. Mais selon d’autres versions, on prend d’abord conscience de sa peau, puis de ses muscles, puis de ses os, puis de ses organes internes. Déjà ces deux versions n’ont rien à voir l’une avec l’autre… 2 On peut lire sur des sites de sophrologie[2] que le deuxième cycle des relaxations, appelé cycle radical concerne la « conscience énergétique, renforce l’aspect énergétique et cellulaire. ». Et il nous faut souligner que l’apparition du mot « énergie » dans un contexte thérapeutique est le signe quasi-systématique d’un propos ésotérique éloigné de la médecine fondée sur les preuves. Plus grave, dans le corpus théorique, en tout cas la version de Raymond Abrezol, qui fait autorité, le cancer serait lié à un trouble dans le niveau de conscience : ce serait la « maladie omicron » de « l’anaphronie ». Source : La quête de l’excellence tome1: Comment augmenter ses performances. De Raymond Abrezol (2013) On trouve aussi le concept de « vivance d’intégrité » avec six « engagements existentiels » : « l’Individualité, la Groupéïté, la Société, l’Humanité, l’Univers, l’Eternité. » Les degrés de relaxation avancés font intervenir la conscience de la phylogénèse et de l’ontogénèse, et c’est très intéressant… Ces mots renvoient à la biologie de l’évolution et à la biologie du développement, des disciplines dans lesquelles on est précis avec la terminologie et où l’on comprend les relations de cause à effet proposées par les théories. J’ignore où sont ces relations causales dans l’approche sophrologique de ces domaines. En somme, le corpus théorique de la sophrologie, après 60 ans d’existence, ne semble pas avoir gagné en clarté, avoir progressé vers une intégration aux savoirs environnants. On assiste au contraire à un cloisonnement de divers courants (la sophro-analyse, la sophrologie existentielle, la sophrologie dynamique, la sophro-substitution sensorielle…) et à une surenchère dans des concepts davantage spirituels que scientifiques. C’est bien le droit des sophrologues de se satisfaire de l’état de ce corpus. Libre à chacun d’être convaincu par la justesse de ces contenus, et il pourrait bien se trouver que tout soit vrai. Admettons, après tout. Mais on ne peut en rester là, car la sophrologie n’est pas une œuvre de fiction ou une pure invitation à un exercice mental d’imagination ; il s’agit d’une approche avec des prétentions thérapeutiques, notamment sur la douleur et sur l’anxiété. Dès lors une question prévaut sur toutes les autres : Quels en sont les effets ? Etat de l’art sur l’efficacité. Présent également à cette émission, Richard Esposito, dirige le groupe d’épistémologie de la sophrologie, ainsi décrit : « Le GES est une unité de recherche scientifique, son principal objectif est d’étudier la sophrologie dans ses fondements, méthodes et résultats. ». Dans le monde scientifique, une unité de recherche est censée produire…. de la recherche, c’est-à- 3 dire des données expérimentales permettant d’explorer des questions scientifiques. La seule manière de valider cette démarche est la publication d’études dans des revues scientifiques à comité de lecture. Ce n’est pas ce que semble faire le GES qui publie un bulletin, les « Annales d’épistémologie de la sophrologie », ouvert aux sophrologues pour qu’ils y fassent état de leurs observations et conclusions personnelles en dehors du cadre d’un protocole dûment expertisé. Pour rappel, il existe des revues de numérologie et des revues d’astrologie avec des prétentions scientifiques. Il ne suffit pas de qualifier une revue de « scientifique » pour en en faire un élément de la véritable littérature scientifique. Ce qui distingue une vraie publication scientifique, c’est la méthode critique mobilisée pour la rédiger, la corriger, l’amender et fournir les protocoles et les données recueillies. La qualité du travail peut se mesurer ensuite au nombre de citations dans des travaux ultérieurs. On peut uploads/Science et Technologie/ la-sophrologie-un-esoterisme-masque.pdf
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- Publié le Jui 07, 2022
- Catégorie Science & technolo...
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