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T roisième chapitre Les disciplines scolaires et leurs enseignements spécialisé

T roisième chapitre Les disciplines scolaires et leurs enseignements spécialisés : distinguer pour pouvoir articuler et travailler ensemble Maryline Coquidé Introduction Les disciplines scolaires peuvent paraître comme des constructions ou des reconstructions, des découpages du réel permettant aux élèves de l’explo rer, de le comprendre et d’y intervenir. Résultat d’une histoire, les disciplines sont des ensembles cohérents et structurés, avec une existence et une recon naissance institutionnelle (horaires et programmes, manuels, évaluations et examens, inspections, etc.). Elles répondent à des missions sociales diverses et affichent des objectifs de formation et d’apprentissages progressifs et systématiques. Elles sont représentées par des enseignants spécialisés avec des recrutements et des formations initiales spécifiques. Ce ne sont jamais de simples adaptations de disciplines académiques. Ainsi, comme Lebeaume (2008) les présente pour le curriculum français, les domaines d’études relatifs aux sciences et à la technologie apparaissent dans plusieurs matières scolai res successives : découverte du monde en cycle 1 et en cycle 2, sciences et technologie en cycle 3 de l’école primaire, sciences de la vie et de la Terre, physique-chimie, et technologie au collège (secondaire inférieur). Cette compartimentation progressive correspond à des besoins de structuration et de construction de cohérence. Le processus de disciplinarisation dans le domaine des sciences et techniques rencontre cependant de multiples tensions dans les rapports épistémologiques et dans les rapports sociaux : nécessité d’une construction scolaire avec un constat de désocialisation des savoirs, nécessité de distinguer et nécessité d’articuler, processus de valorisations ou de dévalorisations. Par ailleurs, la société et les élèves changent, le métier d’enseignant évolue. Pour répondre à ce qui pouvait paraître comme un cloisonnement trop étanche, les nouveaux programmes français pour le secondaire proposent des convergences disciplinaires et des dispositifs désignés comme interdiscipli naires [itinéraire de découverte (IDD), travaux personnels encadrés (TPE)] devant conduire à un travail d’équipe des enseignants. Mais on constate des 03_Hasni_L.indd 51 15/09/08 08:46:02 Interdisciplinarité et enseignement scientifique et technologique 52 difficultés de rencontre des disciplines et des professeurs puisque sur de mêmes objets d’études cohabitent des approches extrêmement différentes et étrangères les unes aux autres. « Travailler ensemble » (Lessard et Barrère, 2005) et « faire apprendre à plusieurs » (Lebeaume, 2007) restent des appren tissages très marginaux dans les formations d’enseignants. C’est pourquoi une expérimentation institutionnelle d’enseignement intégré de sciences et technologie au collège a été mise en place à la rentrée 2006. Elle met en évi dence les questions de visées d’un curriculum, soit intégré, soit intégrateur, et les spécialités des enseignants et de leur élargissement éventuel. Diverses tensions ont été étudiées et seront présentées et discutées dans ce chapitre à travers des analyses de textes réglementaires et institutionnels : textes pour la mise en œuvre d’activités scientifiques et technologiques à l’école élémen taire et pour l’enseignement de sciences au secondaire en France ; extraits de plans de formation pour les professeurs des écoles (PE), et pour les profes seurs de lycée et collège (PLC) provenant d’instituts universitaires de forma tion des maîtres (IUFM). À propos des disciplines ou comment une homonymie peut conduire à des ambiguïtés Au collège ou au lycée, tout élève dresse facilement la liste des dis ciplines scolaires qui lui sont enseignées et qui figurent dans son emploi du temps. Cet enseignement disciplinaire se déroule dans une salle plus ou moins spécialisée – l’EPS au gymnase, les SVT en salle de sciences –, avec un professeur identifié et un besoin éventuel de matériel spécifique à appor ter : le classeur rouge et le manuel de maths pour le lundi matin, le cahier de musique et la flûte à bec pour le lundi après-midi. Cependant, pour des raisons historiques qui seront évoquées, l’homonymie du terme discipline – utilisé également pour l’enseignement scolaire, l’enseignement universitaire et pour les sciences académiques –, peut conduire à une forme d’homologie, à des ambiguïtés de visées et à des confusions épistémologiques. Ce que l’enseignement secondaire nomme les disciplines recouvre en fait une hété rogénéité épistémologique, en contraste avec une unité sociologique, chaque discipline scolaire étant représentée par un corps enseignant spécialisé et des inspecteurs, des associations de spécialistes, etc. 03_Hasni_L.indd 52 15/09/08 08:46:02 T roisième chapitre – Les disciplines scolaires et leurs enseignements spécialisés… 53 Des disciplines scientifiques : fondements, évolutions, interdisciplinarité et reconfiguration Le découpage en différentes disciplines scientifiques ne correspond qu’à une récente construction intellectuelle, datant du 18e siècle, et pour laquelle l’institutionnalisation apparaît fondamentale (Salomon-Bayet, 1978). Une science académique se caractérise en effet par une institution de savants ou de chercheurs qui partagent une unité de projets et d’articulation de systèmes matériels et de systèmes intellectuels. Elle y définit ses objets de recherche, les types de questions qu’elle pose, les méthodes employées pour tenter d’y répondre, les concepts utilisés et élaborés. Une discipline scientifique comprend donc les objets et les projets de recherche, les constructions théo riques distinctives, les procédures d’investigation et de validation, et son exis tence exige une visibilité, par les revues ou les sociétés savantes qui mettent en exergue son nom et, surtout, des chercheurs qui s’identifient comme pra ticiens de cette discipline. Les fondements disciplinaires peuvent cependant être très divers. Ainsi, parmi les sciences de la vie, le projet de classer les êtres vivants constitue le fondement de la taxonomie et étudier le processus de développement celui de l’embryologie, tandis que c’est uniquement l’étude d’une entité théorique « le gène » qui fonde la génétique. Morange (2004) pré cise que cette fragilité constitutive de la génétique n’a néanmoins pas entravé sa forte dynamique de développement. Les problèmes rencontrés pour les projets ou les recherches, qu’ils soient scientifiques ou pragmatiques, théoriques ou empiriques, ne sont cependant pas toujours intradisciplinaires. La recherche pour l’agriculture ou pour la santé, par exemple, nécessite la coopération de plusieurs recherches pluri ou interdisciplinaires, avec de nombreux détours, entre terrain, hôpi tal ou laboratoire. L ’Institut Pasteur a, dans ce contexte et dès sa création, mobilisé biologistes, chimistes, vétérinaires et médecins. De nombreuses recherches contemporaines se placent, d’office, dans un cadre pluridiscipli naire et nécessitent une coordination de compétences dispersées : un projet de recherche relatif à la modélisation des structures et des fonctions du vivant requiert nombre de physiciens et de chimistes, tandis qu’une recherche en épidémiologie va mobiliser médecins, physiologistes, biochimistes, socio logues et statisticiens (Coquidé, Lange et Tirard, 2006). Nous pouvons alors souligner l’importance de l’instrumentation d’une forme collective de travail, nécessaire à tout travail interdisciplinaire, l’exploration de « la géographie des proximités et des distances entre disciplines », en reprenant les termes de Vinck (2003). Cette instrumentation de l’interdisciplinarité favorise, en particulier, le cadrage des échanges entre acteurs. Elle permet d’explorer des 03_Hasni_L.indd 53 15/09/08 08:46:02 Interdisciplinarité et enseignement scientifique et technologique 54 différences, de passer de grandes différences posées a priori à la découverte de multiples petites différences fécondes. Dans une étude relative à des molé cules biologiques, par exemple, un point de vue chimique d’éprouvettes et d’équations bilans pourra se distinguer d’un point de vue biologique avec des modélisations compartimentales ou cycliques et la recherche d’interactions. Une instrumentation de travail incitera à trouver des similitudes et à une médiation par des objets intermédiaires. À côté de projets pluri ou interdisciplinaires de nature plus contex tuelle, l’évolution d’une discipline scientifique peut aussi conduire à des reconfigurations, à des déplacements disciplinaires, ou même à la naissance d’une nouvelle discipline. Rey (1994) présente ainsi la restructuration des sciences naturelles, zoologie et botanique, conséquente de la naissance de la biologie, au début du 19e siècle. De précédentes études (Coquidé-Cantor et Desbeaux-Salviat, 2001) montrent, de même, comment le long débat sur l’origine des micro-organismes, opposant le biologiste Pouchet et le chimiste Pasteur, fut à l’origine de nouvelles disciplines : la controverse conduisant à la nécessité d’inventer de nouvelles méthodes d’analyse qui allaient installer la microbiologie et Pasteur instaurant une chimie biologique et une biologie expérimentale, fondées essentiellement sur les sciences des isomères et les cultures artificielles, avec solidarité méthodologique entre les deux discipli nes. Des termes hybrides, tels que biochimie, biophysique, bio-informatique révèlent, par ailleurs, la précarité des clivages entre disciplines scientifiques. Les transferts d’outils, qu’ils soient conceptuels, opératoires, ou instrumen taux, sont constants. Enfin, si les disciplines scientifiques sont toujours fortement contextua lisées, remarquons qu’elles subissent aussi les conséquences intellectuelles et sociales liées à une représentation hiérarchique ou à un projet de classifica tion des savoirs hérités du positivisme et d’Auguste Comte. Disciplines académiques et disciplines scolaires : homologie ou homonymie ? Des disciplines pour l’école et un projet de formation Plusieurs auteurs (Perrenoud, 1996 ; Sachot, 2004) relèvent des concep tions fréquentes que nous pourrions dénommer de type filiation, et qui appréhendent les disciplines scolaires principalement comme étant filles de disciplines universitaires, voire académiques. Ces conceptions persistantes 03_Hasni_L.indd 54 15/09/08 08:46:02 T roisième chapitre – Les disciplines scolaires et leurs enseignements spécialisés… 55 négligent le fait que plusieurs disciplines scolaires, telles anglais langue vivante 1 ou éducation civique, ne relèvent pas d’une science, ou bien encore que d’autres, comme la grammaire ou l’éducation physique et sportive, ont été scolaires avant d’être universitaires. Chervel (1988) a ainsi décrit l’émergence du terme uploads/Science et Technologie/ les-disciplines-scolaires-et-leurs-ensei.pdf