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LE DÉVELOPPEMENT DURABLE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE : L’EXEMPLE DES TANNERIES Cé

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE : L’EXEMPLE DES TANNERIES Cédric Perrin Association pour la Recherche de Synthèse en Sciences Humaines (ARSSH) | « L'Homme & la Société » 2014/3 n° 193-194 | pages 37 à 56 ISSN 0018-4306 ISBN 9782343063096 DOI 10.3917/lhs.193.0037 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2014-3-page-37.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association pour la Recherche de Synthèse en Sciences Humaines (ARSSH). © Association pour la Recherche de Synthèse en Sciences Humaines (ARSSH). Tous droits réservés pour tous pays. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Association pour la Recherche de Synthèse en Sciences Humaines (ARSSH) | Téléchargé le 02/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.103.245.223) © Association pour la Recherche de Synthèse en Sciences Humaines (ARSSH) | Téléchargé le 02/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.103.245.223) L’homme et la société, no 193-194, juillet-décembre 2014 Le développement durable en perspective historique : l’exemple des tanneries Cédric PERRIN La perception et le discours sur les pratiques peuvent évoluer indé- pendamment des pratiques elles-mêmes, ou du moins à un rythme dif- férent ; ce qui était commun et accepté est devenu inacceptable 1. Le tan- nage s’inscrit dans cette dynamique. Activité sale, les tanneries sont re- poussées en périphérie, des villes d’abord — qui avaient pris l’habitude de les éloigner pour en éviter les désagréments et notamment les effluves pestilentielles qui s’en dégagent —, du monde industriel occidental au- jourd’hui — comme d’autres industries sales tels le travail de l’amiante ou la déconstruction des bateaux 2. Le public européen admire les photo- graphies aériennes des tanneries du Maroc pour leurs qualités esthéti- ques 3, mais il refuse de se confronter aux nuisances de ce type d’industrie dans son propre espace. À en croire les tanneurs, et les médias qui leur font écho, cette dyna- mique serait en voie de s’inverser car leur industrie s’est emparée du développement durable. Ce nouveau visage se dessine en particulier avec l’adoption de la technique de tannage végétal présentée comme plus verte que celle du tannage minéral au chrome, la plus répandue jusque-là. Mais la technique végétale n’est pas nouvelle ; c’est à elle que le tannage au chrome s’est substitué au tout début du XXe siècle. Et c’est donc elle aussi qui était en cause dans la perception du tannage comme une activité 1. Alain CORBIN, Le miasme et la jonquille, l’odorat et l’imaginaire social, XVIIIe-XXe siècles, Aubier, Paris, 1982. 2. Pour une description des problèmes d’insalubrité liés aux tanneries dans les pays dits du Sud, cf. par exemple François WASSOUNI, « Tanneries, insalubrité, pollution et risques sanitaires dans le périmètre urbain de Maroua au Cameroun », PHARE Patrimoine & Histoire en Afrique : Recherches & Expériences, 8, octobre 2012. 3. Par exemple les clichés de Yann ARTHUS-BERTRAND, La Terre vue du ciel, Éd. de la Martinière, Paris, 2002. © Association pour la Recherche de Synthèse en Sciences Humaines (ARSSH) | Téléchargé le 02/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.103.245.223) © Association pour la Recherche de Synthèse en Sciences Humaines (ARSSH) | Téléchargé le 02/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.103.245.223) 38 Cédric PERRIN sale, repoussante et contestée. De sale, le tannage végétal serait donc de- venu durable ? La perception a radicalement changé entre le XIXe siècle et le début du XXIe. C’est ce retournement qu’il faut comprendre. Cette évolution conduit à s’interroger sur le développement durable lui-même en le replaçant — avec les pratiques qui s’en réclament, tel le tannage végétal — dans l’histoire du capitalisme. Luc Boltanski et Ève Chiapello soutiennent que le capitalisme s’est transformé en « récupé- rant » certaines de ses critiques 4. Par certains aspects, le développement durable est l’une de celles-ci. Le capitalisme en fait l’une de ces « bonnes actions à entreprendre pour faire du profit 5 ». Apparaît ainsi un capita- lisme soucieux de l’environnement, comme était apparu un capitalisme « animé d’un esprit de justice sociale » après la seconde guerre mon- diale 6. La définition la plus connue de la notion de développement durable (ou sustainable development) est celle du rapport Bruntland en 1987 : « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs 7 ». Elle place le développement à la croisée des domaines économique, éco- logique et social (les « trois piliers » du développement durable). Un dé- veloppement est durable si la croissance économique est soutenable, si les inégalités sociales sont réduites et si les ressources naturelles sont conve- nablement gérées. Il existe ensuite des modèles de développement durable qui mettent chacun l’accent sur l’un de ces trois piliers, avec des modèles économico-centrés, socio-centrés ou écolo-centrés 8. Cependant, la nou- veauté est bien la prise en compte de l’environnement ; la littérature sur le développement durable insiste très majoritairement, sinon quasi-exclusi- vement, sur cet aspect. 4. Luc BOLTANSKI et Ève CHIAPELLO, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Paris, 1999 (rééd. 2011), p. 30. 5. Ibidem, p. 53. 6. Ibid., p. 57. 7. Notre avenir à tous, Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, avril 1987, introduction du chapitre 2. 8. La bibliographie sur le développement durable est très abondante, mais assez peu de références adoptent une démarche historique : Guillaume BARBAT, « Quelques ré- flexions autour du lien Compétences - Développement Durable et de son impact sur le management de l’entreprise », Projectics / Proyéctica / Projectique, 3, 2009 ; Anne JÉGOU, « Les géographes français face au développement durable », L’Information géographique, septembre 2007 ; Jacques LAURIOL, « Le développement durable à la recherche d’un corps de doctrine », Revue française de gestion, 152, 2004 ; Jean-Philippe PEEMANS, « Acteurs, histoire, territoires et la recherche d’une économie politique d’un développement du- rable », Mondes en développement, 150, 2010. © Association pour la Recherche de Synthèse en Sciences Humaines (ARSSH) | Téléchargé le 02/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.103.245.223) © Association pour la Recherche de Synthèse en Sciences Humaines (ARSSH) | Téléchargé le 02/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.103.245.223) Le développement durable… L’exemple des tanneries 39 Du point de vue économique et épistémologique, le développement durable n’est pas une théorie mais un projet, mais plusieurs théories éco- nomiques l’ont intégré à des degrés divers qui permettent de les classer entre modèles à « durabilité faible » (néo-classiques) et ceux à « durabilité forte » (économie écologique ou institutionnalistes) 9. Le développement durable est une composante de la période dite post-fordiste. Il pointe l’impasse environnementale du compromis productiviste de la période « fordiste » et il appelle à le dépasser 10. Sur ce point, il rejoint les cri- tiques plus anciennes du capitalisme libéral, dont celle de Polanyi pour qui l’émergence de l’économie de marché autorégulé aboutit à « la trans- formation de la substance humaine et naturelle de la société en mar- chandises » avec le risque de « briser les relations humaines et menacer d’anéantir l’habitat naturel de l’homme » 11. Pour autant, il n’est pas cer- tain que le(s) post-fordisme(s) soi(en)t plus compatible(s) avec le respect des hommes et des milieux 12 ; ce qui conduit à s’interroger sur la façon dont la dynamique du capitalisme « endogénéise » le projet du dévelop- pement durable 13. L’un des objets du présent travail est donc de savoir comment un secteur donné du capitalisme, en l’occurrence l’industrie du tannage qui s’en trouve a priori aux antipodes, s’est approprié cet enjeu. On se concentrera sur cette problématique environnementale, laissant de côté ici la dimension sociale et la notion voisine de RSE 14. Une première partie est consacrée à une présentation de la technique du tannage végétal à la fin du XIXe siècle et des contestions qu’elle suscite à cause des pro- blèmes de pollution et de santé 15. Une seconde partie montre l’abandon 9. Sandrine ROUSSEAU et Bertrand ZUINDEAU, « Théorie de la régulation et dévelop- pement durable », Revue de la régulation, 1, 2007. Cf. aussi Christian ARNSPERGER. À l’inverse, les partisans de la décroissance sont très critiques à l’égard de la notion de dé- veloppement durable, cf. par exemple : Serge LATOUCHE, Sortir de la société de consom- mation : voix et voies de la décroissance, Éd. Les liens qui libèrent, Paris, 2010. 10. Sandrine ROUSSEAU et Bertrand ZUINDEAU, « Théorie de la régulation et dévelop- pement durable », op. cit. 11. Karl POLANYI, La grande transformation, Gallimard, Paris, 1983 (1944 pour l’édi- tion originale), p. 86. 12. Sandrine ROUSSEAU et Bertrand ZUINDEAU, « Théorie de la régulation et dévelop- pement durable », op. cit. 13. Sur la notion uploads/Science et Technologie/ lhs-193-0037.pdf