Tim Ingold marcher avec les dragons 2013 zones sensibles Pactum serva z s Tradu

Tim Ingold marcher avec les dragons 2013 zones sensibles Pactum serva z s Traduit de l'anglais par Pierre Madelin 7 préface On considère généralement l’anthropologie comme une discipline centrifuge qui envoie ceux qui la pratiquent sur des terrains aussi isolés et éloignés que possible afin qu’ils puissent faire l’expérience de modes de vie aussi différents des leurs que ce qu’ils pourraient espérer ou s’attendre à trouver. J’ai en revanche toujours eu le sen- timent qu’il s’agissait du contraire. Depuis que je me suis lancé dans des études sur le sujet, l’anthropologie a été pour moi une manière de retrouver le chemin du retour à la maison. Au moment d’entreprendre ce cheminement, je ne pouvais pas m’appuyer sur la moindre fondation solide. Ce n’est pas comme si j’avais déjà su, avant même de prendre la route, tout ce qu’il était possible de savoir sur moi-même et sur la personne que j’allais devenir. Comme la plu- part des apprentis anthropologues, je suis moi aussi parti pour une région assez lointaine afin d’y mener un travail de terrain, qui impli- qua dans mon cas un séjour prolongé parmi les Same Skolt à l’extré- mité nord-est de la Finlande. À l’époque, cependant, je n’avais prati- quement aucune idée de qui j’étais, d’où je venais et encore moins où j’allais. J’avais un nom et une adresse, un passeport, un parent proche à contacter en cas d’urgence. J’avais même un diplôme d’une université respectée et une bourse pour m’aider dans mes recherches. Mais la voix avec laquelle je parlais, la main avec laquelle j’écrivais et même l’esprit avec lequel je pensais – ce n’était pas encore moi ; ce n’étaient que des habitudes ou des attitudes que j’avais, à un moment ou à un autre, cherché à imiter ou que l’on m’avait incité à imiter. Au cours de ce séjour en Laponie, cependant, et à travers l’éducation morale qu’il m’offrit, je fis mes premiers pas hésitants sur le chemin du retour. La route fut longue et tortueuse. Je ne suis d’ailleurs pas encore arrivé, et je n’arriverai probablement jamais. Mais je suis désormais convaincu que c’est bel et bien ma voix qui parle, ma main qui écrit et mon esprit qui pense. Et c’est avec ma voix, ma main et mon esprit que j’affirme à présent : voilà qui je suis. préface préface 8 9 chaque jour un peu plus des vérités qu’il avait assimilées pendant son enfance, il ne cessait au contraire d’y revenir et, en outre, de les défendre avec toute sa force de conviction face aux assauts oppres- sants de la discipline des adultes. Les essais réunis ici, le premier ayant été publié en 1990 et le dernier en 2013, sont autant de combats menés au cours de cette campagne, dans les territoires de l’évolution biologique et culturelle, des environnements humains et animaux, des royaumes de la pensée et de l’action, et des discours rivaux de l’art et de la science. Pourquoi l’enfant que je suis, ou que je suis redevenu, écrit-il désormais pour s’opposer à une forme de pensée qui, en arrachant la culture à la biologie, nous sépare, nous autres êtres humains, de nous-mêmes ? Parce que cette pensée ne peut s’empêcher de considé- rer l’enfant comme une créature dont la valeur est moindre que celle de l’adulte, plus cultivé, un peu à la manière dont le primitif était tenu pour inférieur au civilisé à une époque antérieure de l’anthro- pologie. À l’évidence, tout être né d’un homme et d’une femme est un humain. Mais la pensée moderne allait soutenir que si tous sont humains, certains sont plus humains que d’autres : l’adulte plus que l’enfant, le scientifique plus que le sauvage. Les enfants, au cours de leurs « premières années », comme les « premiers hommes » dans les manuels consacrés à l’évolution humaine, sont décrits comme des êtres chez qui la part de biologie est plus importante ; des êtres plus proches de leurs origines dans la nature que les hommes d’époques « ultérieures », chez qui la part de culture est en revanche plus impor- tante. Cela n’est pas acceptable à mes yeux. Bien sûr, l’enfant que je suis, comme l’enfant que je fus, est ni plus ni moins un organisme de part en part. Mais à aucun moment, du berceau à la tombe, l’en- fant ne commence ni ne cesse de tisser sa vie avec d’autres vies, à partir desquelles ces modèles que nous appelons « culture » sont continuellement produits. Et si cela est vrai des vies individuelles, cela doit également l’être de l’histoire humaine. De même qu’il n’y a pas de séparation radicale entre la biologie et la culture dans la vie d’un enfant, il ne peut y avoir de séparation radicale entre l’évolution et l’histoire dans la vie des espèces. Nous sommes tous – et avons toujours été – des organismes-personnes. Pourquoi alors ne pas écrire sur ces organismes-personnes en les décrivant non comme des entités délimitées, mais au contraire comme des nexus composés de fils noués dont les extrémités détendues se répandent dans toutes les directions en se mêlant à d’autres fils dans d’autres nœuds ? Étant enfant, j’ai probablement été davantage influencé que je ne l’avais réalisé par les recherches Qui est cette personne que je me découvre être peu à peu ? Il semble que ce soit un enfant. Élevé dans une famille heureuse, où sa mère l’autorisait à donner libre cours à sa passion pour les trains miniatures tandis que son père menait des recherches scientifiques sur les mécanismes de la dispersion des spores chez les champi- gnons aquatiques, cet enfant allait passer de longues heures plongé dans les pages de l’imposant chef-d’œuvre de D’Arcy Wentworth Thompson, Forme et croissance, dont son père possédait une copie de l’édition originale de 1917, ou à étudier la mathématique des bulles de savon et les trajectoires des toupies. Il arrivait également à cet enfant de partir marcher dans la campagne, sans prêter la moindre attention à son père lorsque celui-ci identifiait et égrenait les noms latins de toutes les plantes et de tous les champignons devant les- quels ils passaient. Il les connaissait tous ! À l’âge de 12 ans, la mère de l’enfant lui offrit un violoncelle et s’arrangea pour qu’il puisse prendre des leçons. À l’école, sous l’égide de professeurs inspirés, il se tenait assis sur le bord de sa chaise, émerveillé par les mystères de l’univers tels que la science était en train de les démêler. Il expé- rimentait les chambres à brouillard et étudiait la croissance des cristaux plongés dans des solutions chimiques. Il était évident qu’il deviendrait mathématicien et scientifique. Que se passa-t-il ? Après avoir étudié les sciences naturelles à l’uni- versité de Cambridge pendant un an, le jeune homme perdit ses illu- sions. Après l’enthousiasme qu’avait suscité en lui l’enseignement scolaire de la science, les cours de Cambridge furent une immense déception. Il eut le sentiment que l’essentiel de ce qui était ensei- gné était intellectuellement étriqué, consacré à la recherche systéma- tique et bornée d’objectifs qui semblaient éloignés de l’expérience. À la différence de nombre de ses camarades étudiants, révoltés par la façon dont la science avait renoncé à ses principes démocratiques et par le compromis abject qu’elle avait passé avec les mastodontes du pouvoir industriel et militaire, il ne devint pourtant jamais radi- calement hostile au projet scientifique. Il n’y voyait tout simplement pas de futur pour lui-même. Il voulait étudier une discipline au sein de laquelle il aurait plus de marge de manœuvre, qui lui permettrait à la fois de découvrir le monde et de se découvrir lui-même. C’est ce qui le conduisit à l’anthropologie. Ce qui l’attira (un peu comme la biologie de D’Arcy Thompson auparavant), c’est qu’il y avait en elle quelque chose comme une mathématique pure de la vie réelle où l’expérience et l’imagination pouvaient s’unir. C’est ainsi que commença son odyssée, son voyage de retour vers sa terre natale. Plus il avançait, plus il prenait conscience que loin de s’éloigner préface préface 10 11 ferroviaire. Ce n’est d’ailleurs pas cela qui me procurait le plus de plaisir ; je préférais placer les yeux à hauteur de la maquette de sorte que mon regard pénètre à l’intérieur du petit monde que j’avais créé, vagabonde parmi les silhouettes miniatures disposées sur le quai de la gare, se faufile aux abords et à l’intérieur des bâtiments et des hangars de la gare, ainsi qu’à travers les forêts et les prairies qui s’étendaient au-delà des rails. Le sol était composé de papier mâché posé sur un grillage, l’herbe était en fils de coton, et les arbres com- posés de lichens que j’avais ramassés en forêt. Il n’y avait là aucun objet ! Rien d’autre qu’un assemblage de matériaux dont les racines sont aussi diverses que celles que nous tissons dans nos vies quo- tidiennes lorsque nous lisons les journaux, cousons nos vêtements, nourrissons les poules ou errons en forêt. Comment suis-je passer de la science à l’art ? Le premier cours que je uploads/Science et Technologie/ marcher-extraits 1 .pdf

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