COMMENT SE FORMENT LES PUBLICS D’UNE CARTE DE CRIMES ? Une analyse computationn

COMMENT SE FORMENT LES PUBLICS D’UNE CARTE DE CRIMES ? Une analyse computationnelle de traces textuelles Jean-Philippe Cointet, Sylvain Parasie La Découverte | « Réseaux » 2019/2 n° 214-215 | pages 209 à 250 ISSN 0751-7971 ISBN 9782348043581 DOI 10.3917/res.214.0209 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-reseaux-2019-2-page-209.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Nous remercions aussi Madeleine Akrich, Valérie Beaudouin, Peter Bearman, Bilel Benbouzid, Jean-Samuel Beuscart, Dominique Cardon, Alexandre Mallard, Kevin Mellet et Alix Rule pour leurs conseils sur des versions antérieures de cet article. © La Découverte | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.174.3) © La Découverte | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.174.3) A vec l’essor des dispositifs d’information en ligne, nous accédons de plus en plus à des « occurrences », c’est-à-dire à des informations qui concernent des faits ou des incidents souvent uniques, et qui sont attachés à des espaces, des temps et des acteurs étroitement circonscrits (cf. Molotch et Lester, 1996). Un crime est commis sur une personne tel jour dans tel quartier ; un niveau de pollution de l’air est mesuré à tel endroit sur une période de temps donné ; telle école obtient tel taux de réussite à un exa­ men, etc. Toutes ces occurrences sont diffusées sous la forme d’articles, de cartes qui représentent leur répartition sur un territoire donné, ou encore sous la forme de classements ou de graphiques. Bon nombre d’applications mobiles ou de sites web permettent ainsi aux individus de prendre connaissance de ces informations factuelles, circonscrites dans le temps et dans l’espace, qu’ils peuvent parcourir librement. Le public de ces dispositifs d’information nourrit de vives interrogations. Essayistes et chercheurs se sont inquiétés du passage d’une configuration dans laquelle les individus n’accédaient qu’à un petit nombre d’occurrences soigneusement sélectionnées par les organisations médiatiques, à une nou­ velle configuration dans laquelle ils ont de plus en plus la possibilité de sélec­ tionner eux-mêmes parmi un grand nombre d’occurrences sur la base de leurs intérêts personnels. Dans cette nouvelle configuration, les individus se contenteraient de prendre connaissance des occurrences qui les touchent per­ sonnellement – en tant que riverains, parents ou usagers des services collec­ tifs – et se détourneraient des informations ayant trait aux affaires publiques (Sunstein, 2002, 2018 ; Prior, 2007). Si bien qu’ils ne seraient plus en mesure de former un « public » au sens fort du terme – c’est-à-dire un collectif d’indi­ vidus qui partagent des interprétations tout en étant physiquement à distance les uns des autres (Tarde, 1901). On sait toutefois peu de choses sur la façon dont les individus s’agrègent autour de ces informations dès lors que celles-ci sont diffusées sous la forme d’occurrences. Un tel projet est loin d’être évident, surtout quand on sait à quel point l’étude empirique de la formation des publics a toujours posé des difficultés aux sociologues (Quéré, 2003). Récemment, de nombreux © La Découverte | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.174.3) © La Découverte | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.174.3) 212 Réseaux n° 214-215/2019 chercheurs ont tenté de mesurer la fragmentation du public en ligne, en enquê­ tant quantitativement sur la manière dont les individus se rassemblent autour de certains contenus d’information selon que ceux-ci s’alignent ou non sur leurs préférences idéologiques (Bakshy et al., 2015 ; Flaxman et al., 2016; Fletcher et Nielsen, 2017 notamment). Mais ces travaux présentent deux limites majeures pour qui souhaite enquêter empiriquement sur la façon dont les individus s’agrègent autour d’un grand nombre d’occurrences accessibles à travers des dispositifs d’information en ligne. En premier lieu, ces travaux analysent des phénomènes de polarisation idéologique, considérant unique­ ment les contenus d’information du point de vue de leur orientation politique. De façon assez paradoxale, peu de chercheurs en sciences sociales se sont intéressés au public des informations qui correspondent le plus aux normes de l’objectivité journalistique – des informations factuelles, standardisées et dont la production engage moins la subjectivité journalistique. En second lieu, la grande majorité de ces recherches exploitent des données d’audience, ce qui ne leur permet pas d’accéder à des interprétations. On sait en effet depuis les études de réception que la consultation d’un même contenu peut conduire les récepteurs à produire des interprétations totalement opposées (Hall, 1994). Dans cet article, nous nous demandons donc dans quelle mesure un public au sens fort du terme peut se former autour d’occurrences – c’est-à-dire pas seulement un ensemble d’individus qui consomment des informations, mais un être collectif qui partage des sujets de conversation et des interprétations communes. Notre analyse porte sur « The Homicide Report », une plateforme apparue en 2010 sur le site du Los Angeles Times, et qui fournit une information standar­ disée sur tous les homicides commis dans la métropole californienne. Plutôt que de couvrir un petit nombre d’homicides qu’ils jugeaient intéressants d’un point de vue éditorial, les journalistes ont décidé de ne plus faire aucune sélec­ tion et de couvrir tous les homicides d’une façon factuelle et standardisée. Pour l’internaute, cette plateforme se présente sous la forme d’une carte, sur laquelle apparaissent une myriade de points signalant l’endroit précis où un homicide a eu lieu. Tous ces homicides sont présentés à travers un ensemble d’informations standardisées liées à la victime (nom, âge, genre, ethnicité) et au crime (date, adresse, lieu, causes, circonstances). À chaque homicide correspond une page web, sur laquelle on trouve une photo de la victime ainsi qu’un court article rédigé de façon automatique à partir de ces infor­ mations structurées. La capture d’écran ci-dessous représente le meurtre de Donald Kelly par un point rouge cerclé de noir sur une carte et un ensemble © La Découverte | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.174.3) © La Découverte | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.174.3) Comment se forment les publics d’une carte de crimes ? 213 d’informations standardisées (figure 1). Ce jeune homme noir de 29 ans a été assassiné par arme à feu, dans le quartier de Compton, le 28 février 2011. Chaque année, ce sont en moyenne 750 occurrences de ce type qui sont ainsi diffusées via « The Homicide Report », et qui rencontrent une audience importante, comme en témoignent les dizaines de milliers de commentaires postés sur la plateforme depuis sa création. Figure 1. Une occurrence parmi tant d’autres : le meurtre de Donald Kelly ‒ http://homicide.latimes.com/, consulté le 10 avril 2019 Source : Los Angeles Times. « The Homicide Report » présente à nos yeux une valeur expérimentale pour étudier la formation des publics autour de ces nouveaux dispositifs d’informa­ tion. D’abord parce qu’il fournit un grand nombre d’occurrences, qui n’ont pas été sélectionnées pour leur valeur journalistique et que les internautes peuvent consulter séparément les unes des autres ou mettre en équivalence au moyen de cartes ou de listes générées à partir de critères factuels. Ensuite parce que chaque occurrence peut être commentée ou discutée sur la plate­ forme elle-même, le sujet de la violence urbaine étant particulièrement vif aux États-Unis. Nous avons donc procédé à une analyse quantitative des com­ mentaires publiés sur la plateforme sur une période de sept ans, en mobili­ sant une méthode d’analyse textuelle qui est aujourd’hui très rarement utilisée © La Découverte | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.174.3) © La Découverte | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.174.3) 214 Réseaux n° 214-215/2019 en sciences sociales. Celle-ci s’appuie sur une technique de classification du texte dont la mise en œuvre repose sur des algorithmes d’apprentissage supervisé. À partir de la plateforme du Los Angeles Times, nous avons réuni un corpus de 28 828 commentaires d’internautes associés à 4 506 homicides commis entre février 2010 et décembre 2016. Dans cet article, nous montrons que les uploads/Science et Technologie/ res-214-0209.pdf

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