UNE SALLE, PLUSIEURS SITES : LES NÉGOCIATIONS INTERNATIONALES COMME TERRAIN DE
UNE SALLE, PLUSIEURS SITES : LES NÉGOCIATIONS INTERNATIONALES COMME TERRAIN DE RECHERCHE ANTHROPOLOGIQUE Regina Bendix Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) | « Critique internationale » 2012/1 n° 54 | pages 19 à 38 ISSN 1290-7839 ISBN 9782724632712 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2012-1-page-19.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Regina Bendix, « Une salle, plusieurs sites : les négociations internationales comme terrain de recherche anthropologique », Critique internationale 2012/1 (n° 54), p. 19-38. DOI 10.3917/crii.054.0019 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.). © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.). Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - BIU Montpellier - - 193.52.138.40 - 26/01/2018 16h59. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Document téléchargé depuis www.cairn.info - BIU Montpellier - - 193.52.138.40 - 26/01/2018 16h59. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Une salle, plusieurs sites : les négociations internationales comme terrain de recherche anthropologique par Regina Bendix e n créant en 2000 le Comité intergouvernemental sur « la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore », l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), gestionnaire de mécanismes comme le droit d’auteur et les brevets, prenait en charge ce bien collectif autrement complexe qu’est la « culture ». Le Comité intergouvernemental (IGC) s’est mis au travail en 2001 et j’ai commencé à suivre ses activités sur Internet 1 en 2003, car j’étais curieuse de voir comment allait se négocier un projet visant à doter les savoirs traditionnels d’une existence juridique assortie de droits de propriété. J’ai fait la connaissance de son secrétaire en 2004 à l’occasion d’un congrès interna- tional d’ethnologie. Il souhaitait vivement s’entourer, dans sa mission, des conseils de chercheurs, sur des questions tant de fond que de méthode de tra- vail. C’est ainsi que nous avons formé, avec des collègues ethnologues, juristes et économistes, un groupe de recherche sur la construction de la 1. On trouve tout ce matériel, en français, sur http://www.wipo.int/tk/fr/igc/ (consulté le 12 novembre 2011). Document téléchargé depuis www.cairn.info - BIU Montpellier - - 193.52.138.40 - 26/01/2018 16h59. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Document téléchargé depuis www.cairn.info - BIU Montpellier - - 193.52.138.40 - 26/01/2018 16h59. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) 20 — Critique internationale no 54 - janvier-mars 2012 propriété culturelle et des droits qui lui sont attachés. Mon rôle dans ce pro- gramme est l’étude ethnographique du comité lui-même ; après avoir demandé et obtenu le statut d’observateur pour notre groupe, j’ai effectué en 2006 ma première observation participante de sa réunion bisannuelle 2. Je vais d’abord m’interroger sur ce que la littérature récente – anthropologique ou apparentée – nous dit de la méthodologie du travail de terrain en milieu « international ». Je présenterai ensuite l’IGC comme cas d’espèce. Enfin, je tenterai une réflexion sur les spécificités du travail de terrain dans les institu- tions internationales. L’une des plus notables est que l’apprentissage de l’anthropologue et celui des sujets de son observation s’effectuent en parallèle. Une autre est que, compte tenu de l’importance considérable qu’y revêt le lan- gage – oral, traduit, écrit, numérisé, voire non verbal –, les outils de l’ethnographie de la communication conviennent ici idéalement. L’anthropologie de terrain dans les institutions internationales L’anthropologue désireux de travailler sur une institution internationale (disons l’IGC) n’est guère aidé, sur le plan méthodologique, par la littérature existante. Outre le sentiment de perplexité confinant au désarroi qui s’empare de lui à la lecture des manuels de terrain même les plus engageants, il lui faut bien constater, une fois sur place, que des notions aussi essentielles à sa disci- pline que la localité et l’intimité 3 doivent être reconceptualisées. Comment les autres sont-ils parvenus à leurs résultats, comment la dynamique cher- cheur/terrain a-t-elle joué pour eux ? Ces informations ne sont pas moins nécessaires ici qu’elles ne l’étaient pour la Street Corner Society de Whyte. Les travaux de plus en plus abondants sur l’Union européenne 4 sont avares d’indications sur la façon de travailler de leurs auteurs, c’est-à-dire sur le rôle qu’ils ont endossé dans les couloirs et les salles de conférences de Bruxelles ou dans les bureaux des personnes rencontrées. On ne nous dit pas non plus comment les auteurs ont obtenu leur statut d’observateur participant. La question de l’accès est pourtant cruciale car, même si l’OMPI et les autres 2. Le travail de notre groupe de recherche à Genève a impliqué des chercheurs de nombreuses disciplines. Je ne m’étendrai pas ici sur les bienfaits et les difficultés de cette pluridisciplinarité. Voir Regina Bendix, Kilian Bizer, « Verbundförderung für interdisziplinäre Gesellschafts- und Kulturwissenschaften: Eine Kritik », Cultural Property Policy Papers 3, août 2011 (http://rgcp.cultural-property.org/). 3. Arjun Appadurai, « Fieldwork in the Era of Globalization », Anthropology of Humanism, 22 (1), 1997, p. 115-116. 4. Marc Abélès, La vie quotidienne au Parlement européen, Paris, Hachette, 1992 ; Cris Shore, Building Europe: The Cul- tural Politics of European Integration, Londres, Routledge, 2000 ; C. Shore, « Culture and Corruption in the EU: Reflections on Fraud, Nepotism and Cronyism in the European Commission », dans Dieter Haller, Cris Shore, (eds), Corruption: Anthropological Perspective, Londres, Pluto Press, 2005, p. 131-155 ; Cris Shore, Susan Wright, (eds), Anthropology of Policy: Critical Perspectives on Governance and Power, Londres, Routledge, 1997. Document téléchargé depuis www.cairn.info - BIU Montpellier - - 193.52.138.40 - 26/01/2018 16h59. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Document téléchargé depuis www.cairn.info - BIU Montpellier - - 193.52.138.40 - 26/01/2018 16h59. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Les négociations internationales comme terrain de recherche anthropologique — 21 organisations des Nations unies sont « publiques », il faut bien trouver un moyen de légitimer sa présence aux réunions et les questions que l’on pose, ne serait-ce que vis-à-vis des personnes chargées de la sécurité. Les auteurs ne cessent de recommander l’analyse des documents. Certes, celle-ci constitue une grande partie de notre travail sur l’IGC ; mais les documents n’acquiè- rent sens et épaisseur que si l’on connaît les circonstances de leur rédaction, les relations et les hiérarchies entre leurs nombreux coproducteurs, les différences entre ces versions fixées par l’écrit et tout ce qui est resté au stade de la communication orale. Comment conceptualiser en termes de « terrain » d’anthropologie qualita- tive une négociation internationale ? En l’absence de culture et de langue communes des délégués à une réunion de l’IGC, comment poser un regard d’ethnographe sur le champ d’attentes et d’interactions qu’ils créent néan- moins, collectivement, au cours d’une semaine de négociations 5 ? Que peut apporter ce type d’ethnographie à la compréhension des organisations qui élaborent une gouvernance mondiale toujours plus complexe ? L’étude anthropologique des institutions – notamment politiques – internationales s’est beaucoup développée durant ces dernières décennies, même si beaucoup de résultats sont encore trop partiels pour être publiés, mais les questions méthodologiques n’ont été abordées jusqu’ici que de manière éparse 6. Pour Lisa Markowitz 7, ce type de terrain nécessite une forme d’« étude vers le haut » (studying up) 8. Je ne retrouve là aucun écho de ma propre expérience à l’OMPI, où j’ai eu profit à fréquenter tant les vétérans que les nouveaux venus. Je m’interroge aussi sur l’énoncé de Hugh Gusterson selon lequel « l’observation participante est une technique qui ne supporte guère le voyage vers les étages supérieurs de la structure sociale » 9, car j’estime qu’elle 5. Marc Abélès, l’un des principaux anthropologues travaillant sur l’Union européenne, écrit : « Une autre question cen- trale est celle du pluralisme linguistique, notamment du fait que le changement de langue, dans une négociation, tend à neutraliser le débat politique. Le passage d’une langue officielle à une autre vient constamment rappeler la diversité des traditions et des histoires qui constituent les identités nationales des États membres ». C. Shore, M. Abélès, « Debating the European Union: An Interview with Cris Shore and Marc Abélès », Anthropology Today, 29 (2), 2004, p. 10. 6. Les anthropologues travaillant dans ce domaine se réclament souvent de l’« anthropologie appliquée ». La Society for Applied Anthropology (américaine) a publié dans ses revues de nombreux articles sur le sujet. Christoph Brumann et Tim Allen ont organisé en 2008 un panel de l’EASA (Association européenne d’anthropologie sociale) intitulé « Anthropologie des Nations unies » ; George Marcus et Marc Abélès ont présenté leur projet « Collaborative Ethno- graphy inside the World Trade Organization » dans un panel de la conférence annuelle de l’Association américaine d’anthropologie (AAA) en 2009. Même absence des uploads/Science et Technologie/ rpi-4-1.pdf
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- Publié le Aoû 05, 2021
- Catégorie Science & technolo...
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