La sociologie des sciences de Jean-Michel Berthelot. A propos de L’Emprise du v
La sociologie des sciences de Jean-Michel Berthelot. A propos de L’Emprise du vrai. Connaissance scientifique et modernit´ e, Paris, PUF, 2008. Dominique Raynaud To cite this version: Dominique Raynaud. La sociologie des sciences de Jean-Michel Berthelot. A propos de L’Emprise du vrai. Connaissance scientifique et modernit´ e, Paris, PUF, 2008.. L’Ann´ ee soci- ologique, Presses Universitaires de France, 2010, 60, pp.191-207. <halshs-00479823> HAL Id: halshs-00479823 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00479823 Submitted on 2 May 2010 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. 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Orienté par cette matrice analytique, l’auteur a ensuite ouvert ses enquêtes à d’autres disciplines et à la connaissance scientifique en général. C’est par cette voie qu’il a abordé la sociologie des sciences, à laquelle il a activement contribué durant les dix der- nières années de sa vie2. On trouve dans L’Emprise du vrai la même indépendance d’esprit, la même exigence et la même rigueur qui caractérisent la plupart de ses œuvres. Mais on y trouve aussi deux nouveau- tés : 1° une réflexion croisée plus intense entre épistémologie et sociologie des sciences, qui s’inscrit dans le sillage d’un article antérieur, intitulé « Épistémologie et sociologie de la connaissance scientifique » ; 2° un souci d’économie rarement égalé. On doit à Jean-Christophe Marcel d’avoir mené à bien la publication de ce livre, dont la rédaction était achevée mais dont les références bibliographiques n’étaient pas complètes3. L’Emprise du vrai défend un programme rationaliste en sociologie des sciences, étranger aux accusations fréquentes de passéisme ou d’idéalisme qu’essuie cette position, et qui paraît à bien des égards être une application du « pluralisme sous contrainte » initialement développé en 1 Cf. J.-M. Berthelot, « Discours sociologique et exigence de la preuve », Recherches sociologiques 16-2, 1985, 251-269 ; « Les règles de la méthode sociologique ou l'instauration du raisonnement expérimental en sociologie », Durkheim, É. Les Règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, 1988 ; La Construction de la socio- logie. Paris, PUF, 1991 ; « Le statut de la causalité chez Durkheim et Weber », Coenen-Huther J., Hirschhorn, M. (eds), Durkheim, Weber, vers la fin des malentendus, Paris, L’Harmattan, 1994 ; « Cumulativité et normati- vité », Ramognino N. et Houle G. (éds), Sociologie et normativité scientifique, Toulouse, PUM, 1999 ; « Pro- grammes, paradigmes, disciplines », Berthelot, J.-M. (ed), Épistémologie des sciences sociales, Paris, PUF, 2001, 457-519 ; « Pour un programme sociologique non réductionniste en étude des sciences », Revue Euro- péenne des Sciences Sociales 40 (124), 2002, 233-252 ; « Plaidoyer pour un pluralisme sous contraintes », Re- vue Européenne des Sciences Sociales 41 (126), 2003, 35-49. 2 J.-M. Berthelot, « La science est-elle soluble dans le social ? » Revue Européenne des Sciences Sociales 34 (104), 1996, 181-186 ; « Science et secret », A. Petitat (ed), Secret et société, Paris, L’Harmattan, 1999 ; « Épistémologie et sociologie de la connaissance scientifique », Cahiers Internationaux de sociologie 109 (2), 2000, 221-234 ; Figures du texte scientifique, Paris, PUF, 2003 ; Savoirs et Savants. Les études sur la science en France, Paris, PUF, 2005 ; L’Emprise du vrai. Connaissance scientifique et modernité, Paris, PUF, 2008. 3 Il eût été utile de disposer d’un index des noms et des concepts et d’un texte sans coquilles. Il faut par exemple lire « Académie des sciences » en lieu et place de « Académie française », p. 111. LA SOCIOLOGIE DES SCIENCES DE JEAN-MICHEL BERTHELOT 2 épistémologie de la sociologie4. Le livre comporte onze chapitres qui suivent un plan rigoureux, résumé par la formule 1+4+1+4+1. Les chapitres isolés contiennent les propositions générales, les chapitres groupés par 4, les tests de ces propositions générales. Le chapitre d’introduction « En quel sens la science est-elle une activité sociale ? » fait une revue des définitions possibles de l’objet de la sociologie des sciences, et s’arrête sur celle pro- posée par le constructivisme social. Cette définition fait l’objet de quatre tests, centrés sur les notions de vérité, de routine ordinaire, de controverse, de conflit d’intérêt. Le constructivisme social ne sort pas indemne de ces tests, qui invalident tout ou partie de son programme. L’auteur propose, sur cette base, une description personnelle de l’activité scientifique, assortie de quatre nouveaux tests qui, à la différence des premiers, concernent les sciences dans le monde contem- porain. Ces tests sont centrés sur les notions de justification, de modernité, de connaissance et de risque, de croyance. Le livre se clôt par la proposition d’un modèle alternatif d’étude sociale des sciences, sorte de conclusion générale de l’ouvrage, probablement inaboutie. 1. Jean-Michel Berthelot définit la sociologie comme une science de l’activité, dont l’unité élémentaire est l’action intentionnelle. L’activité peut être dite sociale lorsque : 1° elle se soumet à des normes collectives (orientation holiste et déterministe) ; 2° elle est intégrée à une situation d’interaction sociale (orientation contextualiste) ; 3° ou est tournée vers autrui (orientation néo- wébérienne). Ces trois définitions sont considérées comme non exclusives mais complémentai- res, selon un schéma éprouvé dans un article antérieur, « Programme, paradigmes, disciplines »5. La philosophie des sciences caractérise habituellement l’activité scientifique par la résolu- tion d’énigmes au moyen d’hypothèses ou de théories qui ne reçoivent de crédit que lors- qu’elles sont mises à l’épreuve. L’auteur montre que cette description logiciste doit être doublée, à chaque étape, d’une description sociologique. Le processus scientifique est social : 1° parce qu’il suppose le respect de normes collectives ; 2° parce qu’il requiert la coordination des ac- tions de recherche ; 3° parce qu’il mobilise l’intentionnalité des agents, focalisée sur l’établissement de la vérité. Ces éléments présupposent l’existence de « communautés savantes » et de « dispositifs sociaux de connaissance » (p. 21-22). 2. Peut-on, sur la base de l’aspect social de l’activité scientifique, renoncer à l’idée de vérité et prétendre que les connaissances scientifiques sont de simples croyances ? Le constructivisme social, très sensible dans les études de sociologie et d’ethnographie des sciences s’est fait une spécialité de renoncer à l’idée de vérité. 4 J.-M. Berthelot, « Pour un programme sociologique non réductionniste en étude des sciences », Revue Euro- péenne des Sciences Sociales 40 (124), 2002, 233-252 ; « Plaidoyer pour un pluralisme sous contraintes », Re- vue Européenne des Sciences Sociales 41 (126), 2003, 35-49. 5 J.-M. Berthelot (ed), Épistémologie des sciences sociales, Paris, PUF, 2001, 457-519. LA SOCIOLOGIE DES SCIENCES DE JEAN-MICHEL BERTHELOT 3 La description de l’activité scientifique proposée par l’auteur ne doit rien à ce courant. La référence au vrai intervient sur trois plans : 1° dans l’activité intentionnelle de résolution des énigmes et des problèmes (dimension psychologique) ; 2° dans l’échange scientifique structuré par la critique et la falsification des théories, pensées en dehors de la référence poppérienne (di- mension argumentative) ; 3° en tant que norme collective sous-tendant le jugement des théories (dimension critériologique). Aucune de ces dimensions n’induit une conception métaphysique. Pourquoi le constructivisme social fait-il alors l’économie de la vérité ? Certaines distinctions de philosophie des sciences sont utiles à l’examen de la question. 1° Il faut distinguer les connaissances, passibles d’une procédure rationnelle de justification, des croyances partagées, attribuables à des causes extérieures. 2° Les facteurs sociaux favorisant l’émergence d’une théorie sont distincts de ceux qui collaborent au processus de justification. 3° Que les théories soient partiellement sous-déterminées par les faits n’équivaut pas à dire qu’elles sont libres de toute détermination empirique : on ne peut pas témoigner seulement de l’arbitraire des théories. 4° Parce qu’elle est socialement déterminée, la rationalité des pratiques scientifiques se révèle dans le temps long mieux que dans le temps court des routines ordinaires étudiées par le constructivisme. L’auteur montre alors comment son « programme de complémentarité » (philosophie et sociologie des sciences) parvient à surmonter les principales difficultés du constructivisme so- cial. L’idée que la dimension sociale rend illusoire la dimension logique de la connaissance n’est pas contraignante. Qu’il y ait une concurrence entre théories rivales n’empêche pas que le succès aille finalement à la mieux justifiée. Qu’il y ait une indexation uploads/Science et Technologie/ sociologie-sciences-berthelot-as.pdf
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- Publié le Sep 26, 2022
- Catégorie Science & technolo...
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