1 Départ : ZEP. Arrivée : Sciences Po. Moyen de transport : le langage. Maria C
1 Départ : ZEP. Arrivée : Sciences Po. Moyen de transport : le langage. Maria CANDEA, EA 1483 Recherches sur le français contemporain, Université Sorbonne nouvelle Qui sont les élèves des lycées situés en ZEP qui réussissent le concours d'admission à Science Po par la Convention Education Prioritaire, depuis 2001? Comment se construisent-ils une identité notamment par leurs pratiques langagières ? Quelques observations issues d’un travail de suivi durant quatre ans dans un lycée de Seine Saint-Denis. Mon public cible est constitué des lycéens en zone d'éducation prioritaire (ZEP) venant de différentes classes de terminale qui, dans une dynamique de réussite scolaire, ont choisi de s'inscrire au module de préparation au concours de Sciences Po (via la Convention CEP1), selon un rythme de deux heures par semaine. Depuis 2007, j’ai été accueillie dans l'équipe qui anime ce module dans un lycée de Seine Saint Denis, et je co-anime plusieurs séances par an aux côtés des enseignants qui se relayent (SES, espagnol, anglais, histoire, documentaliste, économie-gestion... il y a cinq ou six enseignants animateurs chaque année). Les discours des « bons » élèves des lycées ZEP, pris dans une dynamique de réussite d’un parcours scolaire ambitieux, sont relativement peu documentés, alors qu’il existe une demande diffuse de plus en plus explicite d’action collective en faveur de la remise en marche de ce que la presse appelle souvent l’ascenseur social. Ceux dont je parlerai dans cette contribution ont tous été déclarés admissibles par le jury interne du lycée, et ensuite ont réellement été admis à Sciences Po par le jury du concours. Pour donner un ordre d'idée de leur nombre dans ce lycée, il faut savoir que sur 25 à 30 élèves qui s'inscrivent en début d'année au module, deux à quatre élèves sont admis chaque année2. Leur profil macro-social correspond souvent à ce qui était visé par la CEP, qui fait partie des dispositifs directs de promotion de l'égalité : parents appartenant à un milieu socioprofessionnel modeste, et/ou au moins un parent né à l'étranger. Par ailleurs, parmi les admis au final, il y a environ deux tiers de filles et un tiers de garçons, ce que les statistiques 1 CEP :« Les Conventions Education Prioritaire sont une voie de recrutement sélective destinée aux élèves méritants, scolarisés dans des établissement en ZEP partenaires de Sciences Po ». cf http://admissions.sciences- po.fr/fr/college-cep. 2 En 2010 il y a eu 130 admis au total par cette procédure, qui représentaient environ 15% des inscrits dans les modules de préparation des quelques 80 lycées de la convention. 2 de Sciences Po ont confirmé sur les dix premières années du dispositif et sur tous les lycées ; cette distribution dissymétrique ne se retrouve pas parmi les élèves admis par la procédure générale et il est vraisemblable qu’elle soit à mettre en relation avec la construction de la virilité qui passe, dans les établissements scolaires des quartiers difficiles, notamment par une attitude transgressive envers l’école. Qui sont ces élèves ? Il est intéressant de se demander qui sont ces élèves, et qu’est-ce qui les distingue de la majorité des jeunes de leur âge scolarisés dans le même lycée et habitant les mêmes quartiers. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas seulement une question de dossier scolaire ; autrement dit, les inscrits au module et ensuite les admis ne sont pas tout simplement les meilleurs élèves du lycée. D’une part, il existe de nombreux bons élèves qui ne montrent pas d’intérêt pour ce type de préparation ni pour le cursus de sciences politiques, d’autres qui n’ont pas assez confiance en eux ; parmi les très bons élèves admissibles au module, certains ne seront pas admis par le jury de Sciences Po. D’autre part, parmi les admis à Sciences Po il y a un nombre non négligeable d’élèves ayant un dossier scolaire moyen (mention passable au bac, etc.), parfois même un parcours chaotique, avec des décrochages scolaires et des retours vers le bac général ou technologique. S’il faut caractériser ces jeunes qui accèdent à Sciences Po grâce au dispositif d’action positive mis en place depuis une dizaine d’années, il n’est pas aisé de le faire de manière simple. Tous les élèves inscrits dans ces modules de préparation doivent d'abord comprendre la logique du dispositif de sélection et ensuite développer une stratégie pertinente, à l'aide de leurs professeurs. Les routines de travail académique pour préparer un concours sur programme ne sont d'aucune aide pour cette sélection, car il n'y a justement aucun programme à apprendre, aucune compétence précise à acquérir et pratiquement aucun moyen d'auto- évaluation avant le concours. Les élèves doivent préparer un dossier de presse sur un sujet de leur choix, rédiger une note de synthèse et une note de réflexion, les exposer oralement pour le jury interne du lycée qui désigne les admissibles, et ensuite se présenter à l'oral d'admission devant le jury de Sciences Po. Ce dernier pourra poser quasiment n'importe quelle question durant 40 minutes (malgré la présence de quelques questions sur l'actualité politique, l'épreuve orale porte davantage sur la présentation de soi et s'apparente à un test de personnalité). Sciences Po entretient ainsi une opacité certaine sur les critères de sélection et se contente de laisser entendre que les élèves recrutés sont des esprits curieux, courageux et très motivés, chez qui la détection d'une sorte de talent brut (oratoire, notamment) doit 3 permettre de garantir la réussite au cursus universitaire dans lequel ils seront admis, et ce, comme je l’ai déjà dit, de manière relativement indépendante de leur dossier scolaire. Elèves et professeurs dans des situations inédites Le dispositif met les élèves et les professeurs dans des situations inédites assez difficiles. En l'absence de toute indication sur le contenu du module, les professeurs doivent d'abord faire une sorte de présélection informelle des inscrits (non pas en dissuadant qui que ce soit de s'y inscrire, mais en encourageant avec insistance ceux qu'ils ont repérés en classe de 1re à le faire, l'autocensure des bons élèves étant généralement très importante) ; ils doivent ensuite animer le module, où leurs compétences disciplinaires sont peu convoquées, et où ils se posent parfois des questions sur leur légitimité ; ils doivent enfin se mettre à la place du jury de Sciences Po, tel qu'ils l'imaginent, pour pouvoir conduire des séances d'entrainement de leurs élèves, et à la fin ils doivent siéger dans le jury de sélection des admissibles, aux côtés d'autres enseignants et du proviseur du lycée. Leur rôle dans la sélection est très important, ce qui donne le sentiment à quelques uns d'une certaine ambiguïté dans leur travail pédagogique. Pour ce qui est des élèves, à part la première promotion, ceux-ci bénéficient du retour d'expérience de leurs ainés admis à Sciences Po et invités à témoigner à différentes reprises en cours d'année ; ils comprennent ainsi assez rapidement qu'ils doivent, en gros, s'intéresser aux sujets de l'actualité politique et surtout se construire un personnage convaincant, une identité cohérente et intéressante pour les membres du jury. Le travail de préparation des élèves pour ce concours consiste en un travail sur la présentation de soi à l'oral ; ce qui revient, concrètement, à un travail sur le langage. Le langage au coeur de la trajectoire de promotion sociale des élèves admis L'admission à Sciences Po représente, bien évidemment, pour ces élèves la possibilité d'accéder à un territoire nouveau, qui leur paraissait inaccessible peu de temps avant ; il s'agit à la fois d'un territoire géographique, un quartier huppé de la rive droite au centre de Paris, très loin des quartiers du 93, et surtout d'un territoire symbolique, à savoir une école prestigieuse qui accueille une partie des futures élites, un laboratoire des discours politiques dominants actuels et futurs, un tremplin vers une excellente insertion sociale, etc. La quasi- totalité des admis choisissent d'accéder au territoire qui s’ouvre à eux : il y a eu seulement deux cas, en dix ans, dans le lycée où j'ai mené mon enquête, d'élèves qui n'ont pas souhaité 4 donner suite à leur admission à Sciences Po et ont préféré s'inscrire dans des Classes préparatoires. Selon Pascal, un des professeurs ayant animé le module Prépa Sciences Po durant plusieurs années, les bons élèves du lycée classé en ZEP sont « des élèves qui ne parlent pas » dans leurs classes, car il y a une pression trop forte du groupe. Ce dernier est souvent hostile aux professeurs ainsi qu’aux élèves qui montrent une attitude trop coopérante avec eux. Pour éviter de devenir des bouffons ou, pire, des suceurs, les bons élèves sont plutôt discrets3. Or, le concours d'admission à Sciences Po leur demande justement de sortir du lot par leurs compétences langagières orales (aisance dans l'élocution, combativité et cohérence dans l'argumentation, capacité à rebondir, etc.), sur un terrain donc où ils ne sont absolument pas entrainés durant leurs années de lycée. L'oral et le langage occupent ainsi une place très importante dans les réflexions de ceux qui préparent ce concours en classe de terminale. Mes interventions ponctuelles auprès d'eux se font dans cette optique uploads/Science et Technologie/ candea-2012-de-part-zep-arrive-e-sciences-po-moyen-de-transport-le-langage 1 .pdf
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- Publié le Fev 01, 2021
- Catégorie Science & technolo...
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