Introduction à l’épistémologie du numérique UNIL MA 1 HN Dans le regard de la w

Introduction à l’épistémologie du numérique UNIL MA 1 HN Dans le regard de la webcam : ce qui se rend visible Alors que la télévision transférait les images et le téléphone le son, la webcam ou live-cam peut être considérée comme une révolution technologique et technique en matière de diffusion d’informations et de communication. Son efficience ne peut néanmoins pas être appréhendée sans la considérer comme un dispositif numérique, car c’est la mise en réseau des images vidéo en temps réel sur Internet qui est le point central de cette révolution. Au vu de l’extrême engouement que cette technologie a provoqué, et à en juger par son actuelle popularité, la webcam a impacté notre rapport au visible et a orienté notre regard sur les espaces sociaux qui se donnent à voir à travers elle. Si le Web est un espace indéniablement public, la visibilité et le regard que permet la webcam intègre et bouscule désormais volontiers des espaces privés voire intimes[note] Nous souhaitons distinguer les espaces privés intégrés à l’espace public numérique (qui relèvent davantage d’un rapport de « moi/nous » que du « moi » simple) et les espaces privés intimes qui se maintiennent encore hors du champ numérique public (« moi/moi ») et posent problème lorsqu’ils y sont exposés (c.f Uhl, 2002)[/note] – c’est ce que D. Cardon appelle des « phénomènes d’individualisation de la vie privée » (Cardon, 2019 : 185). Le Web participatif a donc permis l’émergence de nouvelles pratiques sociales ainsi qu’une nouvelle politique du regard entretenues par des acteurs sociaux et institutions, qui contribuent à lier un « régime du visible et de la transparence » à une spatialité toujours plus étendue dans le monde social. Introduction à l’épistémologie du numérique UNIL MA 1 HN Ces constats amènent ainsi à questionner le visible à l’ère de la webcam, notamment pour les sciences humaines et sociales directement concernées par ces dynamiques au cœur de l’actualité. Ceci non seulement dans une approche du dispositif tel quel et les interactions qui en font l’intérêt, mais également en prenant en compte les impacts de ces nouvelles pratiques dans le champ de la recherche scientifique plus généralement. Il s’agit en effet de saisir la webcam comme point d’ouverture à repenser la méthodologie permettant d’appréhender ces traces numériques audiovisuelles d’un nouvel ordre. De même, repenser le rapport entre spatialité et visibilité par la webcam appelle à renouveler le regard des sciences sociales porté sur des objets numériques hybrides et interdisciplinaires. La webcam entre spatialité et visibilité Avant toute chose, il s’agit de préciser la nature du lien entre l’espace, le visible et le monde social, car la webcam, en tant que dispositif (Herring, 2013), cristallise l’affordance d’articuler ces trois dimensions. En effet, au même titre qu’Augustin Berque, il s’agit de penser la spatialité numérique comme résultant d’un « processus de synchôrisation, par lequel les existences deviennent coexistences et l’espace devient lieu » (Beaude, 2017: 87) ; l’espace virtuel se construit par les interactions sociales qui le traversent et le modulent – ou par leur absence – et en font une sphère négociée, mouvante et dépendante des individus peuplant cet espace. Néanmoins, sur Internet, pour que les espaces virtuels soient habités par des « existences » et deviennent des espaces publics participatifs, il faut également répondre à la double exigence de l’accès et de la visibilité (Cardon, 2019). Ainsi, le visible au travers de la webcam fait partie intégrante de l’ouverture à de nouveaux espaces numériques, considérés auparavant comme relevant de la sphère privée. Des médiations qui se donnent à voir Si le cadre conceptuel permettant de rendre compte du dispositif de la webcam inclut en effet la spatialité sociale comme chôra (Beaude, 2017: 87)et que ces espaces sont traversés par les pôles du visible et de la transparence, le premier défi qui se présente pour les sciences sociales est de saisir quels sont ces lieux qui se donnent à voir au travers de la webcam. Nous pouvons décliner ici trois types de (re)médiations[note] Le terme ici est emprunté à B. Beaude comme « Le premier défi que le numérique pose à la sociologie » soit celui de la « remédiation des relations sociales, qui s’établissent de plus en plus par la médiation de dispositifs numériques » (Beaude, 2017: 85). La médiation permet ici d’exemplifier des lieux d’interactions sociales et non uniquement des espaces numériques[/note]. Premièrement la commercialisation de la sphère individuelle et privée faisant de la webcam un outil, au même titre que n’importe quelle autre donnée numérique laissée par les usagers, susceptible d’être employé par les plateformes pour cibler et comprendre les comportements desdits usagers. Pour exemple, Facebook a déposé en 2014 un brevet permettant à l’entreprise de scanner les visages des utilisateurs de l’application via leur webcam Introduction à l’épistémologie du numérique UNIL MA 1 HN pour décrypter leurs émotions à la vue d’un contenu[note] https://www.numerama.com/tech/270486-facebook-songe-a-lire-vos-emotions-pour- personnaliser-votre-fil-dactualite.html[/note]. Ceci illustre la mise en lien d’un espace virtuel d’interactions sociales, tel que le réseau social, avec une visibilité des produsagers (Bruns, 2009) et de leurs comportements sociaux par le biais de la webcam comme médiation. Secondement, l’utilisation fréquente de webcams par les Etats à visée de surveillance des espaces publics. C’est massivement le cas du gouvernement chinois et son réseau de caméras connectées nommé « Skynet », mais l’on trouve la même propension à l’utilisation de la webcam à des fins de surveillance aux Etats-Unis – où Amazon a vendu un système de reconnaissance facile (« Rekognition ») au FBI et aux départements de police du pays. Dans ces cas de figure, la visibilité et la synchôrisation des lieux via la webcam se teintent d’enjeux politiques et sociaux à grande échelle et pose nécessairement la question d’une régulation juridique face à ce régime de la transparence. Et finalement, la mise en visibilité des sphères intimes sur le Web comme publicisation de la privacité via la webcam. L’on peut par exemple mentionner les usages volontaires ou involontaires de la webcam dans les pratiques qui relèvent de l’intime, notamment dans le vaste monde de la pornographie numérique, qui se retrouvent sur des sites de visibilité dédiée à la consommation de scènes sexuelles. Qu’il s’agisse de contenu amateur ou professionnel, en temps réel ou rediffusé, la webcam est un outils extrêmement présent dans ces pratiques[note]Pour aller plus loin sur le sujet : DE LA PORTE Xavier (2016) « Algorithmes de la masturbation » In Medium Vol. 1-2(46-47)[/note]. Les données de la visibilité : les traces sous la loupe Ces médiations de type audio-visuelles, qui permettent de mettre en contact des entités – humaines, institutionnelles ou même algorithmiques – produisent quantité de traces numériques. En effet, ce n’est pas parce que la webcam permet un regard instantané sur les espaces sociaux et connectent leurs différents acteurs par téléprésence (Knudsen, 2002) que l’image et le son ne sont pas des données traçables en tant que tel. Grâce à la voix sur IP, les informations audios telle que la voix sont compressées en données numériques, puis transmises via Internet. De même, les informations vidéo transmises via webcam sont des flux d’informations stockées puis mises en lecture continue par le biais de la plateforme de transmission (Neil & Roux, 2012). Ce n’est pas tout, car outre les traces brutes qui sont générées par les captations vidéo, s’y ajoutent également les données propres à la reconnaissance faciale ou le traitement algorithmique par exemple, ou encore les données textuelles du chat qui accompagnent une plateforme de vidéoconférence qui représentent un autre type de données à intégrer. Les interactions par webcam sont donc toutes porteuses de traces numériques plus ou moins conséquentes en fonction des usages et des données captées par le dispositif. Ces traces numériques enrichissent les bases de données des géants de la télécommunication, mais représentent également une source considérable d’informations pour la recherche scientifique et particulièrement les sciences humaines et les humanités numériques. Elles posent néanmoins la question de la méthode, pour leur collecte, leur accessibilité et évidemment, leur interprétation. En un sens, travailler ces nouvelles données numériques ainsi que les dispositifs auxquels elles se rattachent, c’est lever le voile sur les espaces sociaux et les espaces virtuels. Méthodologiser les points de vue « La facilité d’accès aux traces numériques encourage leur utilisation mais a pour effet d’orienter des recherches sur les sujets pour lesquels il existe des traces numériques (effet Introduction à l’épistémologie du numérique UNIL MA 1 HN réverbère) plutôt que de se pencher sur des questions pour lesquelles il faut produire des données originales » (Vinck, 2020: 123) Méthodologiser l’analyse d’objets tels que l’utilisation de la webcam ainsi que les données numériques qu’elle produit représente un véritable défi pour les sciences sociales. Il a été précisé précédemment la nature multiple de ce type d’objets ; d’un point de vue théorique, ce sont la perception du visible jusqu’à la perception d’espaces qui sont reconfigurées, d’un point de vue social, c’est une multitude d’acteurs, de pratiques et d’interactions qui sont médiées via la webcam, toutes dépendantes de leur contexte (intime, privé, public, interpersonnel ou institutionnel, etc), uploads/Science et Technologie/dans-le-regard-de-la-webcam.pdf

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