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11/12/13 PATAPHYSIQUE - Encyclopædia Universalis www.universalis.fr/encyclopedie/pataphysique/ 1/6 1. Définitions 2. Le clinamen PATAPHYSIQUE Science des exceptions ; science des solutions imaginaires. Deux notions fondent la 'pataphysique : celle des équivalences, et le clinamen ou légère déclinaison des atomes dans leur chute. Elle s'ébauche au lycée de Rennes dans la classe de physique du professeur Hébert entre 1885 et 1888. Alfred Jarry, un des élèves, aperçoit très vite l'importance de cette découverte. À partir de 1892, à Paris, il s'emploie à la dégager de sa confusion originelle. Les définitions fondamentales se lisent dans Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, ouvrage terminé en 1898 mais dont le livre II : « Éléments de pataphysique » a été écrit beaucoup plus tôt. Jarry expose ainsi la 'pataphysique : « La pataphysique, dont l'étymologie doit s'écrire ἐπὶ (μετὰ τὰ ϕυσικά) et l'orthographe réelle 'pataphysique, précédé d'un apostrophe, afin d'éviter un facile calembour, est la science de ce qui se surajoute à la métaphysique, soit en elle-même, soit hors d'elle-même, s'étendant aussi loin au-delà de celle-ci que celle-ci au-delà de la physique. Exemple : l'épiphénomène étant souvent l'accident, la pataphysique sera surtout la science du particulier, quoiqu'on dise qu'il n'y a de science que du général. Elle étudiera les lois qui régissent les exceptions... Définition : la pataphysique est la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité. » Jarry donne l'exemple de la montre qu'on dit ronde alors qu'on lui voit de profil une figure rectangulaire étroite, et qui, vue de trois quarts, apparaît elliptique : la « réalité », quand nous la percevons, n'est que la représentation linéaire d'un de ses aspects auquel notre imagination seule prête une totalité. Dans le cas de la montre ronde, l'imagination est assez pauvre. Ceux qui pratiquent cette solution imaginaire élémentaire contestent même qu'elle en est une. Ils sont convaincus d'appréhender la réalité, et pourtant ils font de la pataphysique sans le savoir. La solution imaginaire est devenue pour eux le sens commun ; elle relève du consentement universel. Aussi, pour le pataphysicien, le sens commun, les conventions, la croyance à l'objectivité sont-ils éminemment pataphysiques. Dès 1893 (Guignol, dans L'Écho de Paris), Jarry crédite le Père Ubu de l'invention de la pataphysique, « science que nous avons inventée et dont le besoin se faisait généralement sentir ». Rien n'est plus juste : si la 'pataphysique reste innommée jusqu'au lycée de Rennes et inconnue des savants et du public jusqu'à sa révélation par Jarry, si sa doctrine n'est pas énoncée et ses règles formulées avant Faustroll, elle n'en a pas moins été pressentie et pratiquée de longue date. La théorie du clinamen remonte à Épicure : l'atome, tout en se dirigeant en ligne droite vers le bas en vertu de son poids et de sa pesanteur, dévie légèrement de côté. Elle nous a été transmise par Lucrèce, par Cicéron et par Plutarque qui en tire les plus vastes conséquences : « Les stoïciens et les péripatéticiens ne pardonnent pas à Épicure d'avoir supposé, pour rendre compte des choses les plus importantes, un événement aussi petit et aussi insignifiant que la déclinaison minime d'un seul atome et cela pour introduire furtivement les astres, les êtres vivants et le hasard, et pour que notre volonté libre ne soit pas annihilée. » On présume que Jarry reçut l'enseignement du clinamen par son professeur de philosophie au lycée Henri-IV, Henri Bergson, venu trop tôt pour féliciter Épicure d'avoir osé, le premier, mettre une indétermination au centre 11/12/13 PATAPHYSIQUE - Encyclopædia Universalis www.universalis.fr/encyclopedie/pataphysique/ 2/6 3. L'équivalence universelle et la conversion des contraires 4. Pataphysique consciente et pataphysique inconsciente de l'explication du monde, ce qu'Heisenberg, Planck et le prince de Broglie chercheront à traduire mathématiquement dans l'appareil de la microphysique. Indétermination dans notre connaissance et non dans l'univers pour Heisenberg, mais Jarry ne la voyait pas autrement, pour qui l'objet n'est à l'homme que ce qu'il en connaît. Ainsi le clinamen, aberrance infinitésimale – et décisive –, est au principe et au cœur de toute réalité, de toute pensée, de tout art. Et de toute science : expliquant la 'pataphysique devant un auditoire nombreux et peu averti, Boris Vian pourra affirmer qu'il n'y a que l'exception qui fasse avancer la science, et il ajoutera : « Je n'ai pas besoin de vous rappeler les exemples de Fleming, de Pasteur et de tous ces illustres savants pour que vous constatiez que la découverte se fait au moment où l'observateur remarque une anomalie. C'est l'histoire de la culture de Penicillium notatum de Fleming. » La théorie des équivalences ou, pour être précis, de l'équivalence universelle et de la conversion des contraires, a donné lieu à maint malentendu. Postuler que le vrai et le faux sont identiques, en quelque sorte stables, équilibrés, serait déplorablement improductif et, pire, ennuyeux. Ce que le pataphysicien soutient, c'est que le signe + et le signe − s'annulent et se fécondent. Le concept s'éclaire d'un coup si l'on recourt à la Lettre sur les mythes de Paul Valéry qui savait comprendre Jarry et s'est comporté dans nombre de ses œuvres en pataphysicien conscient. Valéry dit : « C'est une sorte de loi absolue que partout, en tous lieux, à toute période de la civilisation, dans toute croyance, au moyen de quelque discipline que ce soit, et sous tous les rapports, le faux supporte le vrai ; le vrai se donne le faux pour ancêtre, pour cause, pour auteur, pour origine et pour fin, sans exception ni remède, et le vrai engendre ce faux dont il exige d'être soi-même engendré. » Ce texte de Valéry constitue en son entier une des plus pertinentes expressions théoriques de la 'pataphysique : « Que serions-nous donc sans le secours de ce qui n'existe pas ? [...] Les mythes sont les âmes de nos actions et de nos amours. Nous ne pouvons agir qu'en nous mouvant vers un fantôme. Nous ne pouvons aimer que ce que nous créons. » On conçoit mieux maintenant que d'Épicure à Jarry les pataphysiciens (qu'on préfère appeler patacesseurs), sans être légion, ont été de quelque poids puisqu'on peut nommer, en abrégeant, Lucrèce, Lucien de Samosate, Zénon d'Élée, Béroalde de Verville, Rabelais, Cyrano de Bergerac, Cervantès, Swift, Lichtenberg, Marcel Schwob, Lewis Carroll ; ou, contemporains de Jarry, Jules Verne et Erik Satie ; ou venant après lui Arthur Cravan, les Pieds Nickelés, Raymond Roussel, Marcel Duchamp, Julien Torma, Louis-Ferdinand Céline, les Marx Brothers, Borges. Il n'y a pas d'art ou de littérature pataphysique. Personne au monde, pas même un patacesseur suréminent comme Léonard de Vinci, ou deux des plus grands pataphysiciens du xxe siècle, Raymond Queneau et Boris Vian, ne peut se prétendre totalement, et à tous moments, et dans tous ses actes, pataphysicien conscient, étant admis que chacun de nous, et eux-mêmes, baignons, à longueur de temps ou le plus souvent, dans la pataphysique inconsciente. C'est pourquoi il est fréquent – et prudent – de retenir la concrétion plutôt que son géniteur ou un instant heureux d'explosion pataphysique dans la monotone procession des idées et des vanités humaines, par 11/12/13 PATAPHYSIQUE - Encyclopædia Universalis www.universalis.fr/encyclopedie/pataphysique/ 3/6 5. Le Collège de 'pataphysique exemple lord Patchogue en qui s'était incarné (ou désincarné) Jacques Rigaut ; Tancrède, excellent avatar de Léon-Paul Fargue ; Monsieur Plume avec qui nous fait communiquer Henri Michaux ; ou encore Dada. L'univers considéré dans sa réalité pataphysique se réduit bien de la sorte à des cas uniquement particuliers. Pour le pataphysicien qui ne reconnaît aucune hiérarchie des valeurs, tout est valeur. « Nul n'est plus positif que le pataphysicien ; déterminé à tout placer sur le même plan, il est prêt à tout accueillir et cueillir avec même avenance » (Docteur I. L. Sandomir, Opus pataphysicum, Collège de 'pataphysique, 1959). Ni sceptique ni nihiliste, il ne nie pas l'échelle des valeurs, il la voit, elle existe : il s'en empare et l'installe dans l'imaginaire. La 'pataphysique ne paralyse ni ne stérilise. Bien au contraire. Un Collège de 'pataphysique a été fondé le 11 mai 1948 (22 Palotin 75 de l'ère pataphysique qui s'ouvre le jour de la naissance d'Alfred Jarry, le 8 septembre 1873) ; s'y sont agrégés au fil des ans, outre Queneau, Vian, Duchamp, des peintres (Max Ernst, Miró, Man Ray, Baj, Asger Jorn), des mathématiciens (François Le Lionnais), des historiens et critiques de la littérature et du théâtre (Pascal Pia, Maurice Saillet, Jacques Lemarchand), des cinéastes (René Clair, Henri Jeanson), des explorateurs (Paul-Émile Victor), des dramaturges (Ionesco), des écrivains et des poètes (Jacques Prévert, Jean Ferry, Michel Leiris), à s'en tenir aux plus anciens. Grâce au Collège et à ses Cahiers (28 numéros de 1955 à 1957), suivis de ses Dossiers (28 numéros de 1957 à 1965), puis des Subsidia Pataphysica (28 numéros de 1965 à 1974), et particulièrement aux études personnelles de Jean-Hugues Sainmont et Latis et à leur autorité sur l'ensemble des activités de l'institution, la 'pataphysique a été considérablement approfondie en un quart de siècle. Depuis quelques années, une nouvelle génération pataphysique affine encore uploads/Sante/ pataphysique-encyclopaedia-universalis.pdf

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  • Publié le Jul 02, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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