Jean-Louis Comolli Cinema contre spectacle Du MEME AUTEUR aux editions Verdier:
Jean-Louis Comolli Cinema contre spectacle Du MEME AUTEUR aux editions Verdier: VoiR ET PouvoiR, L'innocence perdue: cinema, television, fiction, documentaire, 2004. Free jazz I Black Power, avec Philippe Carles, Champ Libre, 1971; reed. Folio, 2001. Tecnica e !deologia, Parme, Pratiche Editrice, 1982. Regards sur Ia ville, avec Gerard Althabe, BPI, Centre Georges-Pompidou, 1994. Arret sur histoire, avec Jacques Ranciere, BPI, Centre Georges-Pompidou, 1997. Les Annees pop: cinema et politique, 1956-1970, avec Gerard Leblanc et Jean Narboni, BPI, Centre Georges-Pompidou, 2001. Filmar para ver, Buenos Aires, Simurg-Catedra La Feria, 2002. Jean-Louisf omolli ( Cinema contre spectacle suivi de Technique et ideologie (1971-1972) Pub/it avec le concours du Centre National du Livre Verdier www.editions-verdier.fr © Editions Verdier, 2009 ISBN : 978-2-86432-587-1 INTRODUCTION Les six articles qui font suite a « Cinema contre spectacle », «Technique et ideologic», ont ere publies par les Cahiers du cinema entre le printemps 1971 et l'auromne 1972, quinze mois plus tard, c' est-a-dire dans les pleins et les delies d' un moment crucial pour l' equipe de Ia revue. Au sortir de Ia bataille pour le maintien d'Henri Langlois ala Cinematheque frans;aise (avril 1968), bataille menee en premiere ligne par les Cahiers et gagnee, au sens ou Henri Langlois et Mary Meerson revinrent programmer la salle de Chaillor, repri- rent leurs bureaux et leurs merveilleuses machines rue de Messine, nous entrames du meme elan dans les jours de Mai, participant ala tenue des (( Etats generaux du cinema )) a l' ecole Louis Lumiere, rue de Vaugirard. Juin vint apres mai, le «retour a l'ordre » appelait en retour un engagement plus offensif, plus fervent. La revue se gauchit. Abolie bientot la « redaction en chef», je veux dire le titre et non le service, nous allames, contre le spectacle, jusqu'a supprimer de nos pages photographies et photograrnmes. Ceci arriva peu avant la parution de Ia sixieme livraison, et il n'est pas absurde de voir aujourd'hui cette circonstance comme n'etant pas etrangere a ce qu'un «a suivre » ne cesse pas de ne pas clore ce dernier volet, inca- pable des' epargner l'iconoclastie nouvelle. Pourquoi publier cette suite aujourd'hui? Il est vrai qu' elle n'etait disponible que dans les bibliotheques. Cette raison ne suffir pas. Ce qui se nouait alors dans Ia trame enflammee de !'extreme gauche en France ouvrait plus qu'on ne pouvait l'imaginer sur ce qui allait advenir de notre monde et de nous. Quelque chose de pire. Prornesses de fleurs et de fruits, ces jardins de soucis ne tarderent pas a redevenir jacheres ou friches. Je m'en tiendrai ici a reprendre la question de la politisation du champ du cinema dans 7 laquelle nous eumes notre part. La sainte alliance du spectacle et de Ia marchandise annoncee et analysee par Guy Debord des 1967 s' est aujourd'hui realisee. Elle gouverne notre monde. D'un pole, d'un tropique a l'autre, le capital sous ses formes actuelles a trouve l'arme absolue de sa domination: les images et les sons meles. La lamen- table debacle des bourses, banques, profiteurs et controleurs n'y a rien change. Les medias majeurs ont modifie les rengaines mais pas Jes clips; Jes pupitres n' Ont meme pas change de tituJaires; tOut se passe com me si l' onde de choc de Ia manducation du capital par lui-meme n' avait rien atteint d' essentiel. Permanence de Ia bonne parole, maintenance de Ia doxa, intangibilite des modeles formels, amour immoden~ du profit, quand bien meme il n'y en a plus. 1he show must go on! Sur les memes ecrans passent en boucle les memes standards audiovisuels, les memes adossements marchands aux besoins de voir et d' entendre, les memes formes et les memes formules. Il n'y a pas d'avant, il n'y a pas d'apres. Le temps est suspendu, l'histoire arretee. La communion dans le culte du marche se donne en permanence, comme s'il n'y avait d'autre effort a sans cesse deployer que celui de produire des pauvres pour les devorer. Ainsi le capital se represente-t-il a lui-meme comme boucle dans un cycle ou Ia resurrection s' en chaine a Ia crise, Ia construction a Ia destruction, dans une sorte d' << au-dela » de Ia mort, comme dans un « apres » de Ia fin. La boucle d'un film? Car !'omnipresence du marche est avant tout visuelle et sonore. J amais nos yeux, jamais nos oreilles n' avaient ete baignes de rant d'artificiels effets. Jamais dans l'histoire autant de machines n'avaient donne a autant d'hommes autant d'images et de sons a voir et a entendre. Et jamais les images ni les sons n'avaient aussi massivement tendu a l'uniformite. Comment cela n'aurait-il pas les plus extremes consequences des lors que ces images et ces sons pene- trent dans routes les maisons et dans tous les esprits, traversent tous les espaces et rous les temps? L' alienation devoilee par Marx n' est plus seulement ce qui dore Ia pilule amere de Ia misere; elle n'est plus Ia au seul titre de service rendu au capital, capable a chaque instant d' en faire accepter Ia domination, de Ia faire desirer et peut- etre aimer. Le debordant flux des divertissements audiovisuels est devenu dans le siecle du cinema Ia forme figee del' opium du peuple, c'est-a-dire le marche le plus prometteur, precisement parce que ce 8 flux spectaculaire reste, comme le note Marx a propos de la religion, la consolation de ceux, nombreux, qui n'en onr guere d'aurre. La serie televisee est plus forte que le cabaret, le music-hall, la chanson- nette, le show. En 1929, en 1930 et dans les annees suivantes, dans le creux de la « crise », Broadway se trouva vite depasse par Hollywood dans la consolation des masses. 11 est vrai que les banquiers se jetaient dans le vide plus volonriers qu'aujourd'hui, et que les films se montraient desesperemenr plus enrralnants. Luc Besson n'est pas Busby Berkeley. Mais peut-etre !'alienation a jet conrinu devienr-elle jouissance d'elle-meme, peut-etre les spectacles, les images et les sons nous occupent-ils d' abord dans le but de no us faire aimer I 'alienation elle-meme? Le spectacle se contente-t-il de servir la marchandise? Et s'il etait devenu la forme supreme de la marchandise? Plus miroitant qu' elle, plus changeant, plus seducteur- plus necessaire? Les paillettes sonr la pour cacher l'horreur. Le masque plait. Cette domination du spectacle, je le crains, est allee bien au-dela de ce que pouvait en pressentir, en annoncer Debord'. Raison au-dela de la raison. C'est le monde tout entier, tout un, qui se donne a voir comme spectaculaire. Et cette bascule achevee dans le spectacle veut faire et souvent parvient a faire de nous des spectateurs complices, non pas « alienes » par les representations imaginaires d'une «vie » qui serait la version mensongere de « la vraie vie », mais alienes tout simplement ace qui les fait jouir, qui leur plait, qui les seduit; alienes (s'il faut encore ce terme) a leur pro pre desir d'alienation 1 • Et je parle de nous, qui avons ete des cinephiles; de moi, qui me dis toujours tel. Dure est la peau des apparences. Qui s'y frotte souffre. Le capital s' effrite et le spectacles' endurcit. A no us de le com prendre: no us sommes enrres en un nouvel age. Le cinema en a ete le preparateur, I' agent, l'acteur, la vedette 3• Mais ce que le cinema a fait dans ses soixante premieres annees n' est rien a cote de ce que les televisions- principal corps d'armee des medias 1. G. Debord, CEuvres, Gallimard, coli. « Quarto », Paris, 2006. 2. J. Ranciere, Le Spectateur emancipe, La Fabrique, Paris, 2008. 3· « Le cinema ne se confond pas avec les autres arts qui visenr plutot un irreel a travers le monde, mais il fair du monde lui-meme un irreel ou un recit: avec le cinema, c' est le monde qui devient sa propre image, et non pas une image qui devienr monde » (Gilles Deleuze). 9 de masse- auront fait dans les soixante annees suivantes. Totalitaire est Ia volonte de puissance du spectacle generalise. Rien n' echappe a son hegemonie, nulle marge, nul dehors - si ce n' est Ia mort. Pour- rant, il s'agit de combattre le spectacle en sa route-puissance meme. Se battre contre la domination du spectacle, c' est mener un combat vital pour sauver et tenir quelque chose de Ia dimension humaine de l'homme. Cette lutte doit se foire contre les formes memes que le spec- tacle met en ceuvre pour do miner. La lutte des formes se cache dans Ia plupart des formes de lutte'. Defaire ou deborder l'ordre des choses existant demande a inventer d'autres formes que celles de la repres- sion des consciences et des mouvements. lncessantes, les batailles ou les guerres des exploites contre les matrres s' ega rent et perdent de leur force a reconduire les formes memes dans lesquelles desormais s'exerce Ia domination du capital, que ce soit du cote de !'infor- mation, de la publicite, des medias, des spectacles. Nous, dans les luttes de to uploads/s1/ comolli-jean-louis-cinc3a9ma-contre-spectacle-suivi-de-technique-et-ideologie.pdf
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- Publié le Fev 07, 2021
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