1 Droit du travail, entreprise et flexibilité de l'emploi Droit du travail, ent
1 Droit du travail, entreprise et flexibilité de l'emploi Droit du travail, entreprise et flexibilité de l'emploi Droit du travail, entreprise et flexibilité de l'emploi Droit du travail, entreprise et flexibilité de l'emploi Nouri MZID Professeur et doyen de la Faculté de droit de Sfax 1- L'emploi est devenu aujourd'hui une préoccupation majeure dans toute politique sociale. Le chômage et le sous-emploi sont considérés, en effet, comme les principaux facteurs qui menacent la stabilité et la cohésion sociale. C'est ce qui explique que, partout, la législation sociale est de plus en plus tournée vers la promotion de l'emploi et la protection de ceux qui travaillent contre le risque du chômage. 2- Toutefois, le marché du travail est avant tout tributaire de la dynamique économique. Du reste, la quête de flexibilité dans la gestion de l'emploi est devenue pour l'entreprise un impératif essentiel de la concurrence et de la compétitivité dans un contexte marqué par la mondialisation et la libéralisation des échanges. D'où l'exigence d'une flexibilisation du marché du travail en vue d'adapter l'emploi aux besoins économiques et technologiques dans un environnement mouvant. 3- Au nom de cette exigence, le droit du travail a souvent été considéré comme un élément perturbateur des mécanismes du marché; d'être l'une des causes du ralentissement de l'emploi et de faire peser sur l'entreprise des contraintes trop lourdes en la plaçant en situation d'infériorité par rapport aux agents économiques dans les systèmes à large permissivité. Le droit du travail a été, ainsi, mis en demeure de se 2 corriger, de s'adapter pour être plus flexible et de se débarrasser de sa "rigidité" liée à sa finalité protectrice en faveur des salariés1. 4- La notion de flexibilité de l'emploi n'est pas nouvelle. Depuis la récession des années 1980, elle a pu s'imposer comme un concept clé pour rendre compte d'un ensemble disparate de formes et de pratiques nouvelles dans la gestion des ressources humaines, en créant l'image d'une unité et d'une rationalité du mouvement2. Mais la notion de flexibilité demeure chargée d'une certaine ambiguïté, d'autant plus que sa signification diffère profondément selon les systèmes des relations professionnelles3. De manière générale, elle peut se traduire par plusieurs mécanismes, dont notamment: - l'ajustement des flux de production et des processus organisationnels, impliquant une plus grande adaptabilité de l'organisation productive. - La possibilité de faire varier les effectifs de l'entreprise selon le marché. - L'introduction d'une plus grande polyvalence de la main-d'œuvre pour la rendre plus apte à changer de poste et de lieu de travail selon les besoins de l'entreprise. - L'introduction d'une plus grande souplesse sur le régime du temps et de la rémunération du travail en fonction de la conjoncture locale et globale… 5- Tout en étant fréquemment utilisé par les spécialistes du droit du travail, le concept de flexibilité n'est guère juridique4. Pour mesurer la souplesse ou la rigidité d'un système, les juristes distinguent 1 C.f notamment, Flexibilité du droit du travail: objectif on réalité? ouv. collectif, Centre de recherche de droit social, univ. Lyon III, éd. législatives et administratives, 1986 (en particulier la contribution de A. JEAMMAUD, "Flexibilité: le procès du droit du travail", p. 23 et s.). 2 V.J. Freyssinet, Le paradigme de la flexibilité et les conditions d'émergence d'un nouveau rapport salarial, Institut des sc. soc. du travail, Paris 1987. 3 C.f. J.C. JAVILLIER, "Ordre juridique, relations professionnelles et flexibilité. Approches comparatives et internationales", Dr. soc. 1986, p. 56. 4 V. G. LYON-CAEN, "Quelle flexibilité ? pour quel droit du travail ?", Revue tunisienne de droit social, n°2 et 3, 1987, p. 113. 3 habituellement entre les normes impératives et les normes supplétives. Dans le premier cas, la norme ne tolère de la part des particuliers aucune dérogation, alors que dans le deuxième cas elle n'intervient qu'à défaut d'une solution contraire exprimée par la volonté des parties. Mais, au fond, une dimension juridique se dégage souvent à travers le discours sur la flexibilité de l'emploi ; à savoir le degrés de permissivité, de dérogabilité et d'autonomie dont dispose l'entreprise dans la gestion des ressources humaines. C'est cette dimension qui nous intéresse le plus en partant de l'interrogation suivante: le droit du travail est-il suffisamment sensible à l'exigence d'une politique souple et dynamique de l'emploi tenant compte des contraintes de l'entreprise dans un contexte économique mouvant? 6- Cette interrogation n'est pas spécifique au droit tunisien. Depuis plusieurs années, elle a suscité un débat qui reste encore d'actualité dans les pays développés comme dans les pays en voie de développement. Des réformes ont été aussi réalisées, dans ces différents pays, exprimant une tendance générale à introduire plus de souplesse dans la législation sociale pour l'adapter aux exigences liées aux mutations économique et aux contraintes de la concurrence. 7- Le droit tunisien n'a pas échappé à ce mouvement général, notamment depuis les réformes du Code du travail introduites par la loi n°94-29 du 21 février 19941 et la loi n°96-62 du 15 juillet 19962. A travers ces réformes, un effort d'adaptation des normes juridiques au besoin de flexibilité dans la gestion de l'emploi peut être constaté (1ère partie). Mais cette adaptation semble être insuffisante et évoque quelques difficultés qui nous poussent à reflaîchir sur une éventuelle refondation du droit du travail face à l'exigence de flexibilité (2ème partie). 1 JORT n°15 du 22 février 1994. 2 JORT n°59 du 23 juillet 1996. 4 I/ L'ADAPTATION DU DROIT TRAVAIL AU BESOIN DE FLEXIBILITE 8- Il s'agit d'apprécier ici le niveau d'adaptation du droit du travail au besoin de flexibilité souvent revendiqué par l'entreprise. Celle-ci peut recourir soit à la flexibilité externe en vue de varier ses effectifs en fonction de ces besoins en main-d'œuvre (A), soit à la flexibilité interne lorsqu'elle raisonne en effectifs constants tout en cherchant à adapter les ressources humaines et matérielles disponibles aux activités et aux besoins de production (B). A- Droit du travail et flexibilité externe 9- Pour l'entreprise, le besoin de flexibilité en matière d'emploi se traduit avant tout par la liberté d'embauchage, c'est-à-dire la liberté laissée à l'employeur de créer ou de ne pas créer des postes d'emploi (embaucher ou ne pas embaucher) ; la liberté de choisir ses futurs salariés ainsi que la liberté de choisir la forme d'emploi en fonction du poste de travail à pourvoir. Ces trois composantes de la liberté d'embauchage sont relativement consacrées par le droit positif. 10- La liberté d'embaucher ou de ne pas embaucher ne pose aucune difficulté sur le plan juridique. Tout au plus, une gamme d'incitations financières est prévue par la loi pour encourager les entreprises à embaucher certaines catégories de demandeurs d'emploi1, mais sans jamais réellement les contraindre. On ne peut parler, en effet, d'obligation de conclure des contrats de travail ; l'acte de conclure ou de ne pas conclure un contrat de travail s'inscrivant avant tout dans l'exercice de la liberté contractuelle. 11- Depuis 1996, la loi2 a d'ailleurs consolidé cette liberté en modifiant les dispositions du Code du travail relatives à l'embauchage et 1 Il s'agit de personnes exposées à des difficultés particulières d'insertion ou de réinsertion professionnelle, tels que les primo-demandeurs d'emploi, les personnes handicapées et les travailleurs ayant fait l'objet de licenciement pour motif économique. 2 Loi n°96-62 du 15 juillet 1996, préc. 5 au placement de main-d'œuvre dans l'esprit d'une plus grande souplesse par l'allègement de l'intervention administrative. Ainsi, l'employeur n'est plus tenu de passer par le bureau de placement pour signaler son offre d'emploi. Il est tenu simplement d'informer le bureau de placement du recrutement effectué, et ce, dans un délai de 15 jours à partir de la date du recrutement1. Du reste, il garde toute latitude de recourir à l'embauchage direct ou par l'intermédiaire du bureau public de placement. Mais l'interdiction des bureaux de placement privés est maintenue, contrairement à d'autres pays qui ont opté pour un système plus souple en consacrant la coexistence entre les bureaux publics de placement et les agences d'emplois privées. C'est la solution adoptée, par exemple, en France2 et au Maroc3. D'ailleurs, les normes internationales du travail sont marquées aujourd'hui par une grande souplesse en la matière dans la mesure où elles autorisent une telle coexistence entre les deux systèmes de placement public et privé4. 12- La liberté d'embauchage postule ensuite la faculté pour l'employeur de choisir ses futurs salariés. A ce niveau, le législateur tunisien adopte, aussi, une attitude très souple permettant à l'entreprise de bénéficier d'une large liberté de sélection des candidats à l'emploi. D'ailleurs, il semble ignorer complètement cette question et ne réglemente aucunement les méthodes de sélection susceptibles d'être utilisées par l'entreprise en matière d'emploi. Sous réserve du respect du principe de non discrimination5, l'employeur dispose alors d'une grande liberté pour choisir ses futurs collaborateurs qui sont sélectionnés grâce à des méthodes d'évaluation variables, librement adoptées par l'entreprise. 1 Art. 280 C.T. 2 Art. L 5321-1 et s. du Code du travail français. 3 Art. 475 et s. du Code du travail marocain. 4 V. notamment la convention de l'OIT n°181 sur les agences d'emploi privées (1997), non ratifiée par la Tunisie. 5 Le uploads/s1/ cours-droit-de-travail.pdf
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- Publié le Jan 15, 2021
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