1 Refonder le métier d’inspecteur : un enjeu décisif… Pierre Frackowiak Le déba
1 Refonder le métier d’inspecteur : un enjeu décisif… Pierre Frackowiak Le débat engagé autour des négociations entre le ministère et le Syndicat de l’Inspection de l’Education Nationale (SI-EN Unsa Education) sur les revendications corporatives et sur les missions des inspecteurs de l’Education Nationale conduit naturellement à relancer la réflexion et les discussions sur le problème de l’évaluation des personnels et du système. Un vrai débat, sans complaisance et sans démagogie, est indispensable. Au début des années 1990, j’avais organisé à Douai un colloque syndical inter académique sur le thème « Inspecteur pour le 21ème siècle » avec des communications de Claude Pair, ancien recteur, de Jean-Claude Fortier, recteur, de Francis Danvers universitaire, de mes amis et collègues Georges Gauzente et Jean-Pol Rocquet, de Patrick Roumagnac, secrétaire général du SI-EN. Ce colloque avait connu un grand succès, les actes peuvent encore se trouver dans les archives du SI-EN, mais ils sont restés sans lendemain. L’idée de concevoir un inspecteur du 21ème siècle pour l’école du 21ème siècle était pourtant séduisante. Aujourd’hui, alors que l’on voudrait imposer sans concertation la notion prétentieuse de pilotage par les résultats, alors que l’on revient clairement à l’école du 19ème siècle, le positionnement des inspecteurs dans le système et leurs pratiques d’inspection gagneraient à être remis à plat dans l’intérêt de l’école et des inspecteurs eux- mêmes. Les syndicats d’enseignants (SE, SNUIPP, SGEN) ont posé le problème du sens et de l’efficacité de l’inspection à de nombreuses reprises, le plus souvent avec élégance et modération au point que les inspecteurs en étaient généralement confortés, considérant que les excès et les abus parfois dénoncés ne pouvaient concerner qu’une minorité d’entre eux et, en tous cas, pas eux, les autres. Les inspecteurs ne se reconnaissent guère dans les portraits caricaturaux qui peuvent être réalisés sur leur corporation. Une grande partie des critiques recueillies concerne des abus de pouvoir, des excès dans les exigences, le manque de dialogue constructif, l’absence de continuité entre les inspections successives, le caractère quasi exclusivement individuel même au temps où le travail d’équipe était en vogue, l’aspect parfois arbitraire du jugement… Les critiques ne concernent pas, finalement, au premier abord, les problèmes de fond mais des problèmes de comportement. Il faut bien admettre cependant que les comportements sont souvent liés à des choix, à des conceptions, à des représentations du métier et donc à des questions de fond. Il ne s’agit pas que de différences de caractère, de profil psychologique, de marottes ou de comptes à régler avec son corps d’origine (instituteur, professeur, conseiller pédagogique, maître- formateur). On notera toutefois que ces aspects pourraient utilement être étudiés en formation des inspecteurs, car ils ne sont pas négligeables. 2 Des comportements aux problèmes de fond Il est parfaitement légitime, voire salutaire, de se poser des questions essentielles comme : - Qu’est-ce qu’on évalue vraiment quand on inspecte ? - Cette évaluation est-elle utile ? Juste ? Efficace ? - Permet-elle de changer les attitudes et comportements professionnels des enseignants de manière positive ? - La tendance amorcée depuis plusieurs années de prétendre évaluer par les résultats des élèves a-t-elle du sens ? - Quelle utilisation des rapports pour le fonctionnement et la régulation du système ? Si l’on se réfère aux pratiques décrites par les enseignants et à mon expérience de 30 années d’inspection, l’acte d’inspection demeure généralement constitué par une observation d’une séquence de classe ou deux, une analyse des documents sollicités par l’Inspecteur (outils du maître, cahiers des élèves, livrets d’évaluation…) et un entretien soit immédiat – cas le plus fréquent-, soit ultérieur. La durée de l’entretien est très variable, entre quelques minutes de commentaires et une heure voire davantage. Les méthodes du dialogue, quand il y a dialogue, sont également très diverses. La technique de l’interrogation avec des questions pas toujours compréhensibles et des réponses attendues que l’inspecteur a clairement à l’esprit, n’est pas disparue des pratiques. Elle ressurgit même parfois chez des inspecteurs expérimentés, bien au fait des techniques d’entretien et d’animation de groupe, mais pressés par le temps. C’est que cette technique du questionnement plus ou moins fermé est quasiment inscrite dans les gènes de tous ceux qui ont été élèves, donc de tous les inspecteurs. Cet acte fait l’objet d’un rapport plus ou moins long, avec ou non une partie formellement consacrée à des pistes de progrès et à des propositions pour la personne et pour l’équipe. La quantité de documents demandés suscite souvent de vives critiques comme la tendance pour l’inspecteur à passer l’essentiel de son temps à l’étude des documents, ne jetant qu’un œil, pas toujours le meilleur, de temps en temps, aux relations maître/élèves et à la réalité de l’activité des élèves. La fiche préparatoire à l’inspection peut comprendre, selon les circonscriptions, de 2 à 10 pages. Les questions posées sont parfois si compliquées que je serais moi-même incapable d’y répondre si je faisais la classe. L’image de l’inspecteur dans le beau film de Bertrand Tavernier, « ça commence aujourd’hui » n’est pas complètement fausse. Toute caricature recèle des parts de vérité. On y voit l’inspecteur qui « déboule », qui se précipite avec avidité sur les documents de la classe, qui n’enlève pas son superbe trench coat, qui n’a pas un regard pour les élèves… Si ce film était actualisé, on verrait peut-être cet inspecteur cherchant avec agacement une prise pour brancher son ordinateur et rechercher toutes les statistiques qu’il a stockées pour les comparer fiévreusement aux livrets d’évaluation devenus plus sacro saints que le rapport maître/élève, alors que le cancre de Jacques Prévert, « sous les huées des enfants prodiges, avec des craies de toutes les couleurs, sur le tableau noir du malheur, dessinerait le visage du bonheur ». Les modalités de l’annonce de l’inspection méritent d’être connues et analysées. Elles peuvent surprendre les observateurs extérieurs. Certains inspecteurs annoncent précisément le jour et l’heure de leur visite, ce qui me semble être l’attitude normale, respectueuse des personnes. D’autres annoncent une période d’une semaine voire de deux semaines : « vous recevrez ma visite entre le lundi matin et le vendredi après-midi », ce qui m’a toujours profondément choqué. Il y a en effet derrière cette modalité une conception du métier : surprendre pour contrôler, afficher un manque de confiance, exercer un pouvoir… 3 L’argument de la nécessité de voir la réalité plutôt qu’une séquence préparée spécialement n’est qu’un alibi. Tous ceux qui ont fait un peu l’école savent que l’on peut toujours avoir une séquence prête dans son tiroir, que l’on sort quand on aperçoit la voiture de l’inspecteur. Que ceux qui ne l’ont pas fait me jette la première pierre ! On me dit que cela correspond à une recommandation de l’Ecole Supérieure de l’Education Nationale voire à des conseils d’inspecteurs généraux. J’ai de la peine à le croire tant cela me semble en contradiction avec la simple politesse. J’imagine la réaction des inspecteurs si l’on procédait de la même manière avec eux. L’important, à mes yeux, n’est pas de contrôler mais d’avoir de la matière pour réfléchir ensemble. La matière est un vécu, de toutes manières modifié par la présence d’un observateur, même si celui-ci a eu la délicatesse de dire en arrivant : « faîtes comme si je n’étais pas là ! ». Et si ce vécu n’a pas d’importance, si les documents sont le centre des préoccupations, l’inspection pourrait facilement avoir lieu dans un bureau, avec toutes les bases de données disponibles. Il arrive aussi, plus rarement mais cela mérite d’être signalé et étudié, que des inspecteurs exigent un rapport sur l’inspection et l’entretien. L’inspecté doit rappeler par écrit l’essentiel des injonctions, les thèmes abordés, les points à éclaircir…On ne va pas, hélas, jusqu’à l’évaluation de l’inspecteur par l’inspecté. Cette pratique ne peut aboutir qu’à la révolte contre le temps consacré à préparer et à rendre compte de l’inspection, au stress engendré, mais surtout, comme pour les notices préparatoires à l’inspection à un formalisme complètement contre productif. On se cassera la tête des heures pour écrire quelque chose puisqu’il le faut, on se fera aider par un collègue, on s’interrogera sur les attentes de l’inspecteur pour tenter de leur être conforme. Le rendu n’aura aucun rapport avec la réalité des perceptions et des réactions des inspectés. Le manque de simplicité, la vanité parfois, ne sont pas absents de ces conceptions professionnelles. Une dérive inquiétante Les pressions de l’institution, les exigences de quantification, la systématisation d’évaluations contestables et contestées, le déni manifeste de la pédagogie, poussent mécaniquement les inspecteurs à privilégier et à développer la demande, souvent impérative ou perçue comme telle, de documents, ce que les destinataires nomment volontiers et à juste titre, la paperasse. Malgré l’inscription dans la loi de la liberté pédagogique, on multiplie les contrôles, les injonctions, les enquêtes, les rappels à l’ordre. Comme si ce qui se passe dans la classe était sans importance, comme si c’était toujours la même chose, et comme si le plus important, c’était les résultats aux exercices. On est alors incapable de mettre en relation des résultats et les pratiques uploads/s1/ frackowiak-refonder-inspection.pdf
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- Publié le Aoû 17, 2022
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