1 Christine Salomon Service militaire adapté et nostalgie du service militaire
1 Christine Salomon Service militaire adapté et nostalgie du service militaire obligatoire en Nouvelle-Calédonie Grâce à vos brillantes attaques, Vous réduisez Chinois, Canaques, A vous Madagascar, l'Annam et le Tonkin ! (Hymne des troupes de marine1) Régulièrement, l’unique quotidien de Nouvelle-Calédonie, Les Nouvelles Calédoniennes, vante les mérites du service militaire adapté (SMA) : « Le SMA pousse les jeunes vers l’emploi », « le SMA est un extraordinaire outil d’intégration », « le SMA encore plus ancré en Calédonie », « le SMA réconcilie les jeunes avec l’emploi », « Sans emploi hier, embauchés aujourd‘hui », « Des contrats d’embauche à l’issue de la formation » pour ne citer que quelques articles publiés en 20182, alors que, dans le cadre d’une recherche plus large sur les mécanismes de sorties de la délinquance des jeunes kanak, je m’intéressais à ce dispositif de volontariat dans l’armée. Il est en effet présenté non seulement comme favorisant l’insertion de jeunes kanak marginalisés par le système scolaire et le marché de l’emploi, souvent décrits comme tiraillés « entre un monde traditionnel qui s’étiole et une société de consommation qu’ils n’ont pas intégrée »3, qu’on s’inquiète de voir échapper aux formes anciennes d’encadrement autoritaire de leur société, mais aussi, bien que ce ne soit pas sa vocation initiale, comme un outil de réinsertion puisqu’il accepte dans ses rangs des candidats qui ont eu précédemment des ennuis avec la justice. L’unanimité des louanges dont le SMA est partout l’objet4, sa longévité puisqu’il existe depuis 1962 aux Antilles et en Guyane et son déploiement progressif dans l’ensemble des outre-mers 1 Hymne chanté dans toutes les unités du SMA puisqu’elles sont rattachées aux troupes de marine de l’armée de terre. 2 Les Nouvelles Calédoniennes, 30 janvier 2018 ; 14 février 2018 ; 20 février 2018 ; 05 juillet 2018 ; 04 septembre 2018 ; 08 septembre 2018. Ce journal, auparavant membre du groupe Hersant, est depuis 2012 aux mains d’actionnaires calédoniens proches de la droite loyaliste. 3 « Le spleen de la jeunesse kanak », Le Monde, 5 décembre 2012. Sur les inégalités en matière de diplômes et d’emploi, voir Catherine Ris, 2013, « Les inégalités ethniques dans l’accès à l’emploi en Nouvelle‐Calédonie », Économie et statistique, n° 464-465-466, 2013, p. 59-71 ; Samuel Gorohouna et Catherine Ris. « Vingt-cinq ans de politiques de réduction des inégalités : quels impacts sur l’accès aux diplômes ? », Mouvements, vol. 91, n° 3, 2017, p. 89-98. 4 Un rapport d’information sur le SMA n° 329 (2018-2019) fait par Nuihau Laurey et Georges Patient au nom de la commission des finances du Sénat le présente comme étant « incontestablement un investissement judicieux pour les pouvoirs publics » et la Cour des comptes elle-même a qualifié son efficacité de remarquable dans un rapport en février 2019 (Le Monde 03.09.2019). 2 – dont la Nouvelle-Calédonie en 1986 – témoignent de la permanence du recours à l’armée dans des territoires à la situation potentiellement explosive, politiquement et/ou socialement. Initialement créé dans le but de « faire exécuter un service militaire utile à une partie de la jeunesse ultramarine » 5, son existence a été maintenue après l’annonce de la suspension de la conscription (1997) sous la forme d'un type spécifique de volontariat dans l’armée qui s’adresse aux jeunes les plus en difficulté, en voie de marginalisation. Sa mission a été alors redéfinie comme un dispositif militaire d‘insertion pour les 18-25 ans sans diplôme, éloignés de l‘emploi, avec une progressive féminisation à partir de 1994. Le SMA a toutefois gardé son nom d'origine, bien que les armées et le ministère de l'outre-mer – les autorités de tutelle – aient tenté de le faire évoluer en « Soutien Militaire à l'insertion par une formation professionnelle Adaptée »6. Le parcours proposé, huit mois en moyenne, après une initiation au maniement des armes, assimilée aux classes, consiste en une préformation professionnelle dans un certain nombre de filières définies en fonction des besoins économiques des différentes collectivités, que viennent compléter une remise à niveau scolaire, une éducation citoyenne, une formation aux premiers secours et un apprentissage de la conduite automobile. L’objectif du plan « SMA 6000 », lancé en 2009, qui prévoyait de doubler les effectifs accueillis – à l’époque 3 000 jeunes par an pour l’ensemble des implantations – a finalement été atteint en 2017. Le SMA dans les départements et territoires d’Outre-mer a cependant suscité fort peu de recherches et de publications en sciences sociales ; à ce jour, mis à part l’étude de référence de Sylvain Mary qui éclaire la genèse de l’institution en réponse aux émeutes de Fort de France de 1959, et malgré un renouveau d’intérêt pour les relations entre l’armée et les jeunes, seul un article s’est penché sur les motivations de jeunes martiniquais pour intégrer le SMA7. La présente contribution, centrée sur la Nouvelle-Calédonie, revient tout d’abord sur les préoccupations qui ont présidé à la création du dispositif dans un contexte où il s’agissait de forger un outil pour « aux Antilles, à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie, prévenir d’éventuels mouvements séparatistes »8. Elle rappelle le caractère tardif de la conscription des Kanak, sujets 5 Ainsi que le formule Michel Debré dans le troisième volume de ses mémoires Trois Républiques pour une France : Gouverner, Mémoires 1958-1962, Paris, Albin Michel, 1988, où il consacre tout un chapitre à son action pour « la France lointaine », et notamment la création du SMA. 6 Rapport d'information n° 290 (2007-2008) de François Trucy fait au nom de la commission des finances, déposé le 16 avril 2008 : La Défense et l'insertion des jeunes : le Service militaire adapté et le dispositif Défense deuxième chance « Apprendre à réussir », https://www.senat.fr/rap/r07-290/r07-2901.html 7 Sylvain Mary, « La genèse du service militaire adapté à l’Outre-Mer. Un exemple de rémanence du passé colonial dans la France des années 1960 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. 132, no. 4, 2016, p. 97-110 ; Monique Milia Marie-Luce, « Un contrat singulier avec l’armée. L’exemple des jeunes volontaires du régiment du service militaire adapté de la Martinique », Agora débats/jeunesses, vol. 82, no. 2, 2019, p. 127-142. 8 Michel Debré, op. cit., p. 350. 3 coloniaux devenus citoyens depuis 1946, exclus du service militaire jusqu’en 1962 et analyse les raisons avancées par le principal parti politique local, l’Union calédonienne (UC) – une fois que le service militaire fut rendu obligatoire – pour demander des dérogations pour les Kanak et une adaptation de ce service. Ce n’est toutefois qu’en 1984, alors que la situation politique locale avait radicalement changé, qu’un fort mouvement indépendantiste s’était constitué, que fut prise la décision de créer un SMA en Nouvelle-Calédonie. L’article examine les conditions de son implantation à un moment où le Front de libération kanak et socialiste (FLNKS) appelait les jeunes hommes au boycott du service militaire puis, après ces débuts incertains, son enracinement en Nouvelle-Calédonie où il fait maintenant l’unanimité chez les politiques locaux, y compris indépendantistes, sans pour autant qu’aient changé les valeurs patriotiques promues par l’armée et la fidélité affirmée du corps d’infanterie de marine qui encadre les jeunes à son passé colonial. Un dispositif contre-insurrectionnel pour la France lointaine La création du SMA est attachée à la période gaullienne de la V° République et à l’action de Michel Debré, Premier ministre entre 1958 et 1960 ainsi qu’à celle de Jacques Foccart, conseiller technique du chef de l’État à partir de 1958, très actif concernant l’outre-mer9. Dans la période qui suivit le referendum de 1958, marquée par la poursuite de la guerre d’Algérie, l’accession à l’indépendance de la Guinée et la probabilité d’une décolonisation des autres possessions d’Afrique, l’État tenait à préserver la souveraineté française tant dans ses « vieilles colonies », départementalisée en 1946, que dans les territoires français d’Océanie, en particulier la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie. Ces deux territoires, qui avaient une valeur stratégique, étaient présentés comme des « fractions isolées de la France, et qui ne peuvent en aucun cas prétendre vivre seules » 10. C’est pourquoi l’explosion martiniquaise de décembre 1959 qui faisait redouter une « algérianisation » des Antilles françaises11, la crise sociale née d’une économie s’apparentant 9 Jacques Foccart qui avait passé son enfance en Guadeloupe, avait été délégué pour les Antilles du Rassemblement du peuple français (RPF), parti fondé par de Gaulle, entre 1947 à 1949, puis élu de l’Union française en 1951 et nommé en 1953 secrétaire général adjoint du RPF plus spécialement chargé des TOM. Voir François Audigier, « Une figure de l’État dans le Pacifique : Jacques Foccart, un conseiller très influent au service d’une certaine idée de l’outre-mer (1965-1969) », in Paul De Deckker, Les figures de l’État dans le Pacifique, L’Harmattan, 2006, p. 195-210. 10 Michel Debré, Discours devant le Conseil d’État, 27 août 1958 (https://mjp.univ-perp.fr/textes/debre1958.htm). 11 Terme repris des archives ministérielles et administratives locales par Jean-Pierre Sainton, « Les débuts du nationalisme aux Antilles Guyane françaises (1956-1963) et l'influence algérienne », 44th General Meeting of Association of Caribbean Historians, Curacao, May 2012, p. 18. https://hal.univ-antilles.fr/hal- 01614010/document 4 toujours au système de uploads/s1/c-salomon-article-sma-version-2-pdf.pdf
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- Publié le Jul 28, 2021
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