1 Touareg/dialectes nord : pour une dynamique néologique viable Meftaha AMEUR,
1 Touareg/dialectes nord : pour une dynamique néologique viable Meftaha AMEUR, IRCAM Le présent papier se propose de revisiter la place accordée au touareg dans l’entreprise néologique amazighe et de poser la question de savoir si le recours quasi-systématique au touareg pour l’enrichissement du lexique ne risque pas de compromettre la dynamique néologique en accentuant le décalage entre la réalité langagière des locuteurs et la langue aménagée. Pour répondre à cette interrogation, nous établirons d’abord un état des lieux de la néologie en amazighe afin d’en cerner les caractéristiques les plus saillantes ; ensuite, nous exposerons les motivations et les effets de la dichotomie touareg / berbère nord et enfin, nous émettrons quelques propositions dans la perspective d’une néologie viable pour l’amazighe. A. Rey (1976 : 3-17) souligne que la néologie n’a que modérément retenu l’attention des linguistes et note l’absence du terme néologisme des ouvrages de référence en linguistique générale tels Bloomfied, Harries, Gleason, J. Lyons et même du Dictionnaire des sciences du langage de Ducrot-Todorov alors qu’il est attesté depuis le XVIIIe siècle en français puis en anglais. Cependant, les ouvrages de lexicographie et les dictionnaires de linguistique réservent une place à la notion de néologie. Certains travaux récents y sont entièrement consacrés (Sablayrolles, 2000 ; Gaudin et Guespin, 2000 ; Depecker, 2001 ; Pruvost et Sablayrolles, 2003 entre autres). Parmi les définitions que l’on peut glaner, nous retenons celle donnée par le Dictionnaire de la linguistique (1974 : 229-230) et empruntée à Riffaterre ; « par néologisme, je comprends le mot nouveau, le sens nouveau d’un vocable déjà existant, mais aussi l’emprunt […] ; j’y joins aussi les mots qui après avoir existé sont morts et paraissent neufs quand ils renaissent de l’oubli […].». Cette définition met en relief aussi bien la néologie formelle que la néologie sémantique et intègre l’emprunt et les mots réactualisés dans la catégorie des néologismes. Mais ce que ne dit pas la définition, et qu’il faut préciser, c’est que le caractère de nouveauté de l’emprunt réside dans l’accueil de l’unité lexicale étrangère et non pas dans sa création puisqu’il s’agit d’un apport exogène. 2 La néologie est donc un concept plurivalent, difficile à cerner, mais elle n’en demeure pas moins un phénomène naturel et humain auquel la langue n’échappe pas à l’échelle d’une vie humaine. L. Deroy (1971) avait édicté trois principes qui sous-tendent le phénomène de la néologie : - Le premier principe concerne la nécessité pour la langue de s’adapter au contexte dans lequel elle se trouve : « seules restent vivantes les langues qui se modifient suivant le cours du temps, qui s’adaptent aux circonstances et aux besoins nouveaux, sans être momifiées par un conservatisme et un purisme excessifs » (p. 6). - Le deuxième principe est l’autodéfense des langues : « la nécessité de maintenir la compréhension entre [l]es générations empêche la langue de se modifier trop rapidement ou trop gravement » (p. 7). - Le troisième principe de la néologie réside dans l’adaptation d’un mot importé : « quand une langue a besoin d’un mot, elle s’en accommode ou elle l’accommode » (p. 9). A l’instar des autres langues, l’amazighe n’échappe pas au phénomène. On assiste même, ces trois dernières décennies, à un réel engouement des promoteurs langagiers pour la créativité lexicale à dessein d’outiller la langue et relever ainsi le défi du passage à l’écrit. Caractéristiques de la néologie en amazighe Pour le berbère, la néologie est dictée aussi bien par des raisons d’épuration que par des raisons de dénomination (la néologie dénominative de Guilbert (1975)). Nous pouvons même avancer que la quasi-totalité des vocabulaires néologiques publiés sont conçus par leurs auteurs comme un acte de militantisme dans des contextes précis de revendication identitaire, culturelle et linguistique (Lexique des mathématiques, lexique de l’informatique, etc.). Rappelons que, d’un côté, le domaine scientifique et technique connaît l’hégémonie de l’anglo- américain ; domination contre laquelle une langue comme le français se livre à une lutte permanente et féroce qu’elle ne gagne pas toujours ; de l’autre, le statut sociopolitique et économique des pays où se parle le berbère le met indubitablement hors compétition. C’est pour cette raison 3 que la confection de vocabulaires scientifiques et techniques en berbère n’a d’autre ambition que symbolique : elle sert à montrer que le berbère est en mesure de dénommer des notions scientifiques. En plus, même pour les langues à tradition écrite ancienne, le vocabulaire scientifique présente la spécificité de rester circonscrit aux seuls spécialistes ou à des personnes "éclairées", donc sa diffusion est restreinte (L. Guilbert, 1973). Par conséquent, pour l’amazighe, les efforts doivent être canalisés sur des secteurs prioritaires en relation avec les besoins en matière de lexique. A ce propos A. Goosse (1971 : 44) écrivait avec raison que « pour que la résistance ait quelque efficacité, il ne faut pas gaspiller sa poudre pour des causes déjà perdues (quand l’usage a tranché) ou contre des objectifs sans valeur stratégique ». Les caractéristiques générales de la néologie en amazighe sur le plan linguistique peuvent être résumés ainsi : (i) c’est une néologie de discours ; (ii) c’est une néologie de l’écrit ; (iii) la créativité lexicale est souvent dictée par une réaction à l’emprunt et une volonté d’épuration de la langue ; (iv) l’allégeance quasi-systématique au touareg ; (v) le manque de systématicité dans les procédés de morphogenèse lexicale ; (vi) l’absence de signalisation des sources documentaires et des dialectes ou parlers explorés ; (vii) la référence au dictionnaire de Chafik depuis 1990 pour les productions marocaines. Si les années quatre vingt étaient caractérisées par l’influence de l’Amawal, un tournant s’est opéré depuis la parution du premier tome du dictionnaire de Chafik (1990), cet outil lexicographique est devenu la référence en matière de néologie. Une néologie de l’écrit Notons que la néologie en berbère est une néologie de l’écrit. Les néologismes créés n’arrivent pas à s’étendre à la communauté toute entière. En effet, c’est dans les textes écrits (poésie ou prose) utilisant ce que S. Chaker (2006) nomme la néo-langue qu’une quantité importante de néologismes est reprise ; cependant, au niveau des productions orales, seule une infime proportion passe dans l’usage et plus précisément dans 4 l’usage d’un certain groupe social. Il s’agit également d’une néologie de discours, nous entendons par là qu’elle n’arrive pas à s’ériger en tant que néologie de langue. Elle reste cantonnée au niveau du discours écrit sans aucun ancrage dans la compétence des locuteurs. Des lexèmes comme azul "salut", tanmmirt "merci" et tifawin "bonjour" semblent assez largement implantés parce qu’ils ont bénéficié d’une grande diffusion que leur assure le champ sémantique auquel ils réfèrent. Ce sont en l’occurrence des formules de civilité qui sont fréquemment utilisées dans l’énonciation, ce qui multiplie leurs possibilités de reprise par les locuteurs et accroît, par conséquent, leur chance de diffusion. Une carence au niveau du savoir linguistique et métalinguistique Pour suivre l’évolution de la société, toute langue vivante doit intégrer des mécanismes de néologie propres à créer les nouvelles unités lexicales qu’imposent le progrès des connaissances et les transformations des techniques. Cette dynamique générale donne l’obligation au lexique d’offrir ce que l’on appelle en linguistique des "séries ouvertes " autorisant la création lexicale nécessaire à l’indispensable renouvellement du lexique. L’observation des néologismes en berbère montre qu’il y a au moins trois procédés utilisés dans la création d’un néologisme à savoir : - l’emprunt à un autre dialecte ou à une langue étrangère ; - l’adoption d’un sens nouveau pour une forme ancienne ou expansion sémantique ; - la création d’une forme nouvelle soit par dérivation ou par composition. Pour l’amazighe, c’est la combinaison de la racine et du schème qui donne naissance à une unité lexicale donnée. Dès lors, une bonne connaissance de la langue permettant de mettre en œuvre toutes ses potentialités, du mode de dérivation et de composition, de l’inventaire des schèmes sont des données incontournables pour qui veut créer des unités lexicales. Or, ces postulats de base font souvent défaut chez les confectionneurs de néologismes car souvent mus par la passion et la revendication identitaire (du reste, légitimes) qui ne laissent pas de marge au discernement requis dans tout travail scientifique. Notons que les dernières décennies ont connu une production assez importante (du point de vue quantitatif) de glossaires et de lexiques en 5 berbère proposant des néologismes dans différentes disciplines (mathématiques, éducation, droit, électricité, informatique, etc.) ; ces publications sont souvent des œuvres individuelles (rarement de groupes) et souvent menées dans des cadres associatifs, sans véritables assises scientifiques. R. Achab (1996) avait élaboré une synthèse critique des ouvrages de néologie produits en amazighe sur un demi-siècle (1945- 1995). Depuis, et sur toute la décennie 1995-2005, d’autres productions néologiques ont vu le jour ; mais elles ont toujours en commun les mêmes carences, à savoir une connaissance insuffisante du fonctionnement de la langue et surtout de sa morphogenèse et l’absence quasi-totale d’indications sur les sources bibliographiques exploitées et les aires linguistiques explorées. Ces initiatives fort nombreuses pèchent aussi par le manque de coordination et de concertation uploads/s3/ 01-ameur.pdf
Documents similaires










-
24
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 02, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2117MB