Master ICFI - Industries culturelles France-Italie R7FI102 Pratique du Thème P

Master ICFI - Industries culturelles France-Italie R7FI102 Pratique du Thème Patrizia GASPARINI Jeudi 22 octobre 2020 Le Monde L’histoire des musées s’écrit encore La pandémie contraint ces lieux de culture à s’adapter à de nouveaux gestes et usages. Minivisites, contes en ligne, vote sur les œuvres à exposer... Les musées tentent par tous les moyens d’impliquer un public de proximité qu’ils vont chercher sur les réseaux sociaux, et jusque dans les gares Christophe Averty De Paris à Montréal, de Giverny à Pont-Aven, la crise sanitaire n’épargne aucun musée. Port du masque obligatoire, gestes barrières, gel hydroalcoolique... Autant de vocables inédits entrés dans la vie quotidienne et, avec eux, autant de nouveaux usages que de contraintes. Les musées s’adaptent, révisent leurs approches, allant jusqu’à repenser leur mission au-delà d’un horizon flou. Ils ont délaissé des dispositifs interactifs et tactiles jugés dangereux, revu parfois l’accrochage de certaines collections permanentes, peaufiné la circulation et les flux dans leurs salles. Obligées d’accueillir des publics moins nombreux le Louvre, cet été, est passé de 40 000 visiteurs par jour en temps normal à un peu moins de 10 000 visiteurs , les institutions se sont recentrées sur leur territoire et cherchent à atteindre un public de proximité. L’absence de touristes venus de loin, les complications liées au report, voire à l’annulation de manifestations, l’envolée des tarifs de fret et d’assurance des œuvres, constituent, au-delà d’un puissant frein à leurs activités, un terreau fécond de réflexion pour l’ensemble des responsables. « Cette expérience nous aura crûment rappelé que le monde des musées est tout autant connecté à la santé publique qu’à l’économie mondiale. La situation nous invite à envisager nos métiers autrement, à ouvrir des voies jusqu’alors peu explorées », explique Cyrille Sciama, directeur du Musée des impressionnismes Giverny (Eure). Preuve est faite, si besoin était, que les musées ont, notamment dans ce contexte, un rôle crucial à jouer, une voix à élever. L’ergonomie des sites, leur fonctionnement plus écoresponsable, voire écologique, ne seraient plus d’abscons éléments de langage, mais de tangibles objectifs à atteindre. Plus encore, la volonté des musées d’aller plus loin dans leur mission, au-devant de leur public, en leur proposant des espaces sécurisants, propices au plaisir, à la délectation et à la transmission des connaissances, traduit l’évidence d’une réalité que l’on sait aujourd’hui mesurer : l’art fait du bien. « Grâce aux nouvelles technologies de l’imagerie scientifique, de nombreuses études en neurosciences ont établi l’impact des arts visuels, de la musique, du théâtre ou de la danse sur notre mieux-être », rappelle l’historienne de l’art et muséologue, Nathalie Bondil, viceprésidente du conseil des arts du Canada. « Le cerveau pense et ressent », ajoute-t-elle, évoquant notamment les abondantes publications du neurobiologiste Jean-Pierre Changeux et du neurologue Pierre Lemarquis, qui ont observé et retracé les effets de la beauté sur le cerveau. Allant dans le même sens, un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), publié en 2019, réunissait 900 publications issues de 3 000 études menées à travers le monde. 1 Ses conclusions confirment le rôle positif de l’art dans la prévention, le maintien ou l’amélioration de la santé mentale et physique. « L’émotion esthétique est un besoin physiologique : qui dit beauté dit santé », résume Nathalie Bondil. Aux traitements associés à la pratique du théâtre, de la danse et de la musique, l’ancienne directrice du Musée des beaux-arts de Montréal prône l’usage des institutions elles-mêmes : la muséothérapie, capable de renforcer le mieux-être collectif et individuel. Son expérience de terrain l’a menée, pendant dix ans, à irriguer ses missions muséographiques d’initiatives novatrices, voire d’avant-garde, envers des publics empêchés, défavorisés ou atteints de handicap. Au sein du musée québécois, un médecin a pu établir son cabinet pour y prescrire des visites dans les collections, adaptées aux besoins spécifiques des patients. Ne pas traduire [D’ailleurs, le rapport de l’OMS stipule qu’une approche globale de la santé conjuguée aux apports de l’art peut, en plus de donner de bons résultats, être plus rentable que des traitements biomédicaux plus conventionnels. « Par exemple, la pratique de l’art-thérapie améliore non seulement la qualité de la vie mais aussi sa durée. Elle renforce les défenses immunitaires, diminue les risques psychosociaux dus notamment à l’isolement, et favorise une meilleure adhésion aux traitements », insiste la muséologue franco-canadienne. Ainsi, du désir à l’émotion, de la pathologie au soin, l’art s’avère être l’allié du remède, et plus généralement la clé d’un épanouissement personnel. Le beau contre l’isolement A Pont-Aven, fief breton de Gauguin, Sophie Kervran se base sur une approche factuelle et pragmatique des inclinations des visiteurs. « Le public est notre préoccupation première. Pour envisager l’impact que peut avoir la présentation d’une œuvre ou d’une exposition, je me réfère parfois à la pyramide de Maslow », explique la directrice du Musée de Pont-Aven et du Musée de la pêche de Concarneau. Bien que contesté pour ses limites, ce graphique théorique, publié en 1970, réunit et définit à grands traits les besoins humains en les hiérarchisant. Des motivations les plus fondamentales et physiologiques jusqu’au besoin de s’accomplir, le psychologue Abraham Maslow a déterminé cinq strates en suivant les différentes phases auxquelles aspire l’être humain, comme la sécurité, le sentiment d’appartenance et la confiance. Si, de nos jours, cette classification s’applique davantage aux techniques de marketing, le schéma révèle une « anomalie » que Sophie Kervran a débusquée : l’art peut correspondre à la plupart des nécessités recensées. « On considère trop souvent la culture et la création comme un besoin annexe, auquel on subvient après avoir satisfait des impératifs matériels. Pourtant, pendant le confinement, on a pu vérifier l’importance de la créativité, de l’évasion et du beau pour lutter contre un sentiment d’ennui ou d’isolement », complète-t-elle. L’exposition « Réserve, ouvre-toi ! », actuellement présentée à Pont-Aven, s’inscrit dans cette réflexion fondée sur l’impact des œuvres, mais aussi sur l’envie, le plaisir esthétique et la lecture qu’en tire chacun. Le principe : le public a été invité à voter, via le site Internet du musée, pour les œuvres conservées dans les réserves qu’il souhaitait voir présentées lors de l’exposition. Quelque deux mille internautes, de la France entière, ont manifesté leurs préférences. Et les trente-cinq œuvres les plus plébiscitées ont rejoint la cinquantaine de toiles présentées au musée breton. « S’adapter à la période actuelle et anticiper l’avenir, c’est aussi impliquer les visiteurs, avance Sophie Kervran. Pour les accompagner, il nous faut, d’une part, réviser nos certitudes sans jamais dévaloriser l’expertise des commissaires d’exposition et, d’autre part, amener les publics à saisir les chefs-d’œuvre dans leur matérialité. » 2 Et si, confrontés à de nouvelles contraintes en même temps qu’aux attentes des publics, les musées entraient dans une nouvelle ère ? Pour Cyrille Sciama, la prudence impose, dans une période d’incertitude, de mettre en œuvre des projets plus modestes, moins axés sur une politique du chiffre où seul compterait le taux de fréquentation. Selon le directeur du Musée de Giverny, les expositions blockbusters, à lourde production et présentant des œuvres venant du bout du monde, sont probablement appelées à se raréfier. Les échanges de chefs-d’œuvre entre musées et leur mise en dialogue restent une option qu’il a saisie à Giverny. « Le musée est un lieu d’accueil, de regards croisés. Faire dialoguer dans une prochaine exposition Claude Monet et Mark Rothko, au même titre que la sculpture de Giuseppe Penone, récemment installée dans nos jardins, offre d’autres points de vue, ouvre des chemins de traverse, des confrontations inédites, pour proposer aux visiteurs autant de manières "d’entrer" dans les œuvres », estime-t-il. Si cette remarque vaut pour l’ensemble des musées, les grandes institutions ont à cœur de présenter des expositions à la mesure de leurs ambitions. Christophe Leribault, directeur du Petit Palais, qui présente « L’Age d’or de la peinture danoise (1801-1864) », défend pour sa part le maintien de grandes manifestations temporaires, expliquant que « l’intérêt d’une exposition est aussi d’offrir une réflexion poussée sur une époque, une école, un pays, un artiste que l’on a peu l’occasion de voir, à moins de se rendre à l’étranger . « On joue Tchekhov à l’Odéon, on va écouter Moussorgski à la Philharmonie... Pourquoi ne pourrait-on voir à Paris des œuvres du peintre russe Ilia Répine ? Tel est le rôle, entre autres, des expositions temporaires, même s’il est nécessaire de reporter pour l’instant certains projets. »] Ne pas traduire jusqu’ici TRADUIRE : L’image virtuelle, nouvelle alliée Car l’envie d’art est là. Le festival Normandie impressionniste en témoigne. « Les expositions "Dieppe au temps des impressionnistes" et "Les Villes ardentes", à Caen, ont connu une affluence supérieure aux éditions précédentes », rapporte Selma Toprak, directrice de la manifestation. « Si l’on veut continuer de s’ouvrir à de nouveaux publics, il faut démultiplier les accès à l’art. Nous avons, par exemple, investi la gare Saint-Lazare, point de départ des destinations normandes, construit des parcours d’un musée à l’autre, inauguré des itinéraires à vélo sur trois jours, développé l’offre numérique pour inciter à la visite des sites eux-mêmes. La médiation s’opère avant, pendant uploads/s3/ 06-le-monde-musees-pandemie.pdf

  • 17
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager