Revue de Sémantique et Pragmatique. 2009. Numéro 25-26. pp. 243-264. L’expressi
Revue de Sémantique et Pragmatique. 2009. Numéro 25-26. pp. 243-264. L’expression du ‘présent actuel’ en arabe (marocain), berbère (tamazight) et français, parlés à Orléans Samira Moukrim LLL (EA 3850) - Université d’Orléans Le présent de l’indicatif a fait l’objet de nombreuses études, mais le débat sur ses valeurs et ses emplois1 est loin d’être clos. Dans une étude en cours2 sur la question, nous avons essayé de trouver une explication à la diversité d’emplois du présent de l’indicatif en français en examinant le fonctionnement de la forme du ‘présent’ dans d’autres langues, notamment en arabe marocain 1 Face à la diversité d’emplois du présent de l’indicatif, les linguistes proposent des explications tout aussi variées. Pour les uns (Benveniste 1970/ 1974, Guillaume 1929, Gosselin (2005), Haillet (2005)), le présent est une forme temporelle déictique, marque de coïncidence entre le moment d’énonciation et le moment du procès -conception à laquelle nous souscrivons. Pour d’autres (Damourette et Pichon (1911-1926/1970), Mellet (1980- 2000), Serbat (1980-1988), Chuquet (1994)), le présent est une forme neutre, capable d’inscrire le procès dans n’importe quelle époque. Une troisième hypothèse est avancée par Wilmet (1997 : 341) qui dé nit le présent comme étant une « forme verbale qui af rme la concomitance d’un procès au repère de l’actualité ». Avis partagé par Beauzée (1782- 1786/1986), Jaubert (2001), Revaz (2006). De son côté, Abouda (2003 : 21-25) a essayé d’expliquer la diversité d’emplois du présent en dissociant le point de repère du Locuteur de celui de l’Enonciateur (distinct de lui) qu’il met en scène en le plaçant « dans le passé, en pleine action ». 2 Thèse en cours dont l’intitulé est : Morphosyntaxe Et Sémantique Du Présent : Une Etude Contrastive A Partir De Corpus Oraux (Eslo/Lco), En Arabe (Marocain), Berbère (Tamazight) Et Français, Sous la direction de Ms. Gabriel Bergounioux et Lot Abouda, à l’Université d’Orléans Samira Moukrim 244 RSP • 2009 • n° 25-26 et en berbère tamazight3. Nous avons d’une part, appréhendé le ‘présent’ dans une perspective comparative (les langues s’entre-éclairent les unes les autres) et d’autre part, travaillé sur un corpus oral4. Ce papier a pour objectif de présenter deux étapes de cette étude : i) Trouver une notion de base sur laquelle repose la comparaison, car le ‘présent de l’indicatif’ n’est pas une catégorie interlangue et ; ii) Identi er les formes verbales qui expriment cette notion dans les langues étudiées. Dans cet article, nous allons montrer que le ‘présent’ n’est pas exprimé, dans chacune des langues étudiées, par une seule forme, mais par plusieurs. Nous allons montrer également que le type du procès joue un rôle principal dans la détermination de cette forme verbale en arabe marocain et en berbère tamazight. Nous aborderons successivement les points suivants : – La base commune de comparaison – Identi cation de la forme verbale du présent actuel en arabe (marocain), berbère (tamazight) et français – Les types de procès – Relation entre le type du procès et la forme verbale du présent actuel – Propriétés aspectuelles du présent actuel 1. LA BASE COMMUNE DE COMPARAISON L’arabe marocain, le berbère tamazight et le français appartiennent à des familles de langues différentes. Cela implique que chacune d’elles a une organisation et une structure qui lui sont propres : « Chaque langue a sa propre sélection de notions grammaticalisées et sa manière spéci que de les organiser en un système » (Lazard 2006 : 110) Et comme l’a constaté Guillaume (1965 : 1), « L’architecture du temps diffère beaucoup d’une langue à l’autre, que la comparaison ait lieu entre langues appartenant à des familles différentes ou entre langues apparentées, comme le sont les langues indo-européennes. » 3 Nous avons travaillé sur un corpus oral de l’arabe marocain (dialecte arabe que les habitants du Maroc ont l’habitude d’employer pour leur intercommunication, par opposition à l’arabe classique, qui est employé exclusivement dans l’expression écrite, l’enseignement…) et du berbère tamazight (dialecte berbère employé au centre du Maroc, par opposition à ceux employés au Nord (tari te) et au Sud (tachelhite)). C’est un corpus (16 heures de son) que nous avons constitué auprès de locuteurs marocains arabophones et berbérophones résidant à Orléans, dans le cadre du programme Langues en Contact à Orléans (module ESLO : Enquêtes Sociolinguistiques à Orléans) cf. le site ESLO pour plus de détails : http://www. univ-orleans.fr/eslo/spip.php?rubrique1 4 Une étude basée sur des données empiriques orales va nous permettre non seulement d’observer les emplois de la forme du présent qui sont en rapport direct avec le moment de la parole mais aussi de déterminer les paramètres qui font que cette même forme énoncée dans l’actuel puissent renvoyer au non actuel. L’expression du ‘présent actuel’ en arabe, berbère et français RSP • 2009 • n° 25-26 245 Dans le domaine Temps-Aspect-Mode, le découpage des catégories grammaticales est variable car il est propre à chaque langue. Ce qui se re ète dans l’organisation des systèmes verbaux du français, de l’arabe marocain et du berbère : Tableau (1) : Classi cation des formes verbales Français - Indicatif : présent, passé composé, imparfait, plus-que-parfait, passé simple, passé antérieur, futur, futur antérieur, conditionnel présent, conditionnel passé - Subjonctif : présent, imparfait, passé, plus-que-parfait - Impératif - In nitif - Participe - (en plus des formes surcomposées) Arabe - Accompli - Inaccompli Berbère - Aoriste - inaccompli - accompli Les systèmes verbaux des trois langues ne sont pas organisés de la même manière. En français, nous distinguons une vingtaine de formes verbales, qui sont toutes classées en fonction des deux catégories du ‘mode’ et du ‘temps’. Par contre, les systèmes verbaux de l’arabe5 et du berbère6 reposent sur une 5 Dans la description du système verbal de l’arabe, nous avons noté trois types de terminologies : temporelle (‘madi’ (passé) – ‘mudari3’ (présent-futur)), aspectuelle (accompli-inaccompli /parfait-imparfait /perfectif-imperfectif) et morphologique (forme pré xée – forme suf xée). Ce foisonnement terminologique a pour origine les différentes conceptions du système verbal de l’arabe : - La conception temporelle soutenue par les anciens grammairiens arabes ; - la thèse aspectuelle soutenue par les sémitisants ; - et en n celle de certains linguistes modernes qui ont préférés employer des termes qui ne renvoient ni au temps ni à l’aspect, mais à l’opposition morphologique du système verbal de l’arabe. En ce qui nous concerne, nous souscrivons à la conception aspectuelle, qui est, à notre avis, basée sur une observation réelle du fonctionnement des formes verbales de l’arabe. Ce qui explique l’utilisation des termes ‘accompli’ et ‘inaccompli’ dans ce travail. 6 La quasi-totalité des linguistes qui ont travaillé sur le berbère s’accordent sur la nature purement aspectuelle de son système verbal. Mais la terminologie utilisée est loin d’être commune : Thème I, Thème II, Thème III (Cadi 1987) Aoriste, Aoriste intensif, Prétérit (Basset 1929) Aoriste, inaccompli, Accompli (Galand 1977) Aoriste, extensif, Prétérit (Hebaz 1979) Imparfait, imparfait intensif, Parfait (Prasse 1972-74) Dans ce travail, nous allons utiliser les termes aoriste, accompli et inaccompli pour le berbère. Samira Moukrim 246 RSP • 2009 • n° 25-26 opposition purement aspectuelle : accompli-inaccompli en arabe et accompli- inaccompli-aoriste en berbère. Ainsi, on ne distingue que deux paradigmes de conjugaison en arabe et trois en berbère, comme il apparaît à travers la conjugaison du verbe gles ‘s’asseoir’ en arabe (a) et du verbe af ‘trouver’ en berbère (b) : (a) Inaccompli accompli n-gles gles-t (je- s’asseoir) t-gles gles-ti (tu - s’asseoir (masc)) t-gles-i gles-ti (tu - s’asseoir (fem)) i-gles gles-Ø (il- s’asseoir) t-gles gles-at (elle- s’asseoir) n-gles-u gles-na (nous- s’asseoir) t-gles-u gles-tu (vous- s’asseoir) i-gles-u gles-u (ils/elles- s’asseoir) (b) Aoriste accompli inaccompli af-x u -x ttafa-x « je- trouver» t-af -t t-u -t t-ttafa-t « tu-trouver » y-af i-ufa i-ttafa « il-trouver » t-af t-ufa t-ttafa « elle-trouver » n-af n-ufa n-ttafa « nous- trouver » t-af-m t-ufa-m t-ttafa-m « vous-trouver (masc) » t-af-mt t-ufa-mt t-ttafa-mt « vous-trouver (fem) » af-n ufa-n ttafa-n « ils-trouver » af-nt ufa-nt ttafa-nt « elles-trouver » La comparaison de langues différentes ne peut se faire sans avoir recours à une base commune de comparaison. Nous nous posons les questions suivantes : – peut-on partir d’une forme verbale pour comparer les trois langues? – Peut-on prendre la forme du présent de l’indicatif comme base commune de comparaison ? Partant du fait que les unités de chaque langue entrent dans des oppositions qui sont en principe différentes de celles des autres langues et sont donc incomparables, nous pouvons dire que la forme du présent de l’indicatif ne peut servir de base de comparaison. A n de trouver une base commune de comparaison, en évitant le piège de projeter les catégories d’une langue sur une autre, et a n de faire face aux confusions terminologiques et à la divergence dans la manière de concevoir et de découper le temps dans ces langues, nous proposons de partir du contenu de sens7 c’est-à-dire de la notion (ou de l’une des notions) exprimée(s) par la 7 C’est du reste la méthode proposée par Lazard (2006) pour comparer les langues dans une perspective typologique et qui se présente en uploads/s3/ 15-moukrim-pp243-264-2-libre.pdf
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- Publié le Dec 06, 2021
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