Revue des Sciences Religieuses Introduction à la vie et à l'œuvre de Henri Suso

Revue des Sciences Religieuses Introduction à la vie et à l'œuvre de Henri Suso Alois-Maria Haas, Wolfgang Wackernagel Abstract Introduction to the life and work of Henri Suso. Henri Susso, an important representative of the rhineland mystics, is not well known to the french public. In his article, A.-M. Haas summarizes his life and work, as well as the secondary scholarship on the same, and shows to what extent research on Suso might develop in the coming years. Résumé Représentant important des mystiques rhénans, Henri Suso est assez peu connu du public français. Dans son article, A.M. Haas fait le point sur la vie et l'œuvre de celui-ci, ainsi que sur les travaux qui lui sont consacrés, montrant à quel point les études relatives à Suso peuvent se développer dans les années à venir. Citer ce document / Cite this document : Haas Alois-Maria, Wackernagel Wolfgang. Introduction à la vie et à l'œuvre de Henri Suso. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 70, fascicule 1, 1996. Les mystiques rhénans. pp. 154-166; doi : https://doi.org/10.3406/rscir.1996.3353 https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1996_num_70_1_3353 Fichier pdf généré le 02/05/2018 Revue des sciences religieuses 70 n° 1 (1996), p. 154-166 INTRODUCTION À LA VIE ET À L'ŒUVRE DE HENRI SUSO * Henri Suso OP (1235-1366) est l'un des rares auteurs spirituels du XIVe siècle à avoir légué une œuvre aussi riche et aussi diversifiée. En ce sens, il demeure difficile à classer. Cependant, il est possible de dire pourquoi de telles tentatives pour définir sa personne et son œuvre sont, la plupart du temps insatisfaisantes. La structure de sa personnalité a dû être exceptionnellement complexe : ses capacités et ses dons émotionnels aussi bien qu'intellectuels se situaient au- dessus de la moyenne. Dans son œuvre, cela se traduit par le fait qu'à côté de possibilités d'expression poétiques puissantes (aussi bien en latin qu'en allemand), le discours philosophique pouvait agir de façon déterminante dans une large part de son œuvre. On ne saurait rendre justice à celle-ci, et à son auteur, qu'en évitant toutes les approches unilatérales dans l'interprétation. En d'autres termes : seule une démarche interprétative synthétique, qui tienne compte de la complexité du talent de Suso dans le domaine littéraire, rhétorique aussi bien que dans celui de ses capacités émotionnelles et cognitives, est en mesure de s'approcher de son œuvre. C'est ce que nous allons faire brièvement dans la suite. I. Vie Né le jour de la fête de S. Benoît (le 21 mars, cf. Vita, Chap. 16), vers 1295/97, à Constance ou dans sa région sous le nom de Henri von Berg, il prit par la suite, et par hommage envers sa mère, le nom de sa famille, à savoir Sus ou Sus. A l'âge de 13 ans, vers 1308/10 il entra au couvent des Dominicains à Constance. Une donation des parents à ce couvent de l'île, en raison de l'admission précoce de leur fils, semble lui avoir causé du tourment pendant plus d'une décade, jusqu'à ce que Maître Eckhart le délivra de cette crainte - sans doute lors de ses études à Cologne. Suso reçut l'éducation habituelle : Traduction Wolfgang Wackernagel. VIE ET ŒUVRE DE HENRI SUSO 155 une année de noviciat couronné par h profession simple (vers 1309), environ deux ou trois années d'enseignement élémentaire du latin ainsi que de la spiritualité de l'Ordre (Ecriture Sainte, office, règle de l'Ordre, littérature et pratique ascétique). Vinrent ensuite quelques années (1313/14 - 1318/19) d'études philosophiques : deux ou trois années de Philosophie rationnelle {philosophia rationalis = toute la logique aristotélicienne) dans un couvent de la Natiô Suebica ou en Alsace, deux ou trois années d'étude de la philosophia realis (physique, géométrie, astronomie, métaphysique aristotélicienne). Les deux ou trois années d'études de la théologie (Bible et Sentences de Pierre Lombard) ont peut-être été accomplies dans un Studium par- ticulare à Constance ou à Strasbourg (1319-22). Ensuite, Suso a été assigné au Studium générale de Cologne pour la suite de ses études (1323/24 - 1327), c'est là qu'il connut l'influence du maître Eckhart. Vers 1326/27, il retourne pour 20 ans comme lecteur à Constance, afin d'instruire les frères de la communauté et prendre la responsabilité scientifique du couvent. Entre 1329 et 1334 il semble avoir été démis de cette fonction, sans doute à l'occasion du Chapitre général et provincial de l'ordre à Maastricht de 1330, où Suso fut soupçonné, voire accusé d'hérésie, et semble avoir reçu un sévère reproche (une humiliation rapportée dans sa Vita, chap. 23, sans que lieu ni date ne soient précisés) (1). C'est à cette époque - alors que Suso avait environ 40 ans - qu'est advenu ce tournant dans sa vie qu'il décrit comme un « moment autobiographique » (2) : en observant un chien jouer avec un chiffon, il reconnaît qu'il ne lui est plus permis de continuer à disposer de lui-même et de son corps de manière ascétique - s'il ne veut pas aller à la rencontre d'une mort certaine et se tuer à force de pratiques ascétiques -, mais que dans un abandon mystique, il doit laisser les souffrances venir à lui de l'extérieur comme des envoyées de Dieu {Vita, chap. 20, p. 58,3s<7. ; cf. aussi les Lettres : 368,27 sq. et 443,7 sq. ; ainsi que les allusions à la scène du chiffon dans 363,22 s*/, et 421,23-422,3). Ce passage est inspiré de l'exemple des Vies des anciens Pères, cependant, il n'en est pas moins significatif pour les circonstances de la vie de Suso. Dès lors, l'orientation de sa vie se modifie complètement. Au lieu de se concentrer sur le couvent et son espace intérieur et de mener une vie d'ermite, Suso s'avance désormais dans la zone dangereuse d'une activité de missionnaire et de prédicateur. Il s'expose et participe aux événements de son temps. Il se peut que ce soit justement la tournure de tels événements qui (1) Préface à L'Horloge de la Sagesse, p. 30. Cf. note 15. Les œuvres allemandes de Suso sont citées d'après l'édition : K. Bihemeyer, Heinrich Sense. Deutsche Schriften, Stuttgart, 1907 (rééd. Frankfurt am Main, 1961). (2) M. Wehrli, Formen mittelalterlicher Erzàhlung. Aufsàtze, Zurich 1969, 16 sq. 156 A.-M. HAAS l'ont amené - davantage qu'on ne le pensait jusque-là - à modifier son attitude à rencontre de sa pratique ascétique. La situation temporelle, telle qu'elle se reflétait à Constance, était embrouillée et difficilement saisissable : en 1342, il y eut une insurrection des corporations contre la domination des patriciens ; en 1343, une mauvaise récolte conduisit à la famine, une crue menaça la ville. C'était vers cette époque que Suso fut nommé Prieur du couvent de Constance (Vita, chap. 43, p. 145,17 : in der grossen tûri ; 146,1 sq. ; HS 1,5, K 415,26 sq.). Cependant, il ne résida plus à Constance dès ce moment - vers 1342 ou 1343. Adversaire décidé de l'empereur Louis de Bavière et Dominicain fidèle au Pape, et donc obéissant à l'Interdit proclamé par ce dernier, il aura sans doute quitté la ville avec la plupart des frères de son ordre en 1338 (fin 1338 / début 1339, Henri de Nôrdlingen ne le trouve déjà plus à Constance) (3), ou il sera parti en exil en 1339, jusqu'en 1346 ou 1349 à Diessenhofen chez les Dominicaines de Katharinental, ou encore dans le couvent des Ecossais, qui se trouvait devant les portes de la ville. Il est vraisemblable que Suso soit déjà retourné à Constance en 1346, car en 1347 - ainsi qu'il ressort d'une lettre de Henri de Nôrdlingen à Margareta Ebner (fin 1347 / début 1348) (4), dans lequel celui-ci se détourne du « Doux » (dem Suseri) - a dû se produire cette fâcheuse affaire, dans laquelle la bonne réputation de Suso fut massivement troublée par les accusations d'une femme qu'il avait soutenue, et qui lui attribuait la paternité de son enfant. Suso aura sans doute déjà été transféré dans un autre couvent lorsque le général de l'ordre arrive à Constance, accompagné du provincial de Teutonie, pour soumettre cette affaire à l'examen. L'innocence de Suso est avérée (sans doute au chapitre provincial de 1354, à Constance) - à un moment où il a depuis longtemps déployé un nouveau cercle d'activités à Ulm. Sur la base des informations données par Suso lui-même, on peut savoir quelles furent ses tâches durant les 20 ans d'activité à Constance. L'Ordre des Dominicains, tel que le connurent Suso et bien d'autres avec lui, était loin de se trouver dans une période d'apogée dans la première moitié du 14e siècle : l'on assistait partout à une réduction de l'idéal originaire de l'Ordre. Le maintien du vœu de pauvreté, ainsi que le cursus des études étaient particulièrement mal observés. Des positions honorifiques au sein de l'Eglise et des privilèges ont laissé s'évanouir la sévérité originelle pour céder la place à une nonchalance dans le mode de vie, qui n'avait plus grand chose à voir avec le statut originel des mendiants. C'est face à cette (3) Ph. Strauch, éd., Margaretha Ebner und Heinrich von Nôrdlingen, 1882, réimpr. Amsterdam 1966, p. 215 sq., Lettre XXXI. uploads/s3/ art-perse-e-biographie.pdf

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