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Extrait de la publication Extrait de la publication UN ESSAI DE RÉNOVATION DRAMATIQUE LE THÉÂTRE DU VIEUX COLOMBIER Au mois d'octobre prochain s'ouvrira à Paris, 21rue du Vieux Colombier, un théâtre nouveau. Il prendra le nom de Théâtre du Pieux Colombier. Son programme sera composé des chefs-d'œuvres classiques européens, de cer- tains ouvrages modernes déjà consacrés, et de ceux de la jeune génération. Conçu par un petit groupe d'artistes dont l'entente intellectuelle et un goût commun de l'action ont fait des compagnons de lutte, ce projet longuement médité connut bien des alternatives. Il eut à surmonter bien des obstacles. S'il se réalise enfin, c'est grâce à des dévoûments pour lesquels nous ne saurions ici marquer trop de reconnais- sance. On n'entreprend rien, certes, si ce n'est contre le gré de tous. Et, depuis quelques années, nous avions dû nous accoutumer au murmure des voix décourageantes. Nous avons entendu les avertissements ironiques des gens de métier auxquels la vie n'a rien laissé que leur stérile 1 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE expérience, les prévisions pessimistes des timides et des sceptiques, les conseils des satisfaits enclins à prôner l'ex- cellence des divertissements dont ils se repaissent, les remontrances des amis sincèrement émus de nous voir exposer notre repos à d'ingrates tribulations, hasarder toutes nos forces à la poursuite d'une chimère. Mais les mots n'ont point de prise sur qui s'est délibéré- ment sacrifié à une idée, et prétend la servir. Par bonheur, nous avons atteint l'âge d'homme sans désespérer de rien. A des réalités détestées, nous opposons un désir, une aspi- ration, une volonté. Nous avons pour nous cette chimère, nous portons en nous cette illusion qui donne le courage et la joie d'entreprendre. Et si l'on veut que nous nom- mions plus clairement le sentiment qui nous anime, la passion qui nous pousse, nous contraint, nous oblige, à laquelle il faut que nous cédions enfin c'est l'indignation. Une industrialisation effrénée qui, de jour en jour plus cyniquement, dégrade notre scène française et détourne d'elle le public cultivé l'accaparement de la plupart des théâtres par une poignée d'amuseurs à la solde de mar- chands éhontés partout, et là encore où de grandes tra- ditions devraient sauvegarder quelque pudeur, le même esprit de cabotinage et de spéculation, la même bassesse partout le bluff, la surenchère de toute sorte et l'exhibi- tionnisme de toute nature parasitant un art qui se meurt, et dont il n'est même plus question partout veulerie, désordre, indiscipline, ignorance et sottise, dédain du créateur, haine de la beauté une production de plus en plus folle et vaine, une critique de plus en plus consen- tante, un goût public de plus en plus égaré voilà ce qui nous indigne et nous soulève. Extrait de la publication LE THÉATRE DU VIEUX COLOMBIER Cette indignation, d'autres que nous la ressentent d'autres, avant nous, l'exprimèrent. Mais, parmi les plus généreux, combien ont lentement résigné leur colère Ou bien c'est l'intimidation qui leur ferme la bouche, ou la camaraderie qui les débauche, ou la lassitude qui leur fait tomber la plume des mains. Des plaintes nouvelles se feront entendre, de jeunes protestations s'élèveront encore. Mais suffit-il de protester ? Est-ce assez que de batailler pour une cause perdue, que d'acérer vainement les traits de sa critique, ou de se retrancher dans un égoïste mépris? Nous n'avons que faire d'un mécontentement qui n'agit point. Tandis que les meilleurs se tiennent pour satisfaits d'affirmer leurs préférences et leurs répulsions, de main- tenir leur goût personnel au dessus de la corruption géné- rale, le mal gagne autour de nous, et nous n'aurons plus bientôt, dans ce domaine de notre art, dans cette région qui nous appartient, la place où poser le pied. Nous pensons qu'il ne suffit même pas, aujourd'hui, de créer des œuvres fortes en quel lieu trouveraient-elles accueil, rencontreraient-elles à la fois leur public et leurs interprètes, avec une atmosphère favorable à leur épa- nouissement ? C'est ainsi que, fatalement, comme une postulation perpétuelle s'imposait à nous ce grand problème élever sur des fondations absolument intactes un théâtre nouveau qu'il soit le point de ralliement de tous ceux, auteurs, acteurs, spectateurs, que tourmente le besoin de restituer sa beauté au spectacle scénique. Un jour verra peut-être ce prodige réalisé. Alors l'avenir s'ouvrira devant nous. Car nous n'avons rien à attendre du présent. Nous devons ne compter pour rien ce qui existe. Si nous vou- Extrait de la publication LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE Ions retrouver la santé et la vie, il convient que nous repoussions le contact de ce qui est vicié dans sa forme et dans son fond, dans son esprit, dans ses mœurs. Nous ne méconnaissons pas que des dons de toute sorte, et souvent précieux, se fassent jour dans la produc- tion dramatique contemporaine. Ils y sont fébrilement prodigués, dispersés, gaspillés. Faute d'orientation, de disci- pline, faute de sérieux et surtout à'' honnêteté, on ne les voit nulle part aboutir à la concentration,à l'accomplissement d'une œuvre d'art. Considérant les choses d'un peu haut, il est impossible de ne pas reconnaître que plusieurs géné- rations se sont succédées, sans qu'un artiste véritable ambitionnât, pour y manifester son génie, la forme dra- matique. Lors même que ses facultés semblaient propre- ment le destiner au théâtre, l'artiste dont nous parlons a toujours cherché refuge en quelque autre genre, l'estimant plus digne de lui, fût-il moins conforme à sa visée. Est-ce à dire qu'il soit sans ressource et comme désaffecté, trop fragile dans une main puissante et rebelle à toute nou- veauté, l'instrument qu'ont façonné et dont se conten- tèrent les Sophocle et les Shakespeare, les Racine, les Molière, les Ibsen ? Non. Mais il a dégénéré parmi des pratiques infâmes, et l'usage en paraît interdit à quiconque prétend, de nos jours, faire librement œuvre de beauté. Nous avons vu, depuis trente ans, quelques vrais talents se porter vers la scène. Nous avons vu les uns, peut-être à leur insu, prendre insensiblement et garder ce pli de complaisance que les premiers succès laissent aux âmes faciles de leurs dons exploités, déformés, ils ont tiré ce creux prestige qu'ils exercent désormais sur la foule. Nous avons vu les autres, mieux défendus par la Extrait de la publication LE THÉATRE DU VIEUX COLOMBIER fermeté du caractère et le respect de leur art, déserter un théâtre qui ne les eût accueillis que pour les corrompre leur verve s'est ralentie, leur inspiration s'est brisée. A tous s'est imposée l'alternative ou de se taire ou d'abdi- quer. Qu'elle fasse échec à la puissance de l'artiste voilà la condamnation sans appel de la scène moderne. Et cette aversion, ce dégoût que l'artiste lui témoigne en retour voilà qui achève de ravaler le théâtre présent, d'en faire, comme on l'a trop justement écrit, le plus décrié des arts Nous voulons travailler à lui rendre son lustre et sa grandeur. Dans cette entreprise, à défaut de génie, nous apporterons une ardeur résolue, une force concertée, le désintéressement, la patience, la méthode, l'intelligence et la culture, l'amour et le besoin de ce qui est bien fait. Et de qui attendrait-on pareil effort, sinon de ceux pour qui il y va de leur vie même ? non pas des trafiquants, ni des amateurs, ni d'orgueilleux esthètes, mais des ouvriers en leur art, rompus à la besogne, s'ingéniant à tout faire sortir de leurs mains et de leur cerveau, préparant les matériaux et concevant le plan selon lequel ils seront assemblés, depuis la fondation jusqu'au faîte. Puisque nous sommes jeunes encore, puisque nous avons conscience du but et des moyens pratiques de l'atteindre, n'hésitons pas. Que rien ne nous détourne plus. Laissons là les activités secondaires. Mettons-nous, d'un seul coup, en face de toute notre tâche. Il la faut attaquer à pied d'oeuvre. Elle est vaste, et sera laborieuse. Nous ne nous flattons guère de la mener à bout. D'autres que nous, peut-être, achève- LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE ront l'édifice. Essayons au moins de former ce petit noyau d'où rayonnera la vie, autour duquel l'avenir fera ses grands apports. Je n'ai pas craint de laisser paraître, dans leur ampleur, nos espérances, nos ambitions. Les premières réalisations que nous allons tenter ne supporteront point d'entrer avec elles en comparaison. De cela aussi nous avons conscience. Ayantà dire, maintenant, ce que sera le Théâtre du Vieux Colombier, j'espère gagner le lecteur au sentiment de notre modestie, et l'inviter à reconnaître que notre plan d'action, loin de se dérober aux contingences, les envisage et les affronte. LE THÉÂTRE DU VIEUX COLOMBIER I. EMPLACEMENT. ORGANISATION L'influence et la portée d'une œuvre rénovatrice sont strictement liées à sa durée. Il importe, avant tout, qu'elle vive. C'est pourquoi nous avons tenu à ce que l'équilibre de notre entreprise reposât sur une sage économie petit capitalà rémunérer, faible loyer, limitation rationnelle des frais généraux de tout ordre, des frais de première instal- lation et de ceux qui concernent le matériel de mise en scène. L'organisation de notre personnel, le recrutement de notre troupe, tout entière engagée à l'année, l'ingénieuse combinaison de nos décors, les procédés de fabrication uploads/s3/ copeau-un-essai-de-renovation-dramatique-nrf-1913 1 .pdf
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- Publié le Jui 04, 2021
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