JEUX COMMUNICATIFS ET ENSEIGNEMENT/APPRENTISSAGE DES LANGUES ÉTRANGÈRES Javier

JEUX COMMUNICATIFS ET ENSEIGNEMENT/APPRENTISSAGE DES LANGUES ÉTRANGÈRES Javier Suso López Université de Granada 1. Le jeu. Définition. Nous allons partir de la définition courante du mot jeu : «Activité récréative obéissant à certaines règles plus ou moins strictes» (Dictionnaire Flammarion,1963: 862). Selon le Petit Robert : 1. «Activité physique ou mentale purement gratuite qui n'a, dans la conscience de celui qui s'y livre, d'autre but que le plaisir qu'elle procure»; 2. «...activité organisée par un système de règles définissant un succès et un échec, un gain et une perte» (Petit Robert, 1981: 1046). Éléments communs aux deux définitions: -activité récréative, et -existence d'une série de règles de comportement La composante: gagner, vaincre n'est pas essentielle, n'est pas propre à tous les jeux. «Il existe donc différentes sortes de jeux, selon que la straté- gie dominante repose sur le hasard, la compétition, le faire-semblant ou la recherche d'un certain vertige»1. Il existe ainsi un jeu-simulation (par exemple, le Monopoly, jouer aux poupées, jouer aux médecins) où la reproduction de la réalité du monde extérieur (qui devient ainsi la source des règles, très larges donc) est placée sous l'aspect ludique. Avant de passer à une caractérisation plus profondément des divers jeux ayant 1 Voir Roger Tremblay (Université de Sherbrooke) (1988): «Pratiques communicatives. La place de la simulation dans l'apprentissage d'une langue étrangère», dans Boucher A.E. et alii, Pédagogie de la communication dans l'enseignement d'uen langue étrangère. Bruxelles, De Boeck, 109-135. comme base l'exercice de la langue (seuls jeux qui nous intéressent ici), il convient de s'arrêter un peu à la nature éducative du jeu, en général. Valeur éducative du jeu. L'importance du «jeu» n'est plus à démontrer: depuis une cinquan- taine d'années, une série d'ouvrages ont mis en relief ses différents as- pects. D'abord, quant à sa signification dans les domaines social, anthro- pologique et culturel: J. Huizinga (Homo Ludens, essai sur la fonction sociale du jeu) montre comment le jeu «acculture, socialise en enseignant la dialec- tique de la liberté et des règles, des conventions librement acceptées» (in Caré et Debyser 1978: 3)2. Roger Caillois (Les Jeux et les hommes, Paris, Gal- limard, 1958) classe l'activité ludique en quatre catégories ou familles: jeux de vertige, de simulacre, de hasard et de compétition; il en rajoute une autre un peu plus tard (dans l'Encyclopédie de la Pléiade), les jeux d'esprit et de salon: les jeux de mots appartiendraient à cette catégorie douteuse. De même, éducateurs et psychologues se sont penchés sur la valeur éducative des activités ludiques: Jean Château (Le réel et l'imaginaire dans le jeu de l'enfant, Paris, Vrin, 1946; Le jeu de l'enfant après trois ans, Paris, Vrin, 1947; voir aussi l'article de l'Encyclopédie de la Pléiade, «Les Jeux de l'en- fant») décrit les jeux de la cour et de la récréation, et classe les jeux en fonction du développement des différentes facultés: le domaine sensori- moteur, l'intelligence concrète, l'abstraction, la socialisation, la com- pétition, ou l'organisation coopérative. Claparède fait du jeu la clé de voûte de l'école active. Jean Piaget (La formation du symbole chez l'enfant, Delachaux et Niestlé, 1945; Psychologie et pédagogie, Paris, Denoël, 1969; La psychologie de l'enfant, Paris, PUF, 1966, en collaboration avec G. Inhelder) propose une classification des jeux parallèle de la chronologie génétique des stades du développement de l'intelligence (jeux d'exercice, jeux symboliques, jeux de construction, jeux de règles, résolution de problè- mes). Piaget établit une nouvelle dimension du jeu: c'est dans la relation entre activité physique (le jeu, l'imitation) et opération mentale (image, représentation) -qui est source de satisfaction et de plaisir chez l'enfant-, que se développe la fonction symbolique: le jeu est ainsi source de l'ap- prentissage de l'individu. Les jeux auraient un rôle fondamental dans l'as- similation du réel aux besoins du moi (apprentissage), mais aussi dans l'accommodation du moi au réel, c'est-à-dire aux contraintes objectives de l'environnement naturel, et donc de la mise en place de l'intelligence (dont 2 Nous avons pris l'article introductif de F. Debyser: «Les jeux du langage et du plai- sir», in J.M. Caré, F. Debyser: Jeu, langage, créativité. Les jeux dans la classe de français, Paris, Hachette-Larousse, 1978, p. 1-12, comme point de départ de notre réflexion. l'intelligence émotionnelle) et de l'équilibre affectif et intellectuel. Jérôme Bruner poursuit la voie ouverte par Piaget dans la question du jeu; il limite quant à lui la pression du besoin dans l'apprentissage3, et développe le rôle du jeu imitatif, qui est quelque chose de très sérieux pour l'enfant (1987). Le jeu est le lieu d'une assimilation, mais surtout le lieu d'un dialogue avec l'autre (les autres), interaction d'où surgit la nomination et le langage (sous forme de routines d'abord, qui seront réintroduites et réorganisées dans d'autres contextes). Quant au psychanalyste D.W. Winicott (1975), il établit que le jeu existe comme espace «potentiel», c'est-à-dire comme une aire d'expérience, ni interne ni extérieure, mais intermédiaire, ou «transitionnelle», fon- damentale pour le développement de la maturité de l'enfant (l'affectif, la bonne santé émotionnelle) et de l'acquisition de l'expérience culturelle (le cognitif, la capacité créatrice). Le couple piagétien «association-adap- tation» est totalement libéré d'un quelconque déterminisme, et devient créativité: si le jeu se met en place dans une aire intermédiaire de la réalité, il n'est plus activité, mais plutôt une façon d'être, une signification atmos- phérique où le sens se présente autrement que dans les cas régis par le modèle de l'information. Même si à l'intérieur du jeu, le sens se fragilise, devient illusion, il permet d'accéder à la créativité: «c'est en jouant, et seulement en jouant, que l'individu, enfant ou adulte, est capable d'être créatif et d'utiliser sa personnalité toute entière. C'est seulement en étant créatif que l'individu découvre le soi» (1975: 76). Pour Vygotsky, le jeu se déroule dans une zone d'expérience proche de la réalité, régie par des rè- gles précises qu'il faut suivre, zone qui concentre symboliquement la vie elle-même. Dans cette brève présentation, il faut encore mentionner Ludwig Wittgenstein (Investigations philosophiques, 1945, trad. fr. Gallimard, 1961), qui a aidé d'une manière générale «à ne pas penser la langue comme une machine structurelle, mais le langage comme un lieu de glissement de sens» (en F. François, Pratiques de l'oral, Paris, Nathan, 1993: 72). Jeu est, pour Wittgenstein, toute activité où les messages linguistiques prennent sens à partir de la complexité du milieu où ils apparaissent: «La expresión juego de lenguaje, debe poner de relieve aquí que hablar es parte de una actividad, de una manera de vivir. Imagínate la variedad de 3 Bien que le processus accomodation-assimilation de Piaget soit loin du darwinisme et du bio-psychologisme, il n'y a qu'un pas pour transformer l'équation en: adaptation, sélection du meilleur. juegos de lenguaje con ayuda de estos ejemplos y de otros: ordenar o actuar según órdenes; describir un objeto en virtud de su apariencia o sus medidas; fabricar un objeto a partir de una descripción; hacer una hipótesis y some- terla a prueba; representar mediante gráficos o diagramas los resultados de una experiencia; inventar una historia; hacer teatro; cantar rondas; adivinar enigmas; pedir; agradecer; saludar; rezar una oración» (in AA.VV.: Propuesta de Secuencia Lenguas Extranjeras, MEC 1992: 138). Ainsi, il existe un lien profond entre le langage et le jeu pour l'enfant: l'acquisition/développement du langage chez l'enfant ne peut se produire sans des modifications ou des déplacements de sens des mots qu'il reçoit, et en cela, les mots d'enfants sont nécessairement créatifs. L'enfant qui uti- lise le langage est «forcé à jouer»: «le langage est fait de telle façon que l'on ne peut l'apprendre qu'en l'utilisant» (in F. François 1993: 82); c'est-à-dire l'ensemble de sens possibles qu'est le langage ne préexiste pas comme structure, que l'enfant pourrait assimiler et intérioriser peu à peu. L'enfant ne peut apprendre le langage que se jetant à la piscine du langage, et jouant le mieux qu'il peut avec le sens des mots. 2. Les jeux linguistiques. Si les rapports entre le langage (la parole) et la fonction ludique ont été mis en évidence, par ces travaux de psychologie génétique, de psycholin- guistique ou de philosophie, il est choquant que les linguistes se soient maintenus longtemps à l'écart de l'exploration de cet univers. Comme l'indique Francis Debyser, «notre culture contemporaine [des années soixante et soixante-dix] était imprégnée de néo-positivisme rationaliste, c'est-à-dire d'utilitarisme et d'esprit de sérieux» (1978: 4). Le langage était prisonnier de la linguistique structuraliste et fonctionnelle: ainsi, n'étaient considérés les jeux linguistiques que s'ils étaient sublimés par leur élévation au rang de la fonction poétique: seront objet de vénération la poésie surréaliste, et d'une manière générale tout ce qui a l'air de créativi- té, de fantaisie (l'Oulipo), de figures de diction (métaphores), ou encore d'exercice de style (Raymond Queneau). Selon cette logique, seront méprisés comme sous-culture et catalogués -par l'institution sociale qu'est la littérature4- comme divertissements langagiers déviants, subversifs, bi- 4 Dans l'article cité, F. Debyser met en relief l'attitude ambivalente de Pierre Guiraud (Les jeux de mots, Paris, PUF, 1976) à l'égard des jeux de mots, qui témoigne une franche sympathie de linguiste envers eux, mais à la fois en faisant uploads/s3/ jeux-communicatifs.pdf

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