Correspondance avec Vasile Lovinescu, René Guénon, non publié, 1934- 1940 p. 30

Correspondance avec Vasile Lovinescu, René Guénon, non publié, 1934- 1940 p. 30 Le Caire, 6 juin 1937 Cher Monsieur, J’ai été heureux de recevoir votre lettre jointe à celle de M. Vâlsan ; j’ai répondu à celui-ci il y a une semaine environ, et je lui ai dit que je tâcherais de ne pas trop tarder à vous écrire également. – Quand vous le reverrez, vous serez bien aimable de lui dire que j’ai reçu, dans le dernier envoi de Chacornac, le livre de Vulpescu sur les coutumes roumaines qu’il m’avait annoncé ; je crois comprendre, d’après cela, qu’il avait dû le remettre à M. Clavelle avant son départ de Paris. Pour l’affaire d’Alî Abdul-Haqq, je crois que vous avez bien fait de mettre M. Vâlsan au courant, mais aussi de n’en parler à personne d’autre, tout au moins jusqu’à nouvel ordre. De mon côté, je n’en ai parlé qu’à M. Clavelle, et encore n’est-ce qu’après que vous y aviez fait vous-même allusion en lui écrivant, ainsi que je vous l’ai dit dans ma dernière lettre. À la suite des nouvelles réponses dont vous me parlez cette fois, cette affaire change quelque peu d’aspect, sans en devenir plus claire pour cela : cette recommandation inattendue de la lecture de mes ouvrages semble en effet exclure l’hypothèse d’une “contrefaçon”, à moins pourtant qu’on ait pensé qu’il serait trop facile de s’en apercevoir et que, à cause de cela, on ait jugé préférable de prendre les devants… Mais la question est de savoir dans quel sens et avec quelles intentions on veut ainsi “utiliser” mes ouvrages, et c’est sur ce point qu’il y a des indices peu rassurants, comme le recrutement dans un milieu aussi peu favorable que celui dont il s’agit, par exemple. À ce propos, pourriez-vous me donner un peu plus d’explications sur ce projet de “cercle d’études” et de publication d’une revue que me signale M. Vâlsan ? – En tout cas, il me semble que, si Alî Abdul-Haqq pense de moi ce qu’il dit, il devrait chercher à se mettre en rapport avec moi, et que, s’il est vraiment ce qu’il prétend, cela ne devrait pas lui être très difficile ; pourquoi ne le fait-il pas ? Je me demande s’il ne serait pas possible de lui faire poser une question plus ou moins dans ce sens, mais je ne sais pas au juste sous quelle forme ; qu’en pensez-vous ? Je ne vois pas d’expression traditionnelle qui puisse se rendre littéralement par l’“Unique Maître” ; à la rigueur, cela pourrait être pris pour un équivalent approximatif de certaines désignations du “Pôle” ; mais je ne m’explique pas très bien ce qu’une allusion au Christ vient faire ici ; cela aurait en tout cas grand besoin d’être précisé davantage… La pratique du rituel orthodoxe, en tant qu’elle constitue un rattachement à une tradition exotérique, est assurément beaucoup mieux que rien du tout ; mais où peut-elle mener en la circonstance ? Si d’autre part on assure qu’il n’y a plus d’initiation dans le Christianisme, il viendra toujours un moment où la question se posera du rattachement à une autre forme traditionnelle pouvant fournir la base d’une réalisation initiatique ; et alors les liens établis ou renforcés par ladite pratique ne se trouveront-ils pas constituer un obstacle ? Il y a là quelque chose qui peut paraître plus ou moins contradictoire ; peut-être pourrait-on voir un peu ce qu’il y a au fond en demandant s’il peut y avoir une initiation qui ne se rattache pas à une forme traditionnelle déterminée, ou qui se concilie avec des pratiques appartenant à une autre forme ? Excusez ces quelques réflexions faites à la hâte en attendant mieux. – Je n’ai pas encore eu le temps d’examiner les notes que M. Vâlsan m’a envoyées… Croyez, je vous prie, cher Monsieur, à mes sentiments les meilleurs. René Guénon uploads/s3/ correspondance-avec-vasile-lovinescu-rene-guenon-6-juin-1937.pdf

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