Huit thèses pour (ou contre ?) une semiologie de la peinture Hubert Damisch Rap

Huit thèses pour (ou contre ?) une semiologie de la peinture Hubert Damisch Rapport général présenté au premier Congrès de l'Association Internationale de Sémiotique. Milan, 2-6 juin 1974. (1) "Y a-t-il une vérité de la peinture ou, suivant le mot, I'énoncé délibérément ambigu de Cézanne : "je vous dois la vérité en peinture et je vous la dirai" , y a-t-il une vérité en peinture ? Et cette vérité, vérité de la peinture, vérité en peinture, appartient-il au sémiologue, sinon de la dire peut-être ne saurait elle l'être, dite, cette vérité qu'en peinture ?, au moins de l'inscrire dans le registre théorique, d'en désigner le lieu d'émergence, d'en définir les conditions d'énonciation par référencé à l'objet "Peinture" tel qu'il travaille pour sa part et selon ses moyens à le constituer en tant que domaine, champ ou mode spécifique de production d'un sens lui-même spécifique ? Outre qu'elle ne se laisse pas dissocier d'une interrogation plus fondamentale portant sur la "nécessite" de l'art (nécessité dont louri Lotman a su montrer qu'elle était liée à la structure même du texte artistique, à son organisation interne , la question n'est pas déplacée, s'agissant d'introduire à quelques remarques d'ordre très général sur une sémiologie de la peinture considérée comme possible, dès lors qu'une bonne part du travail, de la réflexion, de l'analyse, de la critique sémiologique appliquée aux productions des arts visuels peut paraître tendre au contraire à en interdire l'avancée : sauf pour le sémiologue, dans le meilleur des cas, à reconduire à ses déterminations idéologiques profondes l'exigence de "vérité" qui se fait jour, par intervalles, dans le champ pictural, sous des espèces et à des niveaux variables (et sous l'espèce, par exemple, chez les initiateurs de la Renaissance, de l'adhésion au modèle optique de la vision ; mais aussi bien, à un autre niveau, celui de la "sensation", colorée et colorante, signifiée et signifiante, par l'assignation à la peinture, chez Cézanne lui-même, d'une valeur de dénotation au sens de Frege). n importe de voir (de voir et non seulement d'entendre) que cette question de la vérité de la peinture, de la vérité en peinture (qui est tout ensemble question de la vérité dans la peinture et question de la vérité de l'effigie, de la vérité en effigie) est au centre du débat auquel donne lieu, aujourd'hui, le projet, sinon les quelques très rares développements d'une sémiologie des arts visuels, et d'abord - mais cet ordre de priorité, dans sa double détermination logique et idéologique, fait lui-même problème - d'une sémiologie de la peinture, et comment elle confère~ à ce débat une portée qui excède largement les limites du champ spécialisé sous la rubrique duquel il s'annonce. (2) Le projet d'étudier la peinture comme un système de signes aura d'abord répondu au souci d'atteindre, par la définition simultanée de l'objet d'une sémiologie de la peinture et des procédures d'analyse qui la constitueraient comme telle, à une vérité d'ordre scientifique touchant la production picturale. Dans une perspective saussurienne, et prenant modèle sur le "patron" linguistique, ce projet conduit, dans sa formulation initiale, à introduire dans le tout hétérogène des faits de "peinture'' (hétérogène en cela que ces faits relèvent des domaines d'enquête les plus &vers: cosmétologie, chimie des couleurs, optique géométrique et/ou physiologique, théorie des proportions, psychologie de la perception, mais aussi bien mythologie comparée, symbolique générale, iconographies particulières, etc...) une première découpe à partir de laquelle cet ensemble hétéroclite se laisserait penser dans sa cohérence : tel déjà le langage, une fois le partage opéré entre la masse des faits de parole et le registre de la langue, du système auquel ces faits devraient être rapportés comme à leur norme. Quelque forme que revête l'opposition ainsi marquée entre les deux registres, et si sophistiqué qu'en puisse être l'énoncé 1' "art" pensé sous le titre d'une déviation conséquente par rapport à la norme, prise comme catégorie sémiotique (D. Uspenskij), la "langue" de la peinture fragmentée, disséminée en une multiplicité de systèmes partiels, de codes d' "invention'' et de lecture (P. Francastel), le système du tableau distingué des structures de la figuration et l'objet "Peinture" visé au travers et à partir du texte qui le prend en charge et l'articule (J.-L. Schefer) -, il s'agira toujours de dessiner une surface de clivage entre la performance que représente l'uvre (le "chef d'uvre"), et~le réseau, sinon le système des compétences que met en jeu son déchiffrement, son interprétation, et cela lors même que l'on pose que 1' "art" n'est jamais donné à part des uvres singulières, que sa signifiance ne renvoie à aucun code ou convention reçus, et que les relations signifiantes du "langage artistique" sont à découvrir à l'intérieur d'une composition donnée (Benveniste, et dans le même sens Schefer: "11 n'y a système que du tableau"). La question demeurant entière de la nature, du statut, de l'articulation des "signes" dont s'instruit et sur lesquels s'oriente la lecture, que celle-ci tâche ou non à les constituer, dans l'ordre déclaratif, en système. Dans l'énoncé de ce projet - étudier la peinture, les uvres de peinture (suivant la formule, elle aussi délibérément ambiguë, de Francastel) comme un système de signes - on soulignera successivement système et signes, pour bien faire apparaître (a) que si la peinture se laisse analyser en termes de système(s), système n'est pas nécessairement a entendre comme système de signes et, (b) que si la problématique du signe peut se révéler pertinente en la matière, à son niveau et dans ses limites propres, c'est peut-être dans la mesure où la notion de signe se laissera disjoindre de celle de système (et réciproquement). Sauf peut-être pour nous à travailler à imposer une autre notion du signe, une autre notion du système que celles que toute la tradition d'Occident aura régulièrement associées à la possibilité de découper un ensemble, une structure articulée, en éléments discrets, en unités identifiables comme telles. (3) Dans un registre qui n'a cette fois plus rien de théorique, mais qui n'en correspond pas moins à la pratique de fait de l'historien ou du "connaisseur", on conviendra qu'il n'est pas de lecture, ni même de première appréhension d'un tableau, d'une fresque, d'un ensemble décoratif, etc..., qui ne prenne appui sur un certain nombre de traits, marques ou éléments discrets, qui se présentent comme autant d'unités perceptives (ou "imageantes") éventuellement combinées en syntagmes immédiatement donnés pour tels, et dont certains, par leur récurrence à travers une série d'uvres donnée, s'ordonnent en une façon de répertoire, plus ou moins fourni, qu'on tiendra pour caractéristique d'un artiste, d'une école, d'une époque, voire d'une culture. Tous traits ou éléments, voire syntagmes, qui ne sont certes pas tous de même ordre ni de même niveau, pas plus qu'ils ne sont en nombre fini: telles les figures, représentatives ou non, qui se laissent reconnaître dans le champ pictural, les motifs, attributs ou marques (attitudes, gestes, expressions, voire couleurs, traitement, etc.) dont le discours iconographique fait sa pâture, mais aussi bien les indices qui en appellent à l'attention du connaisseur en quête d'attributions fondées (et l'on se souviendra ici de l'analogie marquée par Freud entre la méthode du connoisseurship telle que l'avait définie Giovanni Morelli et celle de l'analyste qui, comme le connaisseur, en est réduit à travailler sur des données en apparence dérisoires, marginales, quelque chose, disait Freud, comme le rebut de l'observation , et jusqu'aux tracés, touches, empreintes, qui paraissent retenir, au titre d'index, quelque chose du travail dont l"oeuvre est le produit. Sans compter les lettres, chiffres, inscriptions, phylactères, légendes, titres, signatures, etc., que l'uvre exhibe, le cas échéant, dans ses limites propres ou sur sa périphérie, et qui produisent, dans le contexte même d'une saisie qui se voudrait strictement sensible, "esthétique", un effet spécifique de lecture, ou pour paraphraser Paul Klee, un premier "acquiescement au signe": la coexistence dans le cadre d'une même composition, ou dans sa proximité immédiate, d'élements de nature iconique ou indicielle, et de données proprement symboliques (quand l'image ne se présente pas comme liée explicitement au texte, donné ou non in presentia, qu'elle illustre : voir à ce sujet le travail récent de Meyer Schapiro sur l'image liée au mot, the word-bound image , manifeste assez que si l'on peut prétendre avec Benveniste que c'est la langue - s'entend la langue "naturelle" - qui confère à l'ensemble "peinture" (ou "tableau"), en l'informant de la relation de signe, la qualité de système signifiant , cette relation n'en joue pas moins, préalablement a toute lecture, à toute interprétation, à l'intérieur même de cet ensemble, ou tout au moins dans son espace de définition. Restant à savoir si les éléments proprement perceptifs, formes et/ou figures, peuvent en toute rigueur être qualifiés d'unités, au sens sémiotique, en dehors ou abstraction faite de l'opération qui les déclare, ou encore, dans les termes de Peirce, si le reprensentamen a ou non qualité de signe indépendamment de l'interprétant verbal qu'il détermine. (4) Tout système signifiant doit se définir par le mode qui est sien de signifier. Il reste qu'à poser,comme le fait Benveniste, qu'il faut en conséquence à ce système "définir uploads/s3/ damisch-huit-theses-pour-une-semiologie-de-la-peinture 1 .pdf

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