Daniel Enkaoua Essentiel Tout d’abord, aller à l’essentiel. La peinture de Dani

Daniel Enkaoua Essentiel Tout d’abord, aller à l’essentiel. La peinture de Daniel Enkaoua est une peinture spirituelle. Je dirais même : d’un haut degré de spiritua- lité. Ce sont des visions, arrachées au temps, par un travail technique d’une grande endurance. Et données au regard par une pulsion de couleurs qui est au moins autant le rendu du soleil qu’une énergie de vie et d’amour. Une contemplation longue et courageuse du mystère — du mystère qui est là —, en même temps qu’une joie humble et reconnaissante pour la forme, pour la beauté du monde, de ses fruits, de ses paysages et de ce qui en résume tout : le visage humain. Si l’on interrogeait la mémoire d’un miroir, en lui demandant, quand il est vide et sombre : montre-nous ce que tu as gardé dans ton fond obscur des visages qui un jour sont passés devant toi — le miroir nous montrerait quelque chose qui ressemble à une peinture de Daniel En- kaoua. Une image libérée de l’espace et qui flotte ou scintille, comme un hologramme, dans l’atmosphère silencieuse de la mémoire. Technique La technique est sans aucun doute virtuose. Juxtaposition et super- position très patientes de touches paradoxalement vives et rapides, couleurs et lumières indirectement obtenues par de savantes et par- fois peu conventionnelles associations de valeurs. Elle est virtuose et savante, oui. Elle peut épater. Elle force certai- nement le respect et l’admiration. Mais ce qui est beaucoup mieux, c’est qu’elle n’a, en fin de compte, plus aucune importance. Parce qu’elle disparaît totalement dans ce qu’elle permet de faire appa- raître. C’est la raison et le secret d’une peinture au-dessus des reven- dications d’école et de toute arrogance. (Qu’on ne vienne pas me parler, cent cinquante ans après, d’impressionnisme !) Ce n’est plus une technique. C’est un sentiment et une volonté créatrice. Un accord atteint entre ce qui fait le monde et ce qui fait la peinture. Sur quelques tableaux de Daniel Enkaoua Exposition Daniel Enkaoua 13.03 – 15.05.2013 Du mardi au samedi > 14h00-18h00 ou sur rendez-vous DIRECTION Esther Verhaeghe info@estherverhaeghe.com PHOTOGRAPHIES Gasull Fotografia, Barcelona CONCEPTION GRAPHIQUE Pascal-Emmanuel Lambiotte www.inoctavo.be Imprimé à Wavre, 2013 La technique, chez Enkaoua, comme il se doit, est au tableau ce que la voix est à la parole. La voix est travaillée, belle, chaude, singulière, parfois cassante, vibrante, parfois même efrayée, mais surtout elle rend possible une parole. Elle la fait apparaître. La voix devient sens, partage : parole. Durable. La voix est encore un animal temporel, mais avec la parole, la voix disparaissante a engendré ce qui dure et se maintient, ce qui modifie le passage du temps, ce qui ne s’y soumet pas. C’est ce que l’on doit exiger d’une technique : qu’elle engendre une parole, et qu’elle soit le plus parfait moyen d’expression possible de son engendrement. La technique, dans le contemporain, bien entendu, ne doit plus être appréhendée comme une situation dans l’histoire de l’art, mais comme la recherche et l’assumation du timbre juste de la voix, qui rend audible la parole, signifiante et porteuse. Figuration, transfiguration Je pose une pomme sur la table, dit le poète. Je la regarde. Je rentre dedans. Quelle tranquillité ! Ce que dit le poète, le peintre peut le faire. Ainsi ces fameux Quatre coings, qui sont une grande chose. Ou les quasiment mys- tiques Tomates Montserrat, cultivées dans le meilleur « chardin ». On ne peut peindre les choses de l’intérieur qu’à une double condition, qui est une manière de vivre : tout voir comme une de- meure, et se sentir un habitant du tout. De ces deux conditions découle une position morale : l’humilité. Car on ne peut habiter qu’en se faisant plus petit que ce qu’on habite. De cette position morale découle encore la proximité de l’artiste et du mystère du monde. Car c’est en se faisant habitant de toute chose, qu’on voisine ce qui, précisément, hante toute chose : cet es- prit inconnaissable et omniprésent. Bien sûr il faut un don et du talent, pour tout cela. Mais il faut aussi, en plus et dans la continuité, dans le prolongement, un engage- ment total de la volonté et de l’existence, une générosité, dont le sacrifice est grand, courageux et difcile, et dont la récompense est cela, infime : une grâce qui touche le cœur en secret et qui vibre, oferte aux yeux et réciproque, dans l’aura du tableau. De l’image. rue Mignot Delstanche 51 1050 Brussels – Belgium T. 00 32 476 28 37 35 info@estherverhaeghe.com www.estherverhaeghe.com ESTHER VERHAEGHE A R T C O N C E P T S 3 Portrait Natan 2012-13 18,7 cm x 26,5 cm Huile sur toile marouflée sur bois — 3 — 3 Aure et le manteau de Sarah 2012-13 195 cm x 114 cm Huile sur toile COUVERTURE Visage de ce qui est La célébrité d’Enkaoua tient à ses portraits, en pied ou de visage. Ce qui me semble tout à fait justifié. Mais quelle place attribuer alors à ses natures mortes et à ses paysages ? À mon avis, exactement la même. Je vais essayer de m’expliquer. L’œuvre d’Enkaoua joue très peu le jeu de l’idée. J’entends par idée quelque chose d’assez négatif, en art, et qui est un message ou une interprétation non représentés et fixés d’avance, éventuelle- ment déclarés dans le titre, et auxquels la peinture sert, un peu vile- ment, un peu mécaniquement, d’illustration plus ou moins surpre- nante. Cela arrive, tout de même : par exemple, L’Origine du monde (absent de cette exposition), grand tableau qui montre un chou et un poireau et qui, heureusement, en dépit du titre et de la référence ironique à Courbet, est un tableau d’une très grande douceur — belle œuvre, à laquelle il ne manquerait rien si elle perdait son titre. Car l’idée est un programme et elle asservit l’image. L’idée est une force qui consolide de l’extérieur, comme un échafaudage, et qui, pa- radoxalement, afaiblit l’œuvre. Quand elle ne prouve pas, carrément, sa faiblesse intrinsèque. Cette manie de l’idée, qui est à mon sens la lèpre de l’art contemporain, l’œuvre de Daniel Enkaoua en est merveil- leusement, miraculeusement, dépourvue. C’est de l’art qui parle dans le silence, pas de l’art qui répond, qui illustre, qui rigole ou qui répète. L’art silencieux d’Enkaoua regarde, regarde avec insistance, jusqu’à ce que cela qu’il regarde devienne une présence regardante. D’où, bien sûr, le caractère à la fois vu et voyant de ses portraits. Cette proximité parfois avec la formidable présence également re- gardante, vigilante, des portraits du Fayoum ou avec d’autres œuvres antiques, romaines et byzantines en particulier (Sara, 2012 ; ou le spectaculaire Natan regardant la palette, 2012). C’est un art qui s’enclenche quand le peintre se découvre vu par ce qu’il voit. Quand il a dégagé, de ce qu’il contemple, l’être animé et voyant. C’est une découverte qui n’est ni facile ni rassurante. Qui contient même une forme de violence, comme un retour de manivelle. Le re- gard s’enfonce dans ce qu’il voit, jusqu’à ce que soudain, brusque- ment, par efet d’écho, par efet boomerang, par répercussion ou par révélation, un regard se jette sur lui. Pour mieux rendre la stupéfaction de cette découverte du retour du regard, il faudrait peut-être la comparer à la surprise inévitable de quelqu’un qui, à tâtons dans une pièce obscure, cherche l’interrup- teur qui commande un spot qu’on sait par avance, par expérience, aveuglant. Ce flux soudain de la lumière provoque un émerveille- ment et un éblouissement magnifique et douloureux. Quoi de plus frappant, à cet égard, que l’immense et désempa- rante absence émanant du Gilet rouge, 2003. D’accord avec cette lecture de l’art d’Enkaoua comme la re- cherche et la représentation d’un regard venant vers le spectateur, toute son œuvre se rapporte à une énergie dominante : la révélation de ce qui, depuis ce qui existe, nous regarde. Il est alors bien compréhensible que cette recherche se soit d’abord et le plus explicitement manifestée dans la peinture de ce qui, par excellence, regarde : la figure humaine et, singulièrement, son visage. (Au passage, je note qu’il ne s’agit pas seulement de montrer le regard par les yeux qui regardent, lesquels sont souvent, d’ailleurs, voilés : c’est toute l’image qui regarde.) Et il s’ensuit aussi, avec la même évidence, que c’est essentielle- ment la même chose que le peintre réalise quand il peint une chaise vide, une humble table de cuisine, une botte de céleri. Ou, jusqu’à un stade alors totalement sublime, un vaste paysage. Parvenant à élar- gir, à tout ce qui est, la force et la vertu du visage. À mes yeux, un paysage d’Enkaoua, c’est un portrait, tout aussi bien. Car la terre peinte a la dignité d’un visage. Prière J’ajoute, en coda, une brève remarque sur l’un des afects qui m’impressionne le plus dans l’expressivité des toiles regardantes d’Enkaoua : la supplication. Le regard que le peintre découvre chez toutes ces choses qu’en principe il connaît si bien, qui lui sont si proches (son épouse, ses enfants, ses objets, uploads/s3/ daniel-enkaoua-catalogue-final-version-pdf.pdf

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