Arthur Danto, « Le monde de l’art » (« The Artworld », 1964) in Danielle Lories
Arthur Danto, « Le monde de l’art » (« The Artworld », 1964) in Danielle Lories (éd. et trad.), Philosophie analytique et esthétique (1988) La théorie de l’art de Danto est une théorie ontologique au sens où elle affirme qu’il y a un monde de l’art qui pourrait être compris comme horizon de sens à l’intérieur duquel quelque chose est compris comme étant de l’art. Le monde de l’art est peuplé d’œuvres d’art (n’importe leur valeur, n’importe la manière dont elles se manifestent), de personnes (artistes ; spécialistes de l’art : critiques d’art, philosophes de l’art ; un public ; n’importe qui a une idée de l’art, systématique ou non, petite une grande ; minimaliste ; une théorie). Le statut ontologique de l’œuvre d’art est double : c’est d’abord un objet de ce monde (si c’est un objet) et en même temps un objet du monde de l’art. Le monde de l’art n’est ni transcendant ; ni parallèle au monde (à notre monde). Le monde de l’art est intérieur, immanent au nôtre. Les œuvres d’art ne possèdent pas toutes une essence (des qualités ; des traits nécessaires et suffisants) qui leur permettent d’être distinguées des objets réels (les objets de notre monde). Certaines sont même identiques, parfaitement identiques avec les objets réels. D’ailleurs, la réflexion de Danto, est engagée à partir d’objets indiscernables, identiques au point de vue de leurs qualités apparentes, sensibles, visibles, esthétiques (au point de vue étymologique du mot « esthétique », i. e. « ce qui tombe sous les sens). Leur simple inspection n’instruit pas sur leur identité, sur leur appartenance ou non à l’art. Donc la théorie de Danto est, comme la théorie de Weitz (et comme la théorie de Dickie) anti-essentialiste. L’idée majeure de l’article est que voir quelque chose comme une œuvre d’art (pouvoir donc identifier quelque chose comme une œuvre d’art à travers une affirmation explicite ou non comme « Ceci est une œuvre d’art ») requiert « quelque chose que l’œil ne peut pas apercevoir » : « une théorie »… Au sens étymologique « théorie » a partie liée avec « vision » ; réfère à une manière de voir. Notre œil quand il se pose sur un objet n’est pas innocent (necunoscător). Il est habité par tout un savoir-voir, par des expériences esthétiques, par des « modèles culturels », pourraient dire certains théoriciens. Quand on décrit un paysage de nature comme une peinture, c’est que notre expérience de la peinture a déjà modifié notre perception du réel. Ce n’est pas l’objet qui nous dit qu’il est une œuvre d’art, c’est dans notre regard qu’il le devient ; c’est notre regard qui transforme, qui « transfigure » le banal en art. Danto expose sa théorie dans un livre qui s’appelle La Transfiguration du banal. La « théorie » dont parle Danto ne doit pas être comprise uniquement dans son sens fort. Elle ne doit non plus être considérée le seul domaine des spécialistes. Il suffit d’un apprentissage minimal culturel (par exemple : observer une certaine conduite envers les objets artistique – par exemple : ne pas s’asseoir sur les Lits de Rauchenberg puisque on n’utilise pas les œuvres d’art pour dormir sur elles…) pour être capable d’utiliser le « est » de l’identification artistique i. e. identifier quelque chose comme étant de l’art. Extraits C’est la théorie qui rend l’art possible ; un objet banal devient, grâce à une théorie, un objet artistique ; c’est le regard informé par une théorie qui constitue un objet banal en objet artistique • […] distinguer les œuvres d'art d'autres choses n'est pas une affaire si simple […] et de nos jours quelqu'un ne pourrait pas avoir conscience d'être dans le lieu de l'art sans une théorie artistique pour le lui dire. Et la raison en est pour une part que le lieu est assigné à l'art en vertu de théories artistiques, de sorte qu'un des usages des théories, outre qu'elles nous aident à discerner l'art du reste, consiste à rendre l'art possible. Une théorie qui fait voir quelque chose comme une œuvre d’art ; les postimpressionnistes • […] l'avènement des peintures postimpressionnistes. Selon les termes de la théorie artistique qui prévalait (TI), il était impossible d'accepter ces peintures comme art, sinon comme art inepte : autrement dit, on pouvait les disqualifier comme des mystifications, des autopublicités, ou des contreparties visuelles de délires de fou. Aussi les faire accepter comme art, ou sur le même pied que la Transfiguration (pour ne pas parler d'un cerf de Landseer), ne requérait pas tant une révolution dans le goût qu'une révision théorique de proportion assez considérable. Le résultat de l'acceptation de la nouvelle théorie ne fut pas seulement que les peintures postimpressionnistes furent adoptées comme art, mais aussi que nombre d'objets (masques, armes, etc.) furent transférés des musées d'anthropologie (et de divers autres lieux) dans les musées des beaux-arts, alors qu'inversement […] rien ne dut être sorti du musée des beaux-arts […]. De la TI à la TR • Certes, je déforme en parlant d'une théorie : historiquement, il y en eut plusieurs, et chose assez intéressante, toutes plus ou moins définies en termes de la TI. Les complexités de l'histoire de l'art doivent céder devant les exigences de l'exposé logique, et je parlerai comme s'il y avait une théorie de remplacement, en compensant partiellement la fausseté historique par le choix d'une théorie qui fut réellement énoncée. Selon cette théorie, on n'avait pas à comprendre les artistes en question comme imitant sans succès des formes réelles mais comme en créant avec succès de nouvelles, tout aussi réelles que les formes dont on pensait que l'art ancien, dans ses meilleurs exemples, les imitait de façon crédible. L'art, après tout, fut longtemps pensé comme créateur (Vasari dit que Dieu fut le premier artiste), et l'on eut à expliquer les postimpressionnistes comme d'authentiques créateurs, visant, dans les termes de Roger Fry, « non à l'illusion mais à la réalité ». Cette théorie (TR) a suscité tout un nouveau mode de regard sur la peinture, ancienne et nouvelle. En effet, on pourrait presque interpréter le dessin brut chez Van Gogh et Cézanne, la dissociation de la forme et du contour chez Rouault et Dufy, l'usage arbitraire des plans de couleur chez Gauguin et les Fauves, comme autant de manières d'attirer l'attention sur le fait que ce sont là des non-imitations, intentionnellement destinées à ne pas tromper. Une théorie ontologique de l’art ; l’art jouit d’un statut ontologique à part entière (c’est une nouvelle contribution au monde) • Logiquement, ce serait en gros comme imprimer « Monnaie Non Légale » au travers d'un billet de banque brillamment contrefait, l'objet résultant (la contrefaçon avec l'inscription) devenu ainsi incapable de tromper quiconque. Ce n'est pas un billet d'un dollar qui fait illusion, mais il ne devient pas non plus, simplement parce qu'il est non trompeur, un vrai billet d'un dollar. Il occupe plutôt un espace nouvellement ouvert entre objet réel et fac-similés réels d'objets réels : c'est un non-fac-similé, si l'on veut un mot, et une nouvelle contribution au monde. Est – de l’identité ; de l’existence ; de l’identification ludique ou artistique/ de l’interprétation : voir quelque chose comme de l’art c’est maîtriser le est de l’interprétation artistique • Il y a un est figurant, de manière prédominante, dans les énoncés concernant les œuvres d'art et qui n'est le est ni de l'identité, ni de la prédication ; et il n'est pas non plus le est de l'existence, de l'identification, ni quelque est particulier fait pour servir une fin philosophique. Néanmoins, il est d'usage commun et est facilement maîtrisé par les enfants. Il s'agit du sens de est selon lequel un enfant à qui l'on montre un cercle et un triangle et à qui l'on demande lequel est lui-même et lequel est sa sœur indiquera le triangle en disant : « c'est moi » ; ou, pour répondre à ma question, la personne à côté de moi indique l'homme en pourpre et dit : « celui-là, c'est Lear » ; ou au musée, j'indique, à l'intention de mon compagnon, une tache dans la peinture qui se trouve devant nous et je dis : « cette éclaboussure blanche, c'est Icare ». • […] maîtriser le est de l'identification artistique et par là constituer ceci en œuvre d'art. S'il ne peut accomplir cela, il ne regardera jamais d'œuvres d'art : il sera comme un enfant qui voit des bâtons comme des bâtons. • Voir quelque chose comme de l'art requiert quelque chose que l'œil ne peut apercevoir — une atmosphère de théorie artistique, une connaissance de l'histoire de l'art : un monde de l'art. Les boîtes de Brillo d’Andy Warhol (les objets artistiques à partir desquels est engagée la réflexion de Danto sur le statut ontologique des œuvres d’art) • Monsieur Andy Warhol, l'artiste Pop, expose des fac-similés de boîtes de Brillo entassées les unes sur les autres, en piles bien ordonnées, comme dans l'entrepôt d'un supermarché. Il arrive qu'ils soient en bois, peints pour uploads/s3/ danto.pdf
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- Publié le Dec 07, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
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