ENSEMBLES, MOUVANCE ET SYSTÈME D Survivance de François Tosquelles Pascale Moli

ENSEMBLES, MOUVANCE ET SYSTÈME D Survivance de François Tosquelles Pascale Molinier ERES | « Empan » 2014/4 n° 96 | pages 42 à 46 ISSN 1152-3336 ISBN 9782749241913 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-empan-2014-4-page-42.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © ERES | Téléchargé le 22/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 152.171.31.116) © ERES | Téléchargé le 22/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 152.171.31.116) ensembles, mouvance et système D survivance de François tosquelles Pascale Molinier Lors des « nouvelles premières rencontres » de saint-alban en 1986, François tosquelles conclut une allocution en disant : « J’aimerais bien que l’on essaie un petit peu de mettre en lumière cette histoire de “Qu’est-ce que cela veut dire que le Collectif de soins ?” Pour les uns et pour les autres. Je n’ai pas une opinion très… je n’ai jamais parlé de Collectif, moi. J’ai parlé des structures, des ensembles, mais le Collectif, je ne sais pas qu’est-ce-que-c’est 1. » Dans De la personne au groupe, il dit également : « Dans les groupes de soins, on bricole et on braconne. Dans les deux cas, on rassemble des éléments – qui apparaissent d’une façon disparate – dans les ensembles, d’autant plus qu’il n’y a jamais d’élément qui ne soit déjà surgi en tant que forme dans un ensemble qui comporte un fond 2. » À quoi cette référence aux « ensembles » peut-elle nous servir aujour- d’hui pour penser les collectifs de soin ? UNE PRATIQUE INSTITUTIONNELLE CONÇUE COMME UNE GESTALT Forme et fond : un ensemble, tosquelles l’entendait donc au sens de la Gestalt, à laquelle il se réfère explicitement dans plusieurs textes tout au long de sa vie ; il rapporte qu’à Barcelone, durant sa forma- tion à l’Institut Pere Mata, Werner Wolf, l’un des psychanalystes juifs émigrés, aurait dit « qu’une “institution” était un “ensemble”, c’est- à-dire une Gestalt 3 ». Il écrit encore : « une institution – et pas seule- ment celle qu’on appelle à tort ou à raison institution psychiatrique – est un ensemble ou une Gestalt dont chacun des membres acquiert une valeur ou change de valeur seulement en rapport avec la mouvance et la forme de l’ensemble, et où, du même fait, n’importe quelle modification d’un élément particulier retentit et produit des effets sur l’ensemble et sur chacun des éléments 4. » Ce qui caractérise la « forme » est que lorsqu’on change un élément de l’ensemble, tout l’ensemble en est transformé. Que l’on change, par exemple, une note dans une mélodie, la mélodie initiale peut disparaître pour former un nouvel ensemble. Étudier les ensembles, Pascale Molinier, psychologue, université Paris 13- Sorbonne Paris Cité, UFR des lettres, des sciences de l’homme et des sociétés, 99 avenue Jean-Baptiste Clément, 93430 Villetaneuse. pascalemolinier@gmail.com 1. Intervention orale de F. Tosquelles, « Les idées en matière de psychiatrie institutionnelle. L’état actuel des recherches », 1re rencontre de Saint-Alban. La psychothérapie institutionnelle, document ronéotypé, 1986, p. 53-59. 2. M. Minard, « Note liminaire », dans François Tosquelles, De la personne au groupe, document ronéotypé, 1994. 3. F. Tosquelles, « In Memoriam. Sur Daumezon, quelques autres et moi », L’Évolution psychiatrique, vol 56, n° 5, 1980, p. 557-588. 4. F. Tosquelles, « Encore quelques précisions sur la psychothérapie institutionnelle », Soins psychiatriques, n° 9, 1981, p. 8-20. 5. F. Tosquelles, 1980, op. cit. 6. Ibid. 7. H. Chaigneau, Paroles, La Borde, Institutions, coll. « La boîte à outils », 2011, p. 30 et 63. …/… 42 Dossier SOCIÉTÉ ET CULTURE : SOLIDARITÉS TRANS- VERSALES © ERES | Téléchargé le 22/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 152.171.31.116) © ERES | Téléchargé le 22/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 152.171.31.116) 43 Ensembles, mouvance et système D dans le domaine du soin, c’est étudier une matière sociale éminemment changeante dont la vie même est de se transformer, changer de forme. en ce sens, il ne peut donc y avoir un ensemble, mais toujours des ensembles, ou comme dit tosquelles « l’ensemble des ensembles ». rien n’est statique ou figé, tout est marqué par la précarité, la trans- formation. un ensemble est voué, pour ainsi dire, à disparaître et à se recomposer dans un autre ensemble. ou bien, sinon, c’est un ensemble défensif, fermé aux intrusions et aux circulations, qui ne travaille qu’à maintenir son existence sous une forme défensivement instituée, c’est-à- dire immobile, empaillée et morte. tosquelles écrit à propos de la dimension « gestaltique » de l’institution : « une pratique institutionnelle conçue comme une Gestalt est simplement le fait précis que quoi qu’il en soit des changements ou d’un changement même dans l’équipe soignante, cela va provoquer des changements sur les autres constitutifs de la “Gestalt” dont la structuration “administrative” ne révèle en aucun cas les vrais composants en interaction 5. » L’ensemble n’est pas seulement changeant, la dimension gestaltique devrait permettre la « mouvance », le changement des rôles dynamiques et de ce que chacun représente pour lui et pour les autres au cours des échanges vécus par le groupe dans son ensemble. La mouvance est un terme qui revient souvent sous la plume de tosquelles, qui l’oppose notamment à « la structure immobile obsessionnalisante et bureaucratique 6 ». « L’ensemble » ainsi compris est proche de ce qu’Hélène Chaigneau dit de la nécessité de garder vivant le caractère provisoire de ce qu’on institue et d’assumer la précarité, l’instabilité et la fragilité comme autant de dispositions contre la routine. N’hésitant pas à juger « ringarde » la nostalgie des clubs thérapeutiques qui étaient, selon les nostalgiques, « si beaux », Chaigneau disait : « une expérience institutionnelle est unique et non reproductible […], c’est-à-dire qu’il faut évoluer, il faut vivre […]. on ne peut pas s’autoreproduire sur place parce que c’est mourir, ni reproduire ailleurs car c’est caricatu- rer et se casser la figure 7. » LES PROPOSITIONS PIVOT : CE QUI COMPTE Wittgenstein appelait « propositions pivot » celles dont on ne doute pas, comme dans les exemples « j’ai deux mains » ou « j’ai un cerveau ». La certitude ou le doute ne sont pas forcément les problèmes principaux quand il s’agit d’orienter l’action. Dans ce domaine, les propositions pivot peuvent être identifiées plus sûrement à partir de « ce qui compte » (et sous-jacent, le désir). est-ce qu’on peut s’accorder sur ce qui compte ? sur l’importance de l’importance, dirait la philosophe sandra Laugier8. « on s’en fout qu’il y ait voca- tion ou pas, l’important, c’est d’être là », dit oury à olivier apprill9. ou encore : « Ce qui compte, ce n’est pas le cadre, la structure, l’organisation, mais une pratique intériorisée 10. » « Il n’y a qu’une seule chose qui compte, écrit Hélène Chaigneau, le respect des personnes souffrantes et la confiance dans leur humanité11. » Ces « choses » qui comp- tent figurent parmi les propositions pivot suscep- tibles d’orienter ce que l’on va faire ensemble, ce sur quoi on va s’accorder, étant entendu que ce ne sont pas des problèmes de techniques. Les tech- niques, ou même ces créations collectives très sophistiquées que sont les règles de métier, dépen- dent de propositions pivot ou d’accords sur ce qui compte. C’est autour de ce qui compte que peut se formuler un souci commun. on peut maintenant se demander plus précisément, en reprenant ce que disent oury et Chaigneau, comment transmettre dans un ensemble une « pratique intériorisée » ? Comment transmettre la « confiance dans l’hu- manité des malades » ? sachant que la confiance est toujours un pari et une pratique intériorisée, ce qui affleure, peut-être, dans le langage, ou dans certaines attentions, de presque indécelable ; être là… mais est-ce que cela se travaille ensemble ? Jean oury à olivier apprill : « on dit, pour bien travailler dans une institution, pour faire de la psychiatrie ordinaire, le premier travail de l’ins- titution, c’est de faire du nettoyage pour rendre le milieu moins nocif sans être farci par des quan- tités de théories et de techniques. » et oury parle de « se nettoyer le citron 12 ». Comment faire pour transmettre ce nettoyage ? Pour que l’ensemble se forme, se déforme, se reforme, il faut des nouveaux éléments qui appor- © ERES | Téléchargé le 22/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 152.171.31.116) © ERES | Téléchargé le 22/10/2020 sur www.cairn.info (IP: 152.171.31.116) tent la vie comme série d’éléments et d’ensembles qui se mêlent et se font suite, qui bousculent et rendent possibles les « uploads/s3/ ensembles-mouvance-et-syste-me-d-pascale-molinier.pdf

  • 38
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager