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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article André Éric Létourneau Inter : art actuel, n° 111, 2012, p. 96-97. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/66661ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 15 septembre 2014 12:19 « Translection et économie de la culture. Philippe Côté et le patrimoine immatériel » 96 Translection et économie de la culture. Philippe Côté et le patrimoine immatériel PAR ANDRÉ ÉRIC LÉTOURNEAU Les années quatre-vingt marquent l’apothéose d’un mouvement de spécu- lation dans le monde de l’art visuel. C’est dans ce contexte que Philippe Côté soumet ses premiers travaux consistant en des propositions de plaques commémoratives et des situations génératrices de sens. En témoigne Récit de voyage (984), une manœuvre qui consistait à inaugurer une enseigne de cuivre marquant l’eondrement de Nietzsche à Turin le 3 janvier 889, présentée par la Galerie Motivation V et inaugurée au 365, rue Laval, Montréal. Par leur complexité et leur mode de production de l’expérience artistique – où le regardeur contemplant est transformé en citoyen actif et pensant – les dispositifs de Philippe Côté et de .(La Société de Conservation du Présent), alias la .(SCP), s’inscrivent déjà en périphérie du monde de l’art institutionnel. Ils permettent de produire, dans l’esprit de ce regardeur, un parcours réexif. D’un art conceptuel et tautologique – se ramenant par dénition à la produc- tion d’objets destinés à l’exposition – Côté développe un art conceptuel (avec un c minuscule) articulé par le monde des idées. L’objet y représente simple- ment un dispositif questionnant ludiquement l’historicité, produisant ainsi un savoir renouvelé. Cette première période laisse présager un passage de l’artiste vers une pratique essentiellement sociale, dont l’oralité constituera la principale expression. C’est surtout durant les années qui succèdent la dissolution de la .(SCP), années quatre-vingt-dix, que Philippe Côté se consacre à une forme d’art intangible, et ce, d’une façon qui échappe aux institutions habituellement associées à l’art ociel. Par ce parti pris, l’art devient acte social, geste imma- tériel, destiné à la collectivité. Pour Côté, il constitue un réseau de savoirs et de circulation d’idées. Ses gestes visent à questionner la construction sociale de la connaissance. Ce mouvement de mise en perspective de l’information devient art par le transfert d’expériences dans le champ social. Pour questionner l’his- toricité établie, Côté utilise la prise de parole et la production de questions plutôt que la production d’objets ou de monstrations spectaculaires. Ce faisant, l’artiste inverse et questionne également la notion de « collec- tion » d’œuvres comme mode de fructication du capital nancier, culturel ou réputationnel. Pour lui, chaque reproduction d’archive, d’œuvre ou d’infor- mation est considérée comme un original : « [L]’archive est une œuvre en soi et elle doit circuler librement par le biais de n’importe quel support2. » C’est l’oralité, le discours contextuel qui accompagne et présente l’œuvre ou l’archive, qui donne ainsi à ces productions artistiques, sans cesse reproduites, leur place dans le monde. La pratique de Côté correspond à ce que nous proposons d’appeler, en opposition au concept de la collection, un acte de translection, c’est-à-dire « un réseau de pensées ou de connaissances interdisciplinaires qui se développe et se transmet par l’oralité à travers une communauté d’individus partageant une expérience culturelle immatérielle »3. La translection est l’inverse de la notion traditionnelle de collection. Elle est l’opposé d’un rassemblement logique d’œuvres matérielles rassemblées par une personne ou une institution. Dans le cas de la translection, ce n’est pas le collectionneur qui rassemble les œuvres d’art, c’est plutôt l’art qui collec- tionne, c’est-à-dire qu’il collecte et intègre les informations, les données, les connaissances et le savoir-faire dans un processus dynamique et intangible. C’est par conséquent un art qui ne peut pas être collectionné, et qui devient lui-même collectionneur par la circulation et la passation des informations à même l’échange de l’expérience et de l’oralité. En opposition à la collection, la translection inverse le rôle de la collection d’archives et de données. Chez Côté, elle se manifeste par le changement de statut de l’archive traditionnelle, considérée traditionnellement comme la simple trace d’un événement ou d’un objet, à celle privilégiée d’un original, activé dans le réel par la dynamique sociale de la tradition orale. Cette notion de translection constitue un concept intéressant pour décrire l’un des mécanismes fondamentaux des activités de Philippe Côté durant les années quatre-vingt-dix et deux mille, alors que l’artiste délaissait l’étiquette art pour qualier sa pratique. Côté agit alors presque anonymement comme artiste au cœur de la réalité sociale. En omettant d’étiqueter ses activités comme art, il attire l’attention sur ses interventions politiques sans qu’elles soient socialement perçues à travers le prisme connoté de l’art. Elles s’ins- crivent, d’emblée et informellement, comme une démarche d’artiste dans le cadre de structures publiques. Dans cette explosion de la forme, devenue démarche sociale d’un « art non artistique » (comme l’appellerait Ghislain Mollet-Viéville4), on connaîtra les activités de Côté comme participant actif à des structures politiques et à des assemblées publiques dans diérentes régions du Québec, plus particulièrement celles de Montréal et de la Monté- régie, ce à quoi fait écho une autre proposition de Viéville, L’éthique est l’esthé- tique de l’avenir5. À l’économie nancière de la culture, axée sur la spéculation de l’œuvre d’art, Côté propose la poursuite d’une économie symbolique de la culture, basée sur le bien commun, comme perspective transversale et féconde. Nous nous intéressons ici à la forme immatérielle et pragmatique de l’activité artistique de Philippe Côté. La notion de « désœuvrement », déve- loppée alors que l’artiste travaillait au sein de la .(SCP)6, pourrait constituer un repère historique pour comprendre comment, dans sa pratique, il a su glisser d’un art lié à la monstration d’aches, de phrases et de production télématique (années quatre-vingt) à une pratique principalement sociale et immatérielle (années quatre-vingt-dix et deux mille) par des productions de rapports pour des commissions publiques, des participations à des forums citoyens, des implications comme administrateur au sein d’un hôpital, etc. Cette transmutation à partir de la sphère artistique vers les sphères politique et INTER, ART ACTUEL 111 97 administrative s’expliquerait également par un idéal pragmatique important pour cet artiste : chercher « à faire changer les millions [de dollars] de place »7, c’est-à-dire développer une méthode dont l’objectif serait la redistribution du bien commun par la répartition des nances publiques. Les mouvements budgétaires engendrés par ses actions deviennent manœuvres d’art. Cette dématérialisation de la pratique, Philippe Côté la devait d’abord à Duchamp pour lequel une œuvre est essentiellement un moyen destiné à produire de la pensée. À ce titre, Duchamp a souvent défendu le poten- tiel fécond de la reproduction des œuvres d’art. Chez Côté, il n’existe donc plus de frontières entre l’univers de l’art (objet ou monstration) et l’univers réel des conditions de la réalité sociale (extra-artistique), où la reproduction constitue le mode de diusion des idées dans la sphère publique. Dans son travail, on assiste à une extension de l’univers duchampien vers un véritable désœuvrement, une dématérialisation de l’art – dans la lignée où le proposait Lucy Lippard – au prot de l’action éthique, de la circulation de la communi- cation, de la translection par oralité et de l’utilisation de la sphère publique comme matériau d’art. Côté s’inscrirait dans cette tradition moderne qui trouve ses origines dans le futurisme russe, l’art conceptuel et l’Internationale Situationniste. Il s’intéresse particulièrement à la construction de situations sociales, non au désenchantement des fêtes révolutionnaires et des ruines standardisées dans le continuum historiciste. Comme le fait remarquer Jean Clair dans L’hiver de la culture, « [Mai 68] ne provoqua que le charivari qui, dans les sociétés traditionnelles, accompagne les nouveaux mariés. Mais cette fois, le mariage unit la société […] au capitalisme international. C’est le monde ancien, rural et ouvrier, qui fut emporté en cinq ou six années8. » Philippe Côté, « ami des ruines », comme il se baptisait lui-même, n’abdiqua pas et poursuivit une action comme agent d’inltration culturel en explorant de nouvelles stratégies. Le passage d’une période historique à une autre, du paysage urbain à celui du rural à même un « système technicien »9, met en mouvement des phénomènes sociaux qui constitueront les matériaux de manœuvre de Côté au sein du tissu social. On peut donc articuler les actions de Philippe Côté telles qu’elles s’ins- crivent au cœur de la réalité sociale en imaginant deux axes. D’abord, il y a la capacité de Côté de s’immiscer dans des sphères dont les champs de compé- tence semblent, a priori, diérents de ceux de l’art (administration, environ- nement, uploads/s3/ le-tourneau-translection-et-e-conomie-de-la-culture-philippe-co-te-et-le-patrimoine-immate-riel.pdf
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- Publié le Fev 20, 2022
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