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HAL Id: hal-01403762 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01403762 Submitted on 29 Nov 2016 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. “ Claude Debussy, musicien français ” : les années de guerre d’un compositeur Bénédicte Percheron To cite this version: Bénédicte Percheron. “ Claude Debussy, musicien français ” : les années de guerre d’un compositeur . Les Rendez-vous de 14-18, ESPE de Rouen, Feb 2014, Rouen, France. ￿hal-01403762￿ 1 « Claude Debussy, musicien français » : les années de guerre d’un compositeur Bénédicte Percheron - GRHis EA3831 Conférence de vulgarisation donnée dans le cadre des Rendez-vous de 14-18 ESPE de Rouen, 12 février 2014 « Avec ou sans patriotisme, la guerre c’est du désordre accumulé. J’ai horreur du désordre, donc : je n’aime pas la guerre. […] »1. C’est par cette réflexion adressée à André Caplet que Debussy dévoile ses sentiments sur les douloureux événements qui secouent l’Europe au milieu de l’année 1914. Patriote, il l’est pourtant dès les premiers jours de la guerre dans ses propos, mais aussi dans sa composition. Quant au désordre, cette irruption de l’imprévu dans son quotidien, il en subit les lourdes conséquences à plusieurs titres : la guerre le pousse hors de chez lui, bouleverse sa vie sociale et musicale, lui arrache des êtres chers, etc. Plusieurs soucis de santé provoquent dès cette période un ralentissement de sa production artistique, jusqu’à ce qu’un désordre plus intime et plus handicapant, un cancer, finisse par l’emporter en 1918. Sur le plan artistique européen, l’avènement de la Première Guerre mondiale réveille et affirme des antagonismes culturels préexistants. Les oppositions entre écoles nationales musicales ne sont cependant pas spécifiques au XXe siècle ; les célèbres querelles du XVIIIe siècle avaient déjà souligné une volonté de « nationaliser » des esthétiques musicales2. Dès le début du conflit, des deux côtés du Rhin, la culture de l’ennemi est dévaluée et rejetée. Pourtant dans le domaine musical, la musique allemande, notamment l’écriture wagnérienne, a fortement imprégné la composition française du XIXe siècle. La musique française de la Belle Époque s’est bien souvent inscrite dans une démarche post-wagnérienne, soit par filiation, soit par rejet. Claude Debussy a eu la particularité de se positionner tour à tour dans ces deux perspectives3. Au début du siècle, il se détache de la composition allemande pour s’aventurer dans d’autres esthétiques, en empruntant, entre autres, à des harmonies extra- européennes4. Avec l’avènement de la guerre, Debussy s’adonne à un fervent nationalisme qui se traduit aussi bien par des propos perceptibles dans sa correspondance, que par des compositions musicales. Mais en quoi cette forme de nationalisme contribue-t-elle à redéfinir son écriture ? Cette conférence s’articule en trois temps : elle revient tout d’abord sur la première année de guerre de Debussy, année au cours de laquelle le compositeur se positionne face au conflit, puis elle s’intéresse à la nature du nationalisme debussyste, avant de se porter sur les œuvres de circonstances produites durant cette période. 1 Cor., p. 1851. Lettre de Debussy à André Caplet, 1er octobre 1914. 2 Cf. les célèbres querelles musicales qui ont jalonné l’histoire de la musique au XVIIIe siècle : Quetin, 2016, 175 p. 3 Holloway, 1979, 235 p. 4 Joos, 2004, p. 256. 2 1. CLAUDE DEBUSSY (1914 – 1915) Avant la mobilisation générale du 1er août 1914, Debussy souffre de problèmes de santé qui l’empêchent pendant trois mois de travailler. Il s’est blessé un doigt dans une porte de train, souffre d’un zona5 et commence à ressentir les manifestations d’un cancer du rectum6. Il prend ainsi du retard dans ses commandes musicales et accumule les dettes. Dès l’annonce de la guerre, Debussy éprouve une forte anxiété face à l’actualité7. Le 3 août, à son éditeur, Jacques Durand, il précise son état d’esprit et évoque les « jours d’affolement »8 qui le plongent dans une profonde angoisse. Debussy, âgé de 52 ans, ne risque pourtant pas la mobilisation générale, l’âge limite des réservistes étant fixé à 48 ans. Il regrette cependant de ne pouvoir participer physiquement à la défense du pays et arrive presque « à envier Satie qui va s’occuper sérieusement de défendre Paris en qualité de caporal »9. Mais il avoue à J. Durand son « manque de sang-froid »10 et d’ « esprit militaire »11. Son inquiétude se porte principalement sur le gendre de son épouse, Raoul Bardac, et sur le mari de Dolly, la sœur de ce même Raoul Bardac, tous deux mobilisés12. Fin août, devant la poussée des Allemands, le gouvernement quitte Paris pour Bordeaux. Les Parisiens s’inquiètent et beaucoup prennent le chemin de l’exil. C’est le cas de la famille Debussy qui obtient un sauf-conduit pour Angers le 4 septembre13. Le voyage en train est pénible, mais durant les heures que Debussy passe confiné dans un wagon, il « couvre le document fourni par les chemins de fer »14 d’annotations musicales qui préfigurent ses Etudes pour les notes répétées, éditées en juin 1916 au sein de ses Douze Etudes pour piano15. Le séjour à Angers dure un mois pendant lequel Debussy lit la presse et regrette la capitale16. Rentré à Paris au début de l’automne, il accepte de réviser les œuvres de Chopin pour les éditions Durand17. Ce travail lui plaît, car il lui permet de retravailler dans un contexte qui le perturbe significativement et avec une santé déjà très détériorée. Le compositeur n’arrive pas à créer sereinement alors que la guerre a déjà provoqué de nombreux décès. Il se refuse de même à rire et abandonne la composition de son œuvre initialement intitulée Le Palais du Silence. Il explique ainsi à Jacques Durand qu’il ne souhaite pas que l’on joue cette musique « avant que le sort de la France ne soit décidé, car elle ne peut ni rire, ni pleurer, pendant que tant des nôtres se font casser héroïquement la figure ! »18 En décembre, il daigne enfin se remettre à la composition, mais uniquement pour se livrer à une sorte d’effort de guerre : l’écriture d’une Berceuse héroïque « pour rendre hommage à S.M. le roi Albert 1er de Belgique et à ses soldats » (figure 1). L’œuvre existe tout d’abord pour piano, puis pour orchestre, en décembre 1914. Debussy s’est en quelque sorte résigné à écrire cette œuvre sur la demande du Daily Telegraph. Le journal anglais s’était en effet 5 Lesure, 2003, p. 381-382. 6 Ibidem, p. 388. 7 Cor., p. 1841. Lettre de Debussy à un de ses fournisseurs en habillement « Au Carnaval de Venise », 1er août 1914. 8 Cor., p. 1841. Lettre de Debussy à Jacques Durand, 3 août 1914. 9 Ibidem. 10 Ibidem. 11 Ibidem. 12 Cor., p. 1842. Lettre de Debussy à Désiré-Émile Inghelbrecht, 18 août 1914. Lesure, 2003, p. 387. 13 Lesure, 2003, p. 388. 14 Ibidem, p. 388. 15 Claude, Debussy, Douze Etudes pour piano, Paris, Durand, 1916. 16 Cor., p. 1851-1852. Lettre de Debussy à Paul Dukas, 5 octobre 1914. 17 Lesure, 2003, p. 389. 18 Cor., p. 1852. Lettre de Debussy à Jacques Durand, 9 octobre 1914. 3 attelé, sur l’initiative du romancier britannique Hall Caine, à publier un ouvrage en trois langues (anglais, français et néerlandais), regroupant des contributions de personnalités artistiques, politiques et philosophiques visant à rendre hommage au roi des Belges, Albert Ier, et à ses soldats, pour leur comportement héroïque pendant les premiers jours du conflit19. Debussy n’a, malgré tout, pas composé une œuvre guerrière. Bien au contraire, c’est une œuvre sombre et inquiète. Les appels de trompette évoquent les combats et introduisent sa seule concession au patriotisme, une citation de l’hymne national belge, La Branbançonne. Mais le compositeur a avoué avoir eu des difficultés à écrire cette pièce, car, selon lui, « la Brabançonne ne verse aucun héroïsme dans le cœur de ceux qui n’ont pas été élevés «avec » »20. Figure 1 : DEBUSSY, Claude, Berceuse héroïque, pour rendre hommage à S. M. le roi Albert 1er de Belgique et à ses soldats. Piano à 2 mains, Paris, Durand, 1915, p. 1 sur 4. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, domaine public. 19 Lesure, 2003, p. 389. 20 Ibidem. 4 Dès cette période, Debussy s’attriste de voir la montée d’une certaine forme d’utilitarisme musical. La lecture de sa correspondance montre qu’il souffre particulièrement de dépression au tournant de l’année 1914 -1915. Les événements, cumulés à la mort de sa mère, Victorine, décédée en mars 1915, lui font oublier la musique, voir la rejeter. En décembre, il confie à son ami, Tony Guéritte, les conséquences de la guerre sur sa vie. Il évoque ainsi une incapacité à travailler et précise : « pour la musique, j’avoue uploads/s3/ debussy-musicien-francais-1914-1915.pdf

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