CLEMENT Baptiste Patrimoines musicaux – Dossier Mai 2000 Licence de Musique DEB
CLEMENT Baptiste Patrimoines musicaux – Dossier Mai 2000 Licence de Musique DEBUSSY RAVEL Eclats d’Espagne PRÉLUDE PRÉLUDE Les artistes Romantiques ont au XIXème siècle en partie assouvi leur fièvre de nouveauté dans une quête de l’ailleurs qui déborde largement du cadre du dépaysement touristique, et dont les limites sont celles de l’imagination. L’ailleurs est non seulement géographique, mais aussi temporel, mêlant le mythologique, le légendaire et même l’inconscient collectif. Ainsi, les permanences du romantisme sont- elles l’attrait du fantastique (Songe d’une nuit de Sabbat de la Symphonie Fantastique d’H. Berlioz), le surnaturel et le rêve (déjà en 1781, J. H. Füssli peint un saisissant Cauchemar), jusqu’aux confins de la damnation (celle de Faust bien entendu). Cette quête de vastes territoires pour l’esprit, ferments de la création artistique, permet de jeter un pont à travers les âges entre les artistes et de rentrer en résonance avec les univers de Dante et de sa Divine Comédie (on se rappellera le fébrile Après une lecture de Dante de F. LISZT) et naturellement de Shakespeare (Songe d’une Nuit d’Eté de Mendelssohn entre autres…) sources d’innombrables œuvres musicales. Il ne paraît donc pas étonnant, en regard de ces très lointaines investigations de l’imaginaire que les nationalismes les plus exacerbés s’accompagnent sans que personne n’y trouve à redire d’un très profond désir d’ailleurs, d’un besoin d’exotisme et de dépaysement. Rimsky- Korsakov est le parfait exemple du musicien fasciné autant par le folklore de ses racines (Sadko, Grande Pâques Russe) que par l’Orient (Antar, Shéhérazade). Le romantisme, épris d’éclectisme, semble avoir déployé son esprit aussi loin qu’il le pouvait dans le temps, l’espace, le rêve par la force de l’imagination. Or, en 1870, au lendemain de sa défaite contre la Prusse, la France se trouve dans une position tout à fait particulière : elle n’a pour passé Romantique que H. Berlioz en Musique, qui a largement payé son tribut aux causes romantiques : Les Troyens, Harold en Italie, La Symphonie Fantastique… Le dernier tiers du XIXème siècle prend alors sa revanche et voit s’affirmer de nombreux excellents compositeurs qui enfin proposent une alternative de poids face à la domination germanique : Bizet, Chabrier, Franck, Fauré, Debussy, Ravel… En cette fin de siècle de tous les bouleversements, les vieux thèmes romantiques ont évolué mais ne sont pas pour autant périmés : le rêve attire toujours autant (Freud en révèlera la force), ouvrant la porte au symbolisme, le passé (Couperin, Rameau) offre des racines à la recherche d’une tradition musicale française, et la soif d’ailleurs enflamme toujours l’imagination des compositeurs. La France trouve alors en l’Espagne une source de dépaysement sans commune mesure, et de profonds échanges vont s’opérer entre ces deux nations. Ainsi, Lola de Valence, étoile d’un ballet espagnol charmera autant Baudelaire : « Entre tant de beauté que partout on peut voir Je comprends bien, amis, que le désir balance Mais on voit scintiller dans Lola de Valence Le charme inattendu d’un bijou rose et noir » que Edouard MANET (Lola de Valence en 1862, le Ballet espagnol en 1863). Le pianiste ibérique Ricardo Viñes sera de toutes les créations parisiennes et des amitiés sûres s’établiront entre musiciens français et espagnols, leur musique s’enrichissant des ces échanges fructueux. Cette fièvre espagnole enflammera deux des musiciens phares de ce tournant du siècle : Claude Debussy et Maurice Ravel, rivaux et pourtant si proches : harmonies novatrices, pianisme réinventé, orchestration toute de lumières et de couleurs. Mais que présente-t-elle de si fascinant pour ces deux musiciens ? Comment va-t-elle nourrir leur musique ? Dans quelle mesure cette inspiration hispanique commune à Maurice RAVEL et Claude DEBUSSY leur permet-elle de forger leur identité et leur profonde originalité ? 2 I – L’ATTRAIT DE L’ESPAGNE I - 1) Les précurseurs : G. BIZET, E. LALO, E. CHABRIER En 1873, année de création de la Symphonie espagnole d’Edouard Lalo, la musique authentiquement espagnole n’existe que dans sa forme populaire. La musique folklorique, dont aucun compositeur autochtone n’est là pour faire en faire écho, mis à par Pedrell et ses recueils de chants populaires, enflamme l’imagination de compositeurs français. Au cours de la décennie précédente, la peinture s’était déjà plongée dans les richesses de cette nation, Manet s’étant initié à l’art de Velasquez et de Goya à travers des œuvres telles que L’exécution de l’empereur Maximilien (1867) ou Le Balcon (1869). Bien que la tendance à l’exotisme, le goût du pittoresque sont dans l’ère du temps depuis longtemps déjà, l’hispanisme en musique est alors tout à fait neuf, et la Symphonie espagnole d’Edouard Lalo sera la première œuvre à puiser son inspiration dans une Espagne plus ou moins authentique. Même si les « sources » folkloriques sont ici largement détournées pour mieux mettre en valeur la virtuosité du violoniste espagnol P. Sarasate, les nouveautés qu’offre la partition a de quoi charmer le public en quête de lointains. L’élément le plus prégnant est bien sûr le rythmique avec en particulier celui de la Habanera ( ). L’aspect rythmique prend en effet un aspect réellement neuf. L’influence espagnol le transforme en véritable moteur, imposant parfois une liberté, un caractère improvisé nouveau à l’orchestre. Il annonce déjà largement l’émancipation et la place grandissante que la dimension rythmique prendra au XXème siècle. Mais la popularisation à grande échelle de ce goût pour l’Espagne, c’est à Carmen (1875) de Georges Bizet qu’on le doit. Le compositeur reste cependant fidèle à la tradition musicale occidentale et aux goûts de l’époque : l’authenticité musicologique n’est pas ici la finalité de ce chef d’œuvre. Les traits particuliers de la musique espagnole y sont forcés pour les rendre plus caractéristiques : la liberté des tempi est programmée, l’ornementation et les chromatismes restent un peu trop décoratifs pour être naturels et les rythmes de Séguédille ou de Habanera, plus ou moins proches des originaux, sont là pour situer le drame dans un espace géographique que d’ailleurs BIZET ne voulait pas connaître (ayant sans doute peur que la réalité soit en décalage avec son imaginaire). Mais cette situation est indispensable au drame. Celui-ci, en effet, s’inscrit dans un environnement psychologique particulier : la passion exacerbée et le tempérament bouillonnant des espagnols, ou du moins l’idée que les compositeurs s’en faisaient, fait partie intégrante de cette Espagne réinventée, de la brûlante Andalousie, de la moiteur des soirées dans Grenade. Jetée sur le papier au retour d’un séjour de quatre mois en Espagne en 1882, España d’E. Chabrier témoigne de la fascination pour la musique que le compositeur a découvert lors de ce voyage : c’est ici une débauche de rythmes, de mélodies, une floraison de couleurs. Ces couleurs, ces violents passages d’une intense lumière à la fraîcheur de l’ombre, l’orchestration de la tradition française semblait faite pour les magnifier. De Berlioz à Messiaen, la richesse de la palette orchestrale a toujours été utilisée au maximum de ses possibilités, notamment par un jeu d’égal à égal entre vents et cordes, et Chabrier ne déroge pas à la règle : son inventivité inouïe offre des pages chatoyantes aux contrastes saisissantes et d’une vivacité éclatante. La mode étant lancée, M. Ravel et C. Debussy vont à leur tour succomber aux charmes de l’Espagne, et vont puiser dans les mêmes matériaux de base que leurs prédécesseurs : rythmes et tournures mélodiques caractéristiques, couleurs éclatantes, contrastes saisissantes, le tout au service de l’évocation d’une Espagne vivante. Cependant, ces aspects déjà abordés par Chabrier, Bizet et Lalo ont vu 3 leurs traits largement grossis pour les rendre plus « lisibles » par le public. Maurice Ravel et Claude Debussy vont parvenir à se débarrasser d’une certaine facilité décorative dans laquelle certains musiciens y-compris espagnols et de grand talent ont pu tomber (Albeniz, Granados parfois) pour extraire de l’Espagne son essence et en imprégner leur musique. I - 2) Suivre le mouvement et prendre ses distances Même si M. Ravel et C. Debussy sont tous deux complètement imprégnés par cette mode espagnole, qui, il faut le reconnaître, pouvait être un gage de succès, ils n’ont pas plongés dans ce goût du folklore sans prendre très vite une certaine distance. Cette distanciation vis-à-vis d’une peinture musicale touristique se trouve aussi bien chez Ravel que Debussy, et se présente sous deux aspects : le décalage et la distanciation humoristique d’une part, et la recherche d’une expression musicale qui dépasse l’anecdotique. I - 2 - a) Distanciation humoristique L’expression de l’âme espagnole avez déjà été approchée à travers ses passions amoureuses par Bizet dans Carmen, donnant lieu à un drame brûlant, dont l’issue tragique n’a pas laissé indifférent le public lors de sa création. C’est l’ardeur de Carmen, archétype de la femme espagnole (ou du moins telle que les compositeurs se plaisaient à l’imaginer), que Ravel met en musique à partir de la pièce de Franc- Nohain. Mais cette ardeur, que l’héroïne voudrait bien pouvoir exprimer avec ses amants, comme tous les jeudis après-midi lors de l’absence de son mari, n’est que le point de départ de cette comédie musicale. Cet aspect de l’Espagne est d’ailleurs largement caricaturé, et Carmen y est uploads/s3/ debussy-ravel.pdf
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- Publié le Jul 02, 2022
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