Essais P A S C A L BONITZER PEINTURE ET CINÉMA DÉCADRAGES Cahiers du cinéma Édi
Essais P A S C A L BONITZER PEINTURE ET CINÉMA DÉCADRAGES Cahiers du cinéma Éditions de l'Étoile DÉCADRAGES Michel Chion : La voix au cinéma André Bazin : Le cinéma français de la Libération à la Nouvelle Vague (1945-1958) Paul Virilio : Guerre et cinéma 1 Logistique de la perception Dominique Villain : Le cadrage au cinéma L ’ œil à la caméra Michel Chion : Le son au cinéma En co-édition avec la Cinémathèque Française Dudley Andrew : André Bazin (Préface de François TrufFaut, Annexe de Jean-Charles Tacchella) Dans la même collection Collection Essais (Sous la direction de Alain Bergala et Jean Narboni) Cahiers du cinéma / Editions de l’Etoile Du même auteur Le Regard et la voix Editions Christian Bourgois, coll. 10/18 Le Champ aveugle Editions Cahiers du cinéma/Gallimard ISBN 2-86642-028-4 © Editions de l’Etoile Diffusion : Seuil, 27, nie Jacob, Paris 6* PASCAL BONITZER PEINTURE ET CINÉMA DÉCADRAGES INTRODUCTION Ce recueil n’a pas pour objet d’interroger la confrontation directe entre le cinéma et la peinture, telle que des films de fiction biographique comme La Vie passionnée de Vincent Van Gogh (Minnelli), des documentaires pédagogiques comme le Van Gogh de Resnais, ou, plus exceptionnels, des « documentai- res-événements » comme Le Mystère Picasso de Clouzot, en témoignent diversement. On essaye de mettre à jour un rapport moins évident, plus labile et plus secret entre cinéma et peinture. Le cinéma rencontrerait des problèmes artistiques, ou utiliserait à ses fins des effets que la peinture, différemment, a traités. La nature statique du tableau, celle animée de l’image cinématographique, ne coupent pas nécessairement le cinéma de la peinture, car le cinéma a affaire, à sa manière, à l’image fixe, et la peinture de son côté a affaire au mouvement. En peinture comme au cinéma, le mouvement est multiple ; on peut distinguer des mouvements de différentes natures, qui traversent la toile ou l’écran : ainsi le mouvement prescrit par les peintures d’anamorphoses, qui est celui de l’œil du spectateur (l’œil doit voyager dans l’espace et dans le sens) plus que de la figure, ne semble avoir aucun rapport avec les mouvements involontaires, violents, dont Yaction-painting est le tracé ; et cependant la peinture-mouvement d’un Bacon semble combiner les deux, anamorphoses sans perspective et pincées d'action-painting. De même, certains mouvements H DÉCADRAGES d’appareil au cinéma transforment le paysage du film, le point de vue des spectateurs sur ce paysage et les figures qui l’habitent ; par exemple, la caméra portée dans les films de Cassavetes accompagne un climat de crise et épouse l’hystérie des personnages, des acteurs, annulant Joute distance et tout point de vue d’ensemble, dans une distorsion généralisée. Le point de vue qui oriente ce recueil n’est cependant pas analogique. Les textes se rassemblent autour d’une double hypothèse : 1) le cinéma serait, techniquement parlant, l’héritier de la scientifisation de la représentation instaurée au Quattro cento à travers les théories de la perspective artificielle (thèse émise par d’autres et, comme on sait, violemment controversée — controverse qui se trouve résumée et analysée dans le présent recueil sous le titre du « Grain de réel ») ; il accomplirait en quelque sorte mécaniquement ce qu’Aloïs Riegl appelait le Kunstwollen, l’impulsion artistique de la Renaissance : l’imita tion du fortuit, l’appropriation de la Nature par la représenta tion. D’où le « réalisme ontologique » dont André Bazin le voulait fatalement marqué. 2) Quoi qu’il en soit, le cinéma étant d’abord de l’image, recroise nécessairement des problèmes de la peinture, et réciproquement la solution cinématographique de ces problèmes ne peut pas être restée sans influence sur la peinture du XXe siècle. On sait qu’il arrive, chez des cinéastes pictorialistes et des peintres cinéphiles, que la peinture et le cinéma se citent mutuellement. Mais, de façon moins directe ment visible, des effets tels que la mise en abyme, ou paradoxalement le travelling, peuvent concerner semblablement les deux arts et s’éclairer de l’analyse de leur utilisation dans l’un et dans l’autre. On en déduira que la peinture, en deçà, au-delà et au cœur même peut-être de ce que la modernité en a fait (de sa réduction systématique à ses éléments moléculaires, la tache, la ligne, la couleur, la forme) relève de l’art dramatique, et de la mise en scène. Et que le cinéma, dans certains cas, cherche à s’échapper de la fatalité narrative et dramatique que l’industrie lui impose pour rejoindre les ultimes composants moléculaires INTRODUCTION 9 de la peinture, son abstraction. C’est le désir, par exemple, qui semble guider Antonioni. Cherchant à établir des points de contact, de communication, de croisement divers entre cinéma et peinture, je me suis fréquemment appuyé sur une structure qui leur est commune : le trompe-l’œil, et sur son envers l’anamorphose. On ne s’étonnera donc pas de voir ces termes revenir, au fil des textes, de façon insistante, non plus que de la référence récurrente à des œuvres et des peintres célèbres, en rapport avec cette structure : Holbein, Velasquez, Manet. Que ces peintres aient fait l’objet d’analyses non moins célèbres (Baltru- saitis, Lacan, Foucault, Bataille) n’est évidemment pas l’effet du hasard : ces analyses, qui souvent d’ailleurs se recoupent, se prolongent mutuellement ou sont solidaires, ont fatalement influé sur mon approche des problèmes locaux ou généraux envisagés ici. LE GRAIN DE RÉEL Il y aurait, d’après André Bazin, deux sortes de cinéastes : ceux qui croient à la réalité et ceux qui croient à l’image. On dira par exemple que Pialat croit à la réalité et que Godard croit à l’image (juste à l’image). Toujours Lumière et Méliès... Il se peut cependant que ce soit une distinction spécifique ment française. A envisager le cinéma américain, elle apparaît moins pertinente ; les cinéastes hollywoodiens qui croient le plus à l’image sont aussi ceux qui, sinon croient, du moins désirent le plus faire croire à sa réalité. La réalité convertie tout entière en image, l’image en réalité, c’est un rêve américain ; l’hyperréalisme en est le produit. On peut le considérer non seulement comme un principe esthétique, un mouvement artistique, un moment important des arts plasti ques contemporains, mais comme une idéologie qui pénètre beaucoup d’aspects de la vie américaine, et à quoi on peut rattacher, pour ce qui est du cinéma par exemple, toute l’école américaine des effets spéciaux (1 ). Hitchcock est par excellence le cinéaste qui « croit à l’image », tient la réalité en haine, et professe le mépris le plus complet pour la vraisemblance. Mais ce choix radical s’accompagne d’une passion maniaque, fétichiste, du document, la reconstitution au millimètre près 1. Déjà Alphonse Allais notait ce symptôme dans sa nouvelle « Esthetic » (cf. « A se tordre — Vive la vie — Pas de bile ! », ed. Bourgois, coll. 10/18, p. 68). 12 DÉCADRAGES du paysage de Bodega Bay, ou des salons de l’ONU, voire de tout le processus qui va de l’incarcération à l’écrouement du Faux Coupable. Le cas de Welles est non moins ambigu, puisque Bazin a pu s’y tromper au point de croire qu’avec le plan-séquence, la profondeur de champ, sans compter le grand angle et la contre-plongée, il « cherchait à rendre au film le sens de l’ ambiguïté du réel. ». C’est donc peut-être seulement en France (ou du moins en Europe) que l’opposition entre ceux « qui croient à l’image » et ceux « qui croient à la réalité » possède une forte consistance. En ce sens, croire à l’image peut vouloir dire aussi bien s’opposer à l’illusionnisme propre au cinéma. On le voit bien chez Godard. Il ne faut donc pas s’étonner si cette opposition se répercute dans la théorie, et donne peut-être justement cette forme passionnelle à la théorie du cinéma, qui n’existe qu’en France. Jean Mitry (dans Cinématographe n° 94) en donnait tardivement une nouvelle preuve, en revenant sur une vieille polémique, illustration parfaite de l’opposition en question : celle dite des effets produits par l’appareil de base. Pour mémoire, la polémique en question a mobilisé au début des années 70 plusieurs revues, pas seulement de cinéma, dont principalement les Cahiers, Cinéthique, Positif, La Nouvelle Critique, Tel Quel, voire la Revue d’Esthétique (numéro spécial : « Théorie, lectures »), ou encore Communications (n° 23 : « Cinéma et Psychanalyse »). Elle a infléchi des prises de position politiques et précipité des mots d’ordre sur lesquels on ne reviendra pas ici, mais dont l’histoire serait peut-être pleine d’enseignement. Je résume les deux thèses antagonistes. Thèse (énoncée par Marcelin Pleynet dans Cinéthique n° 3, ultérieurement nuancée dans les Cahiers n° 226-27, développée et « étayée » par Jean-Louis Baudry dans Cinéthique n° 7-8) : L ’ appareil cinéma tographique est un appareil purement idéologique. Il produit un code perspectif directement hérité, construit sur le modèle de la perspective scientifique du Quattrocento. Scolie : La caméra est dans l’impossibilité d ’ entretenir aucun rapport objectif avec le réel. Antithèse (émise par Jean-Patrick Lebel dans La Nouvelle LE GRAIN DE RÉEL 13 Critique et dans l’ouvrage « Cinéma et Idéologie », Ed. Sociales ; reprise donc par uploads/s3/ decadrages-bonitzer-1987.pdf
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- Publié le Oct 03, 2021
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