Cahier du « Monde » No 22616 daté Vendredi 29 septembre 2017 - Ne peut être ven
Cahier du « Monde » No 22616 daté Vendredi 29 septembre 2017 - Ne peut être vendu séparément Le musée idéal Claude Monet, Essai de figure en plein air : femme à l’ombrelle tournée vers la gauche, 1886. MUSÉE D’ORSAY c’est l’instant d’ après qui change tout. Quand, au musée, devant un chef-d’œuvre, s’engage un discret tête-à-tête, l’œil s’éclaire, la curiosité s’anime, la mémoire s’éveille. De cette rencontre silencieuse et contemplative, on emporte une sensation précieuse et vive, sorte d’émotion dont on ne voudrait rien perdre ni oublier. Intime et unique, comme l’enthousiasme d’un amour naissant, elle suscite l’envie d’aller plus loin, de mieux connaître l’artiste, d’en découvrir les œuvres majeures, d’explorer son temps, ses contemporains. Afin de multiplier ces moments privilégiés, Le Monde, associé au magazine Geo Art, ouvre cette semaine son « Musée idéal », une collection de livres d’art qui réunit les chefs-d’œuvre des maîtres de la peinture. Prolongeant les expositions- événements de la saison muséale, Van Gogh, Gauguin, Monet, Vermeer, De Vinci inaugurent la série. Dans l’intimité d’une visite privée et commentée, chaque volume rassemble, au fil d’une rétrospective imaginaire, les œuvres maîtresses d’un grand peintre. Conservées par les plus grandes institutions muséales à travers le monde, elles ne sont que très rarement réunies au sein d’une même exposition. Ici, le livre s’impose, venant renforcer une médiation que tous les musées placent au cœur de leur mission et de leur vision de l’avenir. Plus fréquentés que jamais – de longues files en témoignent –, ils connaissent aujourd’hui une faveur sans précédent. Symboles de vitalité culturelle et d’appétence de publics très divers, les musées sont au cœur de nos sociétés en mutation, que l’évolution démographique, l’urbanisation, le numérique et la mondialisation transforment à un rythme effréné. A l’heure où une accélération de l’information et de l’image mélange de façon indiscernable le vrai et le faux, l’essentiel et l’anecdotique, l’information et la communication, les musées, comme les livres d’art, conjuguent leurs vertus pour combler un manque de repères. Les premiers permettent le dialogue direct avec les œuvres, irremplaçable. Les seconds le prolongent, en ouvrant d’autres portes, en invitant d’autres voix. Garants de savoir et de véracité, moyens de distanciation et de pondération par leur nature même, les uns comme les autres triomphent à l’ère de l’instantané, parce qu’ils sont justement sans rivaux pour arrêter le temps : celui de la contemplation, de l’émotion, de la réflexion. Ainsi, en accompagnant le visiteur et le lecteur dans son commerce avec les œuvres d’art, les musées et les beaux livres pourront-ils préserver et faire longuement résonner cet « instant d’après », écho intime de tout choc esthétique, qui forge savoirs, curiosités et envies. p christophe averty LES ŒUVRES DES PLUS GRANDS PEINTRES DÉCRYPTÉES UNE COLLECTION DE LIVRES « LE MONDE » EN KIOSQUE LE JEUDI, TOUS LES QUINZE JOURS Vincent Van Gogh, Autoportrait, 1889. MUSÉE D’ORSAY, COLLECTION DU DOCTEUR GACHET Paul Gauguin, Le Repas ou Les Bananes, 1891. MUSÉE D’ORSAY Johannes Vermeer, La Jeune Fille à la perle, vers 1665. MARITSHUIS, LA HAYE 2| collection « le musée idéal » VENDREDI 29 SEPTEMBRE 2017 0123 E crins d’art et de savoir, outils de connaissance et de cons- cience, les musées sont des gardiens de mémoire, des remparts contre l’oubli, l’ignorance, l’infondé. En re- flet de la société qui les a fait naître, tous traduisent une vi- sion du monde, y compris celle que porte leur époque. Or, aujourd’hui, des mutations de tout acabit leur font anticiper l’avenir. En écho à l’inexorable et frénétique mouvement qu’elles engendrent, un grand nombre de pro- positions, souvent discrètes et engagées, fleu- rissent de Genève à Landerneau, de Montréal à Nantes, de Paris à Sète. Toutes conjuguent confiance et pragmatisme, stratégie et al- truisme, innovation et impertinence. Ce flori- lège révèle en pointillé ce à quoi pourrait res- sembler le musée du XXIe siècle. Le visage et l’esprit des musées ont profon- dément changé. L’évolution démographique des dernières décennies nourrit aujourd’hui des flux de publics toujours plus divers et segmentés. La densité urbaine contraint la construction, l’expansion et l’aménagement des édifices. Les effets de la mondialisation et le regain massif de l’investissement privé ac- célèrent la transformation du paysage mu- séal. Plus visiblement, la révolution numéri- que et la dématérialisation changent radica- lement le rapport du visiteur à l’image et donc à l’œuvre exposée. De même, les modes d’apprentissage des connaissances ont eux aussi connu de fortes mutations, creusant des fossés entre cultures et générations, mo- difiant les comportements comme les habi- tudes des publics. L’heure semble donc ve- nue, pour la plupart des institutions muséa- les, au-delà des frontières, de se livrer à un examen minutieux de leur mission, mais également de leur rôle et de leur identité, au sein de sociétés qui semblent vivre toutes les adolescences à la fois. Le devoir de s’adresser à chacun Le musée du XXIe siècle sera « éthique et ci- toyen, protéiforme, inclusif et collaboratif. Il s’épanouira aussi dans un écosystème profes- sionnel », affirme le récent rapport de la mis- sion Musées du XXIe siècle, menée, sous le gou- vernement Hollande, par Jacqueline Eidelman, alors conservatrice générale du patrimoine. Livrée en mars à Audrey Azoulay, ancienne locataire du ministère de la culture, cette étude réalisée en moins d’un an livre l’instantané d’une situation plutôt encourageante ; mais son analyse et sa projection dans l’avenir ten- dent à confondre intentions, constats et certi- tudes. Si la mission révèle que, « pour 84 % de nos concitoyens, la visite d’un musée ou d’une exposition est devenue le standard d’une sortie culturelle », elle dévoile pourtant qu’une grande majorité d’entre eux juge encore l’insti- tution trop intimidante, insuffisamment adaptée au jeune public (91 % des personnes interrogées) et estime qu’elle doit s’adresser à chacun, quels que soient son milieu, son ni- veau de connaissances ou sa culture d’origine. Mais l’aspiration, pour légitime qu’elle soit, comporte un danger. En cherchant à briser l’image élitiste qui leur reste encore attachée, les musées pourraient être amenés à réduire la diversité de leurs propositions en présumant des attentes, des goûts et des choix des visi- teurs. La tâche tient du dilemme et appelle des trésors d’inventivité pour transformer les contraintes en liberté. A ce jour, aucune suite n’a été donnée à ce rapport. Restera-t-il lettre morte ? Ainsi, depuis une trentaine d’années, malgré l’engouement prononcé pour le monde des expositions, l’approche de nou- veaux publics reste une gageure. En Suisse, l’exposition à vocation itinérante « Musées du XXIe siècle. Ambitions, visions, défis » (présentée à Genève jusqu’au 8 octo- bre) égrène 16 projets emblématiques, en cours ou récemment réalisés. Et offre un por- trait partiel des nouveaux musées créés dans le monde. « Nous avons tenté d’identifier les grandes tendances qui caractériseront les ins- titutions du futur », explique Bertrand Mazei- rat, conservateur au Musée d’art et d’histoire de Genève, co-commissaire de l’exposition. Pour ce dernier, l’une des grandes orienta- tions dans l’architecture des musées contem- porains exprime une volonté de reconnais- sance culturelle, politique ou populaire. « Un musée, comme une bibliothèque, légitime son patrimoine, lui permettant d’être distingué de manière pérenne », commente le conserva- teur. Telle est par exemple la finalité du Mu- sée national de l’histoire et de la culture afro- américaine, à Washington D.C., ou du Musée chinois de la bande dessinée et de l’anima- tion, à Hangzhou. « Autrefois, poursuit-il, on considérait le monde comme fini, les savoirs comme les arts étaient classifiés, hiérarchisés. Aujourd’hui, dans un mouvement constant, les disciplines s’interpénètrent, le musée a pour devoir de mettre en lumière ce qui importe, d’amener une distanciation et une compréhen- sion d’un monde hyperconnecté. Il doit répon- dre à un besoin sociologique. » Le tour d’hori- zon proposé par l’exposition suisse présente projets spectaculaires et réalisations em- preintes d’humilité. L’ère des mégastructures occidentales est en déclin, tandis qu’elle pour- suit son essor en Asie et au Moyen-Orient. Selon Bertrand Mazeirat, la crise des sub- primes de 2008 y aurait mis un frein. Pour retracer cette évolution, il faut revenir aux sources, au début du XXe siècle, quand la modernité, le progrès et leurs effets restaient, peu ou prou, des concepts abstraits, sur les- quels seuls quelques visionnaires se hasar- daient à extrapoler. C’était l’ère des machines. On rêvait d’un développement exponentiel. Le Corbusier imaginait, dès 1939, un économi- que Musée à croissance illimitée, une savante spirale carrée pouvant, tel un coquillage géant, déployer à l’infini ses cloisons amovi- bles, ses murs préfabriqués et prééquipés de luminaires. Mais l’architecte n’aura guère l’occasion de développer son concept. A l’in- verse, au cours des années 1980, une aspira- tion postmoderne sonne à la fois l’éveil des institutions muséales et l’avènement d’une Les musées se réinventent Face aux défis contemporains, les institutions du monde entier ont entamé une profonde métamorphose, replaçant la mission pédagogique au cœur de leur projet « Autrefois, on considérait le monde comme fini, les savoirs comme les arts étaient classifiés, hiérarchisés. Aujourd’hui, dans un mouvement constant, les disciplines s’interpénètrent » bertrand mazeirat conservateur au Musée d’art et d’histoire uploads/s3/ dos.pdf
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- Publié le Jul 09, 2022
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