Illustrations : Ophélie Glorieux Infographisme des dessins : Jean-Pierre Letour

Illustrations : Ophélie Glorieux Infographisme des dessins : Jean-Pierre Letourneur © Éditions Albin Michel, 2021 ISBN : 978-2-226-46922-9 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. INTRODUCTION Comment j’ai trouvé ma place Ma vie a changé lorsque j’ai compris pourquoi j’étais invisible sur le plan professionnel malgré tous mes efforts. J’avais beau être journaliste, réalisatrice de documentaires pour la télévision, auteure de romans psychologiques… je restais dans l’ombre. J’avais essayé différentes techniques utilisées en coaching, mais ma volonté semblait ne pas suffire. Quelque chose me freinait. Grâce aux travaux menés par la science en épigénétique 1, j’ai découvert que certaines épreuves de notre famille pouvaient peser sur notre vie jusqu’à modifier l’expression de nos gènes. Une sorte de transmission de mémoires parentales. J’ai creusé la question et quelle surprise de réaliser qu’un de mes grands-pères privé d’exercer son métier après la guerre ne s’était jamais remis d’avoir perdu sa place légitime, qu’une de mes grands-mères effacée par la présence de son mari avait souffert de son incapacité à imposer sa place, qu’un oncle artiste reconnu méritait une place avec plus de gloire, qu’une tante sans mari ni enfant n’était pas à la place désirée après avoir choisi d’être religieuse par dépit amoureux. Métier, finances, couple, famille, reconnaissance… Ces blessures semblaient toutes liées à une question de place. Visiblement, lorsqu’une personne – vivante ou décédée – n’avait pas guéri d’un problème grave, la génération suivante ou celle d’après – en réalité, l’enfant le plus à même d’en venir à bout – en héritait. Une sorte de mission d’âme. Un espoir venait de naître : en me libérant des fardeaux émotionnels de ma famille, j’allais enfin accéder à mes rêves. La question de la place était si présente dans ma vie que je ne la voyais pas. Elle s’est pourtant imposée dès les premiers instants. Très tôt, j’ai perdu mon prénom… et à l’époque cela me paraissait normal. « Les jumelles vont bien ? » « Les jumelles ont grandi ». « Les jumelles sont en quelle classe ? » Ne faire qu’un avec ma sœur me donnait une force inouïe. Nous étions physiquement si proches que l’entourage se trompait et nous en jouions. Ce n’est que bien plus tard qu’exister sans pouvoir exister pleinement est devenu un sérieux challenge. Mais il était si réconfortant d’avoir une sœur jumelle que je n’avais pas encore conscience de cette privation d’identité. Nous avons rapidement identifié que cette ressemblance physique, ce lien très fort et cet amalgame systématique dans les yeux des autres, nous conférait une place à part. À l’âge de 10 ans, nos deux lits étaient positionnés dans la même chambre, simplement séparés par une cloison fine qui s’arrêtait avant le plafond. Une cellule coupée en deux, mais reliée par un espace, comme dans le ventre de notre mère. Tous les soirs et jusque tard dans la nuit, nous revisitions la journée. Un travail d’introspection qui nous permettait de comprendre que nous vivions quelque chose d’exceptionnel. Une forme de psychanalyse avec séances quotidiennes qui allait durer huit ans et nourrir mon envie de mettre du sens en chaque instant. Le sport renforçait cette sensation de sœurs siamoises. À la piscine, les cheveux plaqués en arrière, tout le monde se leurrait. Lors des championnats inter-régionaux d’athlétisme, il est annoncé au micro que ma sœur et moi avions gagné, ex-aequo au centième de seconde près, alors que nous courions dans deux pools différents. La comparaison s’est transformée lentement mais sûrement en compétition. Malgré deux caractères très différents, nous partagions tant de similitudes – physique, voix, façon de marcher, tempérament – que j’avais parfois le sentiment de me battre contre moi-même. Nous avons pourtant eu la chance d’avoir des parents qui ne nous ont jamais réduites à notre gémellité et qui ont refusé de faire de nous des clones vestimentaires. Ils avaient à cœur de laisser nos caractères s’exprimer et ne nous ont jamais habillées à l’identique. La seule fois où nous avons pris le parti d’acheter le même tailleur, c’était pour les besoins d’une séance photo et nous avions 18 ans. C’est à cette époque que nous avons réalisé que nous ne nous étions pas quittées plus d’une demi-journée depuis notre naissance. Ne pas trouver ma place, c’était me fondre dans un mirage commun, me dissoudre, disparaître en un être bicéphale. De son côté, notre sœur cadette avait le sentiment d’être seule, elle le vivait mal et je voyais bien que notre connexion gémellaire empiétait également sur la place des autres. L’envie irrépressible d’exister pleinement est devenue quotidienne. Avec ma sœur jumelle, nous savions que le seul moyen de trouver notre juste place était d’en finir avec l’hydre à deux têtes. Elle est partie la première et a emménagé au Pays basque. Je me suis installée un peu plus tard à Paris. S’il suffisait de s’éloigner pour résoudre un problème, cela se saurait. D’ailleurs, lorsque j’ai rencontré l’homme de ma vie, beaucoup nous ont comparés à… des jumeaux tant nos chemins et nos traits paraissaient similaires. Stéphane est attentionné, respectueux et ne cesse de me valoriser mais – phénomène étrange – à ses côtés, j’étais invisible. Pourtant, je ne chômais pas : j’écrivais des articles sur l’environnement et la santé, j’étais une des rares femmes dans un univers d’hommes à filmer les crocodiles, les baleines, les guépards. J’ai accompagné Stéphane en Afghanistan. Un livre à deux mains a été publié. Nourrie par tant d’aventures, j’ai écrit Les héros de la nature pour partager mon expérience auprès des sauveurs de la biodiversité. Avec Stéphane, nous venions de finir onze films pour M6, les Enquêtes extraordinaires, qu’il présentait et que je réalisais. Or, pour les journalistes, les amis et jusqu’à la famille, quand il s’agissait d’évoquer notre travail, seul Stéphane existait. J’étais plus transparente qu’une méduse. C’était incompréhensible car j’avais mon franc-parler, des facilités pour prendre la parole, pour m’imposer et attirer l’attention. Alors pourquoi ignorait-on mon travail à ce point ? À la même période, mon fils adolescent a fait le choix de s’installer à Bordeaux et je me suis effondrée avec le sentiment de perdre ma place de mère. Je l’ai vécu comme un drame et j’ai manqué sombrer dans la dépression. J’ignorais que mon fils était en train de m’aider à ouvrir les yeux sur ma mission de vie : exister pleinement, me donner le droit d’être heureuse, c’était trouver ma place avec les autres (et pas contre les autres), en me libérant de mes peurs, de ma colère et de mes freins. Quelque chose bloquait mon épanouissement. Neuf mois de séances hebdomadaires auprès d’une psychologue transgénérationnelle m’ont alors ouvert les yeux sur une autre manière de voir la vie. C’est ainsi que j’ai trouvé le message caché de mes épreuves. Entre mes émotions douloureuses et celles de ma famille, il y avait des répétitions : des événements se rejouaient plus ou moins, comme des cycles. Je suis partie à la recherche de toutes les techniques de libération transgénérationnelles. Il y avait celles qui proposaient d’en prendre conscience par le biais de l’analyse, de la psychogénéalogie… de s’en libérer symboliquement… de les écrire sur un papier puis de les brûler… de les représenter sous la forme d’un groupe de personnes pour s’en détacher… de faire appel à un guérisseur… Je les ai expérimentées les unes après les autres. J’ai constaté de petites améliorations, mais pas de changement radical. Puis, un énergéticien m’a confié la méthode pour nettoyer les liens de souffrance avec la famille afin de me libérer de ces héritages émotionnels qui ne m’appartenaient pas. Ce jour est gravé en moi à jamais. Sans rien dire à personne, je l’ai mise en pratique avec ma grand-mère décédée qui (comme moi) avait vécu dans l’ombre de son mari et avec ma tante qui n’avait pas connu la maternité. Le soir même, mon fils m’a appelée et quelque chose dans sa façon de me parler avait changé. Le lendemain matin, une radio nationale m’invitait pour promouvoir un de mes livres sorti six mois plus tôt. Je n’en revenais pas. Je me suis alors tournée vers ce savoir ancestral, celui de chamanes, de médiums et d’énergéticiens. Des rituels existaient depuis la nuit des temps et certains étaient même écrits en latin. Je les ai actualisés et les ai transformés en protocoles. En tant que journaliste, je savais que tout se jouait sur une tournure de phrase, un mot plus qu’un autre. Un puissant enseignement est venu après le décès de ma petite sœur, puis de celui d’une très bonne amie. J’ai mené deux années de recherches en psychiatrie, en psychologie et sur le plan énergétique. J’ai mis au jour un fait capital : dès que l’on vit une épreuve, on perd de l’énergie. Dispute, deuil, humiliation, accident, violence, une grande peur ou même de simples déstabilisations lorsqu’elles sont répétées… cela génère une succession d’états dont on n’a pas conscience et qui s’enchaînent en quelques fractions de seconde : La sidération : on est pétrifié, incapable de réagir. La dissociation : on observe la scène que uploads/s3/ ebook-natacha-calestreme-trouver-ma-place 1 .pdf

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