Marges Revue d’art contemporain 03 | 2004 La place de l’image dans le monde con

Marges Revue d’art contemporain 03 | 2004 La place de l’image dans le monde contemporain Image et invisibilité. Le Chef-d’œuvre inconnu et la question de l’ « ekphrasis » Julia Nyikos Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/marges/759 DOI : 10.4000/marges.759 ISSN : 2416-8742 Éditeur Presses universitaires de Vincennes Édition imprimée Date de publication : 15 novembre 2004 Pagination : 21-26 ISBN : 978-2-84292-247-4 ISSN : 1767-7114 Référence électronique Julia Nyikos, « Image et invisibilité. Le Chef-d’œuvre inconnu et la question de l’ « ekphrasis » », Marges [En ligne], 03 | 2004, mis en ligne le 15 novembre 2005, consulté le 19 avril 2019. URL : http:// journals.openedition.org/marges/759 ; DOI : 10.4000/marges.759 Ce document a été généré automatiquement le 19 avril 2019. © Presses universitaires de Vincennes Image et invisibilité. Le Chef-d’œuvre inconnu et la question de l’ « ekphrasis » Julia Nyikos 1 Parmi les recherches portant sur les relations entre les différentes formes d’art, nous nous intéresserons plus particulièrement aux relations entre la littérature et les arts plastiques. Cette problématique ne se pose pas d’une façon continue dans l’histoire des arts ; nous nous proposons d’examiner l’époque du romantisme français durant laquelle un dialogue très intense s’est ouvert entre les arts. Pour délimiter les recherches, nous nous concentrerons sur les ouvrages dans lesquels la présence des beaux-arts est manifeste. 2 Parmi les textes qui évoquent d’une certaine façon les tableaux, les problèmes de la peinture ou de l’architecture, il est intéressant de prendre pour exemple le très célèbre conte philosophique de Balzac, Le Chef-d’œuvre inconnu. Dans cet ouvrage, l’histoire s’organise à partir de la quête et de l’élaboration d’une peinture absolue. Pour ce faire, l’auteur évoque plusieurs tableaux qui existent dans la réalité historique ; il décrit des toiles totalement fictives, présente les débats sur l’essence de la peinture, et rend compte de « la couleur locale » dans les ateliers des maîtres baroques. Les noms des personnages sont inspirés de peintres connus comme Poussin, Mabuse, Porbus1. 3 Nous tenterons de répondre aux questions suivantes : pourquoi Balzac met-il en scène un débat autour des arts plastiques, notamment celui qui opposait les peintres partisans du dessin aux partisans de la couleur ? Par ailleurs, nous nous interrogerons sur la façon de décrire un tableau avec le langage écrit et sur la façon d’interpréter les références à des tableaux réels ou qui n’existent pas. Faut-il, en quelque sorte, modifier l’organisation du langage littéraire et le fonctionnement des figures rhétoriques, pour exprimer la portée visuelle d’une œuvre et pour renforcer la capacité descriptive du texte ? Image et invisibilité. Le Chef-d’œuvre inconnu et la question de l’ « ekphras... Marges, 03 | 2014 1 Trois compréhensions de l’« ekphrasis » 4 Avant de mentionner quelques problèmes spécifiques, il faut signaler que nous nous intéresserons en premier lieu à des questions théoriques, et que nous éviterons donc, d’aborder les parallèles thématiques entre les textes littéraires et les œuvres artistiques. 5 Les analyses textuelles prennent appui sur des méthodes de la théorie littéraire et de la théorie de l’art. Prendre en considération les différentes lectures d’une problématique artistique et esthétique sera le point de départ de nos investigations. Appliquer et réintroduire au sein de l’univers littéraire des questions élaborées par des théoriciens de l’art constitue l’enjeu de cet article. Pour délimiter la présentation de nos recherches, il convient de choisir une problématique, celle de l’ekphrasis, et son application au texte littéraire. Par conséquent, nous nous proposons de réfléchir, dans un premier temps, à certains aspects théoriques de l’ekphrasis même2. 6 Le terme Ekphrasis a deux significations : il désigne comme genre littéraire, surtout en poésie, la description d’une œuvre d’art et dans un sens plus large, il indique la traduction verbale d’une représentation visuelle3. C’est à partir de ce deuxième sens, que nous engagerons la réflexion qui suit. Dans l’histoire théorique de l’art, les recherches qui portent sur l’ekphrasis sont évidemment nombreuses. Il existe différents modes d’approche pour l’analyser et l’interpréter d’un point de vue esthétique. Ici, nous nous limiterons à trois positions différentes. 7 La première conteste toute légitimité à l’ekphrasis, en affirmant que même la description verbale la plus détaillée ne pourra jamais remplacer l’image. Autrement dit, si nous donnons des instructions à un peintre pour reproduire un tableau qu’il ne connaît pas et ne voit pas non plus, nous aurons beau expliquer minutieusement l’image, il pourra bien concevoir une œuvre ressemblante en quelques traits à la nôtre, mais elle ne sera jamais identique à celle-ci. Cette conception a été développée par Nelson Goodman, dans Langages de l’art4. De nombreuses recherches prennent appui sur la tradition goodmanienne, même si elles quittent le mode d’approche nominaliste5. 8 Le deuxième niveau d’interprétation de l’ekphrasis exprime l’espoir d’en surmonter les limites par l’imagination ou par la métaphore. C’est l’attitude des écrivains qui essaient de « nous faire voir ». À ce stade, la transformation des références visuelles en langage verbal est comprise de façon métaphorique, c’est-à-dire que le texte littéraire imite et reproduit en quelque sorte l’univers de l’œuvre d’art et tente d’en transmettre le contenu. Cette théorie comprend de nombreuses variantes ; nous nous contenterons, ici, de ne citer que les deux plus intéressantes. L’une peut être attribuée à Gottfried Boehm6, qui explique que les mots ne doivent pas copier l’image, mais saisir ce que l’image met en valeur par ses propres moyens, c’est-à-dire rendre visible ce qui est invisible sur le tableau. La « traduction verbale » doit donner sa place à ce que nous pourrions appeler « voir plus/apercevoir davantage ». Au lieu de reformuler le contenu thématique, il s’agit plutôt de donner une interprétation littéraire à partir des divers aspects de l’œuvre d’art. 9 En restant dans le domaine des ekphrasis métaphoriques, il faut encore faire référence à la conception de Murray Krieger7, selon laquelle les arts plastiques peuvent être interprétés comme des métaphores qui permettent de donner de la forme au langage verbal, d’exprimer la spatialité, et de figer quelque chose qui est originairement temporaire. Image et invisibilité. Le Chef-d’œuvre inconnu et la question de l’ « ekphras... Marges, 03 | 2014 2 10 La troisième approche de l’ekphrasis souligne à nouveau la différence entre les arts visuels et la littérature, en essayant de préserver les domaines de l’un qui ne sont pas accessibles à l’autre. La question se pose ici de façon inverse et plus abstraite que dans la première position. En effet, un message artistique peut-il s’exprimer aussi aisément par des techniques différentes, comme celles de la littérature ou des arts plastiques, et présenter la même problématique en peinture et en poésie ? 11 Pour résumer les théories de l’ekphrasis, rappelons que la première prise de position exprime l’impossibilité de décrire un tableau par le langage verbal, la deuxième conception comprend de façon métaphorique les rapports entre le texte et l’image et prétend qu’il s’agit de rendre visible ou d’expliquer ce qui est implicite dans une œuvre d’art. Enfin, la troisième met l’accent sur le caractère singulier des différentes formes d’art et suppose des capacités distinctes pour la littérature et pour la peinture. Application des théories de l’« ekphrasis » 12 Dans ce qui suit, nous essaierons de trouver les points de connexion entre ces théories et Le Chef-d’œuvre inconnu. Pourtant, avant de présenter des exemples, il faut noter qu’ici se pose une importante question méthodologique : les ouvrages de théorie littéraire et d’esthétique formulent, en général, des conceptions abstraites, homogènes, mais difficilement applicables directement aux œuvres littéraires. 13 Donnons une brève lecture du Chef-d’œuvre inconnu, en appliquant le premier mode d’approche de l’ekphrasis. Si nous prenons comme point de départ le fait que le langage ne sera jamais capable de rivaliser avec la peinture, il nous faut alors constater que seules des analyses thématiques et théoriques seront possibles. Cette approche examinera donc le débat artistique qui existe entre les trois protagonistes choisis par Balzac et cherchera les rapports entre les circonstances historiques réelles, contemporaines de Poussin, et la dimension historique propre à la nouvelle. Une telle lecture s’interrogera sur l’œuvre d’art idéale et sur la confusion entre la mimésis et la réalité dans ce texte. 14 Que manque-t-il à cette analyse de notre point de vue ? Elle ne remet pas en question la puissance d’un texte littéraire et n’observe pas les influences des autres modes d’expression sur le langage littéraire. 15 L’approche métaphorique de l’ekphrasis trouve un bon point de départ dans cette œuvre de Balzac. Ce texte fournit toute une série de variations pour décrire le visuel. Par simples citations, par allusions, ou par descriptions détaillées, l’œuvre évoque continuellement des tableaux. À cette diversité, s’ajoute le fait que Balzac fait référence à des peintures qui existent dans la réalité historique, en même temps qu’il crée des tableaux fictifs. Toutefois, l’auteur ne donne pas de points de repères pour distinguer les « vrais » tableaux, de ceux qui n’existent pas. Il se pose la question de savoir comment interpréter la présence de ces deux types de tableaux à l’intérieur d’un même univers fictif. Notre hypothèse uploads/s3/ ecfrasis-entre-lo-visible-y-lo-invisible.pdf

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